La Chambre
vadim
Je ne sais pas pourquoi. Peut-être est-ce parce qu’elle était si jeune. Elle avait 17 ans, elle m’avait dit. Après s’être déshabillée, elle s’était mise à nue, elle m’avait parlé d’elle. De ses rêves de première fois magique, de le faire avant ses dix-huit ans, de comment elle s’y était préparée, avait dit que ce serait ce soir, sûrement, ce soir ou jamais, ses vêtements choisis avec soin, sa robe en liberty, des bas, des richelieus à talons, un bandeau dans ses cheveux châtains, denses et brillants, une tenue trop vieille pour elle, une tenue qui correspondait à ses attentes, quand elle avait pris des poses devant son miroir en pied, la porte de son placard, dans les murs chauds et roses et verts de sa chambre, sa chambre de petite fille.
Elle se trouvait douce, un peu enfantine, un peu mutine, capable de jouer sur les deux tableaux, de ne pas tricher non plus, de se présenter pure ; ce genre de considérations, le soin qu’elle avait mis à s’épiler, après ou avant son bain, je ne sais plus, son parfum, et puis la musique qu’elle avait écouté avant, pour se préparer, un peu mélancolique, une musique d’enterrement, celui d’une vieille fille seule, celui de toute sa vie d’avant, de sa vie d’avant la faculté où elle voulait arriver pleine de vie, de charmes, pas novice, pas craintive, mais comme toutes ces filles qu’elle admirait, celles qui osaient. Elle ne savait pas vraiment, au fond, pourquoi elle voulait tant le faire. Elle savait que cela risquait d’être douloureux. Que sûrement elle retiendrait ses larmes sous le mec qui la prendrait égoïstement, en râlant, qu’elle ne prendrait même pas la peine de gémir, de donner le change, que sûrement elle se retrouverait avec le mauvais type, celui qui aurait voulu d’elle alors qu’il serait incapable de s’occuper de lui-même.
Elle avait bu aussi, pour se préparer. Elle avait bu un whisky, ou deux, chez elle, dans le salon, entre les meubles de vieux bois qui sentaient la cire, le miel, mais ça n’avait pas suffi. Alors elle avait continué. Elle s’asseyait, dans la salle bondée où l’on dansait sur de la mauvaise musique, sur une chaise en bois, les yeux bas, la tête un peu baissée, plongée dans un verre de mauvais rosé, parce qu’il n’y avait que ça. Les gens dansaient, s’agitaient, voguaient, criaient. La futilité du spectacle l’avait confortée, comme s’il lui fallait devenir femme, pour ne pas être sortie pour rien, pour ne pas avoir perdu son temps. Le décalage entre ses aspirations et la réalité de ce qu’elle ressentait, le vide ne faisait que renforcer sa détermination, parce qu’elle avait un but, que cette soirée avait du sens, que ce n’était pas qu’une séance de beuverie, et un abandon. C’était un rite, un passage, et elle buvait parce que la violence faisait partie de ce cheminement, parce qu’il fallait prendre sur soi pour arriver jusqu’au bout.
Elle buvait parce qu’elle avait l’impression qu’on l’ignorait, parce que celui qu’elle cherchait n’était pas là, ou dans une autre pièce, ou avec une autre fille, elle ne voulait pas le savoir, mais elle ne pouvait pas s’aveugler. Elle ne le verrait pas. Elle s’était rendue malade, sûrement qu’au fond elle avait peur, ça elle le savait, aussi parce qu’elle n’en avait pas tellement envie. Elle avait lu des livres, elle connaissait Charlotte Simmons, elle avait lu Les Lois de L’Attraction, ce premier chapitre de virginité perdue dans la brume de l’alcool, mais ça ne l’avait pas dissuadée, croyait-elle, même si elle avait fini par comprendre que, comme elles, elle n’en tirerait rien de bon. Elle avait vomi, s’était lavé les dents, frénétiquement, discrètement, refusant de perdre la face.
Elle était rentrée avec moi. Je l’avais croisée alors qu’elle sortait des toilettes, et elle avait l’air tellement perdue que je lui avais souri et que je l’avais prise dans mes bras. Elle avait sangloté, et je l’avais bercée, et je l’avais embrassée sur son front, et serré ses épaules entre mes bras qui avaient alors l’air fort. Je lui avais dit que tout irait bien. Que tout finissait bien, toujours, qu’il n’y avait pas de raisons de se mettre dans des états pareils. Qu’il n’y avait rien à se reprocher, que cela arrivait à tout le monde. Nous étions partis directement, je lui avais dit que de l’air lui ferait du bien, et j’avais gardé mon bras dans le bas de son dos sous les candélabres qui pissaient dans la rue. Elle disait que je correspondais à ce qu’elle voulait.
Je lui disais qu’elle me touchait, mais que ça ne se serait absolument pas passé comme elle le voulait. Je lui disais que ça ne se passait généralement pas comme on voulait à ce stade là. Je pensais qu’elle était belle, à s’attaquer à plus grand qu’elle, à elle-même et à ses peurs. Je pensais qu’elle serait seule, toujours, et que ce serait difficile, je savais que rien ne s’arrangerait, bien au contraire, pas avant une éternité, cinq, six, sept ans, peut-être, mais je n’avais rien dit. Puis elle s’était couchée contre moi, et j’avais embrassé son omoplate et son cou, mais elle dormait déjà, exténuée, ou elle faisait semblant.
C'est vraiment sublime...
· Il y a plus de 14 ans ·J'ai adoré la façon de présenter la jeune fille, ses espoirs, craintes etc.. Qui va vraiment bien avec l'esprit des jeunes filles de nos jours.
Félicitation
fabiolam