La Cendrillon de Joël Pommerat
blanche-dubois
Adieu le conte de fée: ceux qui sont venus pour du rêve, du rose bonbon, du sentimental à gogo, ont dû faire demi-tour. Disney n'était pas par présent. Quoiqu'il y avait quelques paillettes…
Ainsi pourquoi inventer de nouvelles histoires ? Il suffit de les revisiter, de changer le contenu guimauve pour un contenu disons plus grave. Walt Disney a créé une version assez machiste d'une Cendrillon en très belle employée de maison maltraitée qui attend son prince. Ringard…
Comment décrire cette Cendrillon ‘'Pommeresque'' ?
Cela commence par une voix off féminine avec un vague accent des pays de l'est. Ah intrigant… Elle nous prévient que l'histoire contée ici est avant tout une histoire de mots, de contre-sens, de malentendus. Très ‘'sémantique'' tout cela…Vraiment très intriguant.
Adieu le conte de fée, le pays n'y est pas enchanté, un décor minimaliste, assez obscur globalement et dont la composition réside dans des projections tantôt naturelles, tantôt cinétiques et aveuglantes.
Adieu encore le conte de fée, vive le conte métaphysique! La mort rôde, aucune coquetterie ne viendra détendre l'atmosphère. D'ailleurs Cendrillon s'appelle Sandra (Déborah Rouach), une toute jeune fille habillée en écolière et au physique ingrat. Je me suis prise d'affection immédiatement pour cette jeune fille au franc parler et sans faux-semblant. Par contre, carton rouge pour le père (Alfredo Canavate) qui a le plus mauvais rôle en faisant figure de chiffe molle.
Première scène, et tout de suite, on en sent l'importance dans la poursuite de la pièce. En un tableau très sombre, la mère de Sandra se meurt d'une terrible maladie et susurre ses dernières paroles de manière inaudible à sa fille. Sandra les réinterprète de manière erronée. Tellement erronés que ces mots seront la cause de tous ses maux à venir. Munie d'une montre, Sandra se donne pour obligation de penser à sa mère toutes les cinq minutes jusqu'à la fin de sa propre vie. Evidemment c'est une terrible méprise !
La mère meurt donc. Son père se recase en mode famille recomposée chez la belle-mère boulotte (Catherine Mestoussis) et les deux affreuses sœurs (Noémie Carcaud et Caroline Donnelly), toutes hystériques et obsédées de chirurgie esthétique et de ‘'jeunisme''. On sent que la belle mère a le compte en banque. Mais la sonnerie incessante de la montre de la bru rend folle de rage la belle mère car elle témoigne de la présence fantomatique de feu l'ex-femme de son nouveau mari. La belle mère est une castratrice monstrueuse qui fait monter de plusieurs crans la tension dans la salle. Tellement que je constate la sincérité des crachats que la comédienne expulse dans ses cris rauques. Sandra et la belle mère sont les deux personnages principaux ici qui s'affrontent sournoisement.
Adieu donc Cendrillon, Vive Sandra…mais que deviendra-t-elle ? Petit à petit, une employée de maison masochiste et servile attendant que tout ce cirque s'arrête. C'est tout. Et j'ai eu mal pour elle. Et pourtant, moi aussi j'attendais une belle suite logique celle que nous connaissons tous du conte des frères Grimm !
Fort heureusement, Pommerat en préserve toutes les séquences avec l'humour belge en plus ! Tout y est : la fée (Noémie Carcaud une nouvelle fois en fée délurée et « grunge »), l'invitation au bal, le costume de bal imaginée par la fée, le Prince, la chaussure, la recherche de la jeune fille par le roi. Seulement, toutes ces séquences prennent une tournure dont je ne m'attendais pas. L'auteur joue sur des effets de retournement de situation ou d'inversion de situations: le plus notable réside dans le propriétaire de la chaussure. Très intriguant n'est ce pas ?
Mais alors de quoi cela parle ? Et bien de mort, de deuil. Sandra et son jeune ami le prince ont perdu, chacun, leurs mères et c'est en cela qu'ils se rapprochent. C'est à ce moment précis, à proximité des spots light de la soirée, que Sandra comprend qu'elle doit vivre sa propre vie et non pas à travers l'ombre de la mère défunte. Et qui se voit Princesse ?: et bien la belle-mère. Je vous le jure !
Adieu donc le conte de fée, ils se marièrent et eurent beaucoup d'enfants.
Non, ce serait plutôt, enfin ils purent faire leur deuil et voler de leurs propres ailes. La fin est donc belle mais me laisse songeuse. Personnellement, je me demande pourquoi Pommerat a fait l'économie d'acteurs ? C'est le seul hic de la pièce, il se ressert de la comédienne jouant une des deux sœurs pour jouer le petit prince crédule et gauche. Là, la ficelle est trop grosse et l'identification double m'a gênée. J'aurais voulu d'un prince, laid ou beau, mais joué par un acteur à part entière. Et puis, des séquences inutiles parasitent le propos : une homme pantin qui mime le temps, une voix off trop bavarde, une chansonnette style Star Academy…Mais il faut bien faire rêver un peu la salle et les nombreux enfants qui sont venus voir cette version d'une Sandra-Cendrillon qui, des ténèbres, vole vers la lumière. Ouf, tout est bien qui finit bien.