LA CHAUME AUX SOUVENIRS

Philippe Darnault

Perdue au doux creux verdoyant
Un bien paisible petit village
Préserve le charme vivifiant
D'une époque aux mille fourrages,

Dont une bâtisse séculaire
Sous le grand chêne d'un autre âge
Brave le temps et ses colères
Abritée sous l'épais feuillage.

Une large pierre de granit
Au seuil de la porte d'entrée
Devance des carreaux de terre cuite
Aux nuances de reflets bistrés,

Puis dardent les derniers rayons
D'une journée ensoleillée
Qui rougeoient d'un voile d'émotion
Ses larges murs dépouillés.

La douce moiteur des draps trop vieux
Sous le gros édredon rayé
M'invite au seuil des rêves bleus
Dans le murmure des invités,

Dont glissent sur les pierres apparentes
A la lueur de blanches bougies
Les longues silhouettes d'ombres géantes
De leurs gros visages rougis.

Devant l'âtre aux bûches crépitantes
Au miroir piqué j'aperçois
Une femme au sein allaitante
Coiffée d'un long foulard de soie,

Fondant au coeur des flammes vives
Dont la transparence légère
Offre des scènes qui ravivent 
Ô combien d'inavouables chimères.

A l'aube où frémit la nature
Dans la senteur des braises chaudes
Un souffle tiède sur les pâtures
Chuchote une de ses plus belles odes,

Qui me tire de la torpeur
Oyant les âmes qui s'étirent
De la pénombre à la lueur
Dans la mansarde aux longs soupirs.

Sur la table aux fruits desséchés
De vieux bols rouges de lait fumant
Meurtris par des bords ébréchés
Trônent fièrement comme des volcans.

Dehors le brouillard s'épaissit
De touches de fusain estompé
Que la main d'un peintre indécis
Effleure comme pour s'y échapper. 

La brume, au plus gros de mon coeur
Dépose tous ses profonds mystères
Inspirant un monde bien meilleur
A l'enfant qui flâne sur ses terres

Affublé d'une épaisse écharpe 
Je flotte dans l'océan de blé
Porté par des arpèges de harpe
D'un vent dans les épis cambrés.

Des châtaignes jonchent le sol
Blotties dans leurs bogues fendues
Teintées d'étranges auréoles
Des traits d'un soleil suspendu

Qui peine à s'élever dans les airs
Lesté par les affronts nuisibles
Que subit ma bien triste terre
Aux conséquences irréversibles. 


Philippe Darnault

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