LA BALLE HUMANITAIRE

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BALLE TRAGIQUE


Mince, longue, légère, coquette même, revêtue de son pimpant manteau de maillechort poli, la balle moderne, taillée pour la célérité, doit, semble-t-il, traverser les tissus telle une grosse aiguille, sans laisser pour ainsi dire  traces de sa visite.

Le but de la guerre n'est parait-il, pas de tuer mais de mettre hors de combat le plus grand nombre d'ennemis possible, sans de plus les exposer à d'horribles mutilations.

Le projectile d'un calibre de six millimètres du fusil japonais Arisaka, ayant servi avec succès contre les armées tsaristes en Mandchourie, réalisa en partie ce desideratum. La mortalité par coup de feu diminua et diminuera à mesure que portée et vitesse augmenteront.

Les lésions qu'il délivre sont d'une façon générale beaucoup plus bénignes, comparées à celles issues des balles de plomb du fusil Gras ou Mauser.

Ces dernières sont connues pour les trous d'entrée et surtout de sortie qu'elles causent, déchirant tout sur leur passage, conduisant à de fréquentes infections suppurantes.

Cependant, malgré ces améliorations, cette nouvelle balle animée au sortir du canon d'une vitesse de six à sept cents mètres par seconde, s'ancre encore trop facilement dans les chairs rencontrées.

Car, qu'elle vienne de trop loin, ou bien qu'auparavant elle ricoche sur le sol, ou encore rencontre sur son itinéraire un tendon, une aponévrose, une crête osseuse  la déviant de sa trajectoire en la faisant basculer ; elle se métamorphose alors en un projectile nuisible, arrêté dans sa course par la résistance animée par les éléments anatomiques maltraités, retenant alors prisonnier cet hôte quelque peu turbulent.

Fait paradoxal, malgré sa cape blindée, elle éclate parfois au contact de parties moins dures à l'intérieur du corps, se muant alors en mauvais exemple déchirant son environnement, offrant alors au chirurgien bien du fil à retordre lors de son extraction.

Mais en général la petite balle laisse de fins orifices de pénétration et d'échappement, bien nets. Elle traverse les muscles et tissus mous comme une « lettre à la poste » ne nécessitant que de simples pansements bien propres, sans rien faire d'autre durant quelques jours, pour que le soldat puisse reprendre du service. Les os aussi se laissent traverser aisément avec des dégâts minimes ou facilement réparables, là où naguère, l'amputation était de règle.

Mais il n'en va pas de même lorsque la balle tirée à moins de deux cents mètres frappe perpendiculairement à sa surface un humérus, un fémur ou un os de l'avant-bras, les effets sont épouvantables. Alors que l'orifice d'entrée est de six millimètres, celui de sortie forme une plaie en forme de cratère grand comme une soucoupe ; l'os éclaté en plusieurs fragments chassant devant eux les muscles et les tissus en les transformant en hachis éruptif.

Ajoutons que la même balle perfore aisément le poumon dont les plaies guérissent facilement, en revanche les blessures occasionnées à l'abdomen restent presque toujours fatales.

Les effets les plus intéressants et aussi les plus effrayants de ce petit projectile sont ceux qu'il produit sur le crâne.
Une balle tirée de loin peut parfaitement traverser la masse cérébrale et le blessé n'en est pas autrement incommodé si aucune zone importante n'a été lésée.
Mais, quand la balle tirée autour de cent cinquante mètres atteint directement le crâne, alors tout éclate. Ce sont les effets hydrodynamiques : la peau cède, des fragments d'os larges comme la main sont projetés à plus de dix mètres et des morceaux gros comme le poing de cerveau, volent dans les airs. Dans d'autres cas, si le projectile passe bien au centre de la masse cérébrale, l'action hydrodynamique se répartit sur toute la surface intérieure de la boîte crânienne qui se fragmente en mille morceaux, et comme la peau résiste souvent, lorsque le médecin tient entre ses mains la tête du malheureux, les fragments d'os jouent les uns contre les autres, donnant l'impression qu'on palpe au travers d'une serviette, une soupière réduite en miettes.

En dehors de ces cas exceptionnels, mortalité diminuée, guérison plus rapide des blessures, infirmités consécutives moindres, telles sont les trois raisons qui nous permettent de donner au projectile de petit calibre le qualificatif de balle humanitaire.

Texte au premier degré issu d'un article de la revue l'Illustration 1905, partiellement réécrit.

      

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