La chute
Petite Plume Volcanique
Elle marchait avec douceur, sur le parquet bruni par le temps, comme une danseuse étoile qui aurait peur d'abimer le monde, et elle écoutait attentivement les craquements de bois qui accompagnaient sa route. Elle souriait, toujours. Les vieilles lampes qui pendaient au plafond grésillaient et sifflaient, leur lumière s'affaiblissant de temps en temps. Des ses pas légers, elle avançait lentement, vibrant dans l'air qui l'entourait. Souvent, elle pensait aux oiseaux au dessus des toits ; elle pensait qu'ils devaient danser, tourbillonner, s'aidant de leurs grandes ailes qui frappaient l'air avec force. Toute la journée, elle rêvait de belles choses avec eux. Elle passait son temps à planer au milieu des oiseaux ; puis, les jours orageux, elle repensait au chemin tordu qui l'avait amenée jusqu'à cette grande maison au parquet qui craque. Parfois, elle replongeait dans ses souvenirs enfouis et nageait avec eux dans une grande mare de douleur ; alors elle revoyait ses yeux.
« Tu ne me sauveras pas. Personne ne me sauvera. »
Il avait lâché ça comme une bombe destructrice, à l'instant même où, pour la première fois, elle avait croisé son regard. Des yeux noirs, comme on en voit rarement ; noirs de haine, de colère, de vie. Ils scintillaient d'une lueur étrange, qui l'avait frappée. Et son sourire, pourtant si inébranlable, s'était effacé, le temps d'une seconde.
Elle savait.
D'un coup, plus rien n'avait de sens ; la mer qui monte puis qui redescend, les oiseaux qui partent puis qui reviennent, les gens qu'on connaît puis qu'on oublie. D'un coup, d'un seul, sa vie avait été rasée et elle avait perdu le chemin que ses pieds caressaient jusqu'ici.
D'abord tétanisée, elle ne parvenait plus à avancer. Elle n'arrivait même plus à regarder droit devant elle, et les rêves d'une vie s'en allèrent. Ses yeux à lui scintillaient de douleur et au fond, tout au fond, courant sur sa rétine, se cachait une plaie béante que les gens s'acharnaient à oublier. Mais n'était-ce pas elle qu'elle apercevait, adossée au mur au fond des méandres de la sclérotique de cet homme ? N'était-ce pas elle qu'on ne pourrait jamais sauver ?
Puis dans les minutes, ou peut-être les secondes, les années qui suivirent, tout explosa entre ses mains, sous ses pieds, dans ses rêves et dans sa vie. La détonation fut si violente que son corps en trembla de douleur et qu'elle fut projetée dans un gouffre sans fin. Elle tombait, tombait, tombait, sans s'arrêter, et il était assis au bord du précipice, à la regarder, du fond ses pupilles trop noires. Il plongea à son tour, brûlant du désir puissant de fuir le plus loin possible de ce monde. Ses bras enlacèrent la créature apeurée qu'elle était, et, au creux la chaleur de leur deux corps, ils se promirent de se détruire, puisqu'ils ne savaient faire que cela. Ils avaient compris qu'il en était fini de tout, et qu'ils passeraient le reste de leur temps à fuir à travers cette crevasse sans fond, d'un noir aussi coupant de l'éclair de haine qui déchira leur vie à tous les deux, il y a bien longtemps déjà. Il avait suffit d'un regard pour déchaîner l'énergie qu'ils contenaient depuis tant de vies et voilà ce qu'ils étaient devenus : deux âmes qui chutaient, arrachées par la haine des temps passés ; brisés mais ensemble.
Pas mal et prometteur :)
· Il y a presque 9 ans ·Mario Pippo
C'est bien noir mais très beau ! Très belle écriture.
· Il y a presque 9 ans ·Louve
Merci beaucoup, c'est cathartique plus qu'autre chose
· Il y a presque 9 ans ·Petite Plume Volcanique