La Chanson du Printemps

maelle

Baki connaissait aussi bien Pitcha qu'il connaissait sa chanson. Il ne l'avait jamais vue et voilà qu'elle apparaissait devant lui, figée, le regard dans le sien, dans l'arbre en face de la fenêtre.

Dans son grand château, Baki regardait par la fenêtre, accoudé sur le rebord. Il s'ennuyait, devait apprendre une chanson, ne voulait pas le faire parce qu'elle était trop embrouillée. Il connaissait seulement le premier couplet :

Danse avec les vagues lointaines
et écoute le vent.
Car dans ton royaume, vilaine,
il y a là le printemps.

Ça ne voulait rien dire, d'après Baki. Absolument rien. À quoi est-ce que ça rimait d'apprendre une chanson pareille à un prince ? Il connaissait aussi le début du deuxième couplet :

Entends-tu le chant des baleines ?
Entends-tu le vent ?
Il t'apporte l'écho des sirènes.
Il t'apporte le sang.

Non, Baki ne comprenait pas du tout cette chanson. Il faut l'apprendre, se disait-il, même si elle n'a aucun sens. Alors le jeune prince préférait regarder par la longue fenêtre. Quand apparut Pitcha dans son champ de vision. Baki connaissait aussi bien Pitcha qu'il connaissait sa chanson. Il ne l'avait jamais vue et voilà qu'elle apparaissait en face de lui, figée, le regard dans le sien, dans l'arbre en face de la fenêtre.
-Viens, lui souffla-t-elle. Je vais t'apprendre.
Apprendre, apprendre, on voulait tous lui apprendre. Pourtant, intrigué, il enjamba la fenêtre et grimpa avec Pitcha le long de l'arbre. Arrivée en haut, tout en haut, la jeune fille s'arrêta. Le vent tournoyait ses cheveux blond paille. Elle lui dit :
-Tu vois, tu ne sais pas encore grimper. Essaye de ne pas faire mal à l'arbre. Et voici le troisième couplet de ta chanson :

Chante dans l'eau qui ruisselle.
Et penche toi en avant.
Ne pleure pas, n'aggrave pas ta peine.
Car l'eau apporte le sang.

Baki n'avait pas encore appris sa chanson mais il savait que ce n'était pas ça. Le troisième couplet parlait de la guerre, qu'il fallait être valeureux et fier pour ses hommes.
-Non, il faut pleurer, lui répliqua Pitcha.

Et elle se laissa glisser le long du tronc. 
-Attends ! Attends !
Baki la suivit, ses mains touchaient à peine le tronc.
-Et le quatrième couplet ? Qu'est-ce que c'est ?

Dans son quatrième couplet à lui, il y avait les morts, les cadavres, mais il avait gagné la guerre et possédait un nouveau territoire. "Un mal pour un bien", concluait le dernier vers.
-Pitcha ! Tu dois m'apprendre ! Ne t'enfuis pas ! Apprends-moi ta chanson !
Baki la fila en courant. Il ne s'aventura pas si loin de son château, et pourtant il ne reconnaissait plus le paysage. La pourchassant à travers une cascade, Baki découvrit alors son domaine. La jeune fille était assise sur un inconfortable trône de pierre, les murs irradiaient une douce lumière bleue et des libellules volaient autour.
-Apprends-moi le dernier couplet, la supplia-t-il.

Alors vois ce que le ruisseau t'amène
et écoute le vent.
Il vaut mieux vivre souterraine
et dormir au printemps.

Pitcha releva ses yeux turquoises sur le garçon quand elle eut fini.
-Non, je ne suis pas d'accord ! s'exclama Baki. Il ne faut pas se cacher !
-Alors il faut combattre ?
Tous les animaux présents sous la cascade regardèrent le jeune prince. Les libellules se rapprochèrent de lui, les boules de poils se hérissèrent.
-Il ne faut pas faire comme dans ta chanson. Mais il ne faut pas suivre la mienne non plus. Et pour tracer une ligne dictée seulement par son cœur, il faut être fort. Merci Pitcha, tu m'as beaucoup appris.
Baki fit une courte révérence à la jeune fille sur son rocher et repartit sous la cascade. Une fois dehors, il secoua ses cheveux bruns dégoulinants et sourit. Le vent n'apportait pas encore l'écho des sirènes.

FIN
Maëlle

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