la belle mort

benoit

Un homme tourne sans fin dans cet appartement sombre et exigüe, il ne compte plus ses pas, il ne compte plus les heures.  Seul compte de fuir cette détresse oppressante, cette peur viscérale, ces jours sans lendemains. Mais où aller ? Il est semblable à une montre qu’on aurait oublié de remonter, telle une aiguille épuisée, en fin de course, il tourne avec l’énergie du désespoir. Son âme n’est plus qu’une bougie vacillante qui ne projette que des ombres fébriles sur les murs noirs de son enveloppe charnelle encore si jeune mais pourtant si usée. Il a perdu la joie, il a perdu toute volonté. Plus rien n’émane de lui, sauf peut être ces sueurs froide qui coulent le long de son échine. Plus rien ne l’atteint, sauf ces doutes qui l’assaillent, nuit après nuit. Ses pensées sont vides et froides. Un gouffre sans fond dans lequel il tombe sans fin. L’odeur iodée de la mer ne parvient plus à ses narines, il ne fait que humer une puanteur infâme qui s’accroche à lui comme une tique s’accroche à un chien. Il n’entend plus la musique, seul le vacarme assourdissant et insupportable de ses peines raisonne en une symphonie macabre et ininterrompue au plus profond de son être. Il ne ressent plus la caresse, la douceur des vents sur sa peau. Son fardeau l’accable, l’écrase  et le brûle. Sur sa langue le sel de ses larmes est insipide, seul persiste une amertume grandissante qui s’étend bien au-delà de ses sens. Pourtant il voit, il voit que le monde n’est pas celui pour lequel il a consacré chaque minutes de sa modeste vie, il voit que les gens sont imbus de leur personne, il voit la misère grandissante, il voit tout de cette espèce vaine et superficielle que nous sommes. Dans ses yeux grands ouverts s’imprime les maux de la terre entière. Un globe trop gros pour trouver sa place dans de si petites orbites.

Dehors point le jour, mais tout cela semble si irréel, si inaccessible. Pourtant il s’approche de la fenêtre entrouverte, comme pour saisir un rêve, un rêve insensée. La ville encore endormi a des allures de liberté. Cette immensité calme lui donne un sentiment de plénitude. L’envie soudaine le prend de se fondre dans l’instant, d’épouser le tout qui l’entoure, d’exister dans cet inconscient parfait, à la fois éphémère et éternel, si loin de ses déceptions, si proche de son idylle. Ses jambes pendent au dessus du vide, nulle contrainte, nul sol à fouler et doucement, il sent remonter en lui des émotions oubliées depuis trop longtemps. Alors ses mains lâchent le rebord qu’elles agrippaient sans conviction. Alors qu’une chute commence l’autre s’achève. Un à un ses sens se ravivent, plus rien ne pèse sur lui, lui qui s’envole vers un soleil qui jamais ne se couchera, lui qui est allé bien au-delà qu’Icare aurait pu l’espérer. Ses traits se détendent, son âme s’apaise, la flamme brille une dernière fois, puis la montre s’arrête, enfin.

  • Merci, écrire ce texte m'a fait énormément de bien et ça me rend heureux de voir qu'il est capable de faire cet effet à d'autres

    · Il y a plus de 12 ans ·
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    benoit

  • ...je ne sais pas s'il existe une belle mort ou si la mort peut être belle, puisque toutes celles qui m'ont affecté furent injustes et vilaines, mais votre traitement et votre style contribuent à rendre ces moments un peu moins durs, un peu plus doux. Merci.

    · Il y a plus de 12 ans ·
    B3

    janteloven-stephane-joye

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