La cuisine au miel (5)

aile68

Dans le train j'ai fait le parcours de ma vie depuis mes cinq ans je crois. Pierre était entré dans ma tête à l'âge de six ans je crois, il avait déjà ses lunettes rectangulaires. Ce n'est pas de l'amour que j'ai d'abord éprouvé pour lui, mais il a fait tilt dans mon esprit. Je l'aimais bien, on a commencé à se parler à dix ans je crois, nous avions cinq ans d'écart, nous n'avons fait que partager des banalités cependant c'est resté un doux souvenir comme du miel qui coule dans la gorge quand on a mal. Face à lui j'ai perdu mes moyens à l'âge de quinze ans, je n'arrivais plus à aligner trois mots à la suite, je l'imaginais dans un royaume, le royaume des anges. Un jour, m'a raconté ma grande soeur, il s'est fait renverser par une voiture près du lycée, parait qu'il a dit: "Je suis au paradis?"

C'est une phrase qui le caractérisait bien à l'époque, il a toujours eu l'air tellement sage, gentil et sérieux. J'ai senti mes membres trembler quand ma soeur m'a dit cela! Je l'imaginais déjà mort à la porte du paradis, saint Pierre faisant tinter ses clefs...

Arrivée à Paris, je n'ai pas su quoi faire. J'ai appelé Julia, ma meilleure amie. J'ai laissé passer les reproches qu'elle m'a faits sans rien dire, puis elle m'a dit:

"Tu vas crécher où, à l'hôtel?

- Ouais peut-être... je n'en menais pas large.

- Ecoute, l'auberge de jeunesse c'est parfait! Tu reviens quand d'abord?

- Je n'ai pas l'intention de revenir...

- Quoi, t'es folle!

- Ta famille est folle d'inquiétude, ils n'y peuvent rien eux si tu es amoureuse du gars qu'il faut pas!

- Voilà tu l'as dit! "Du gars qu'il faut pas!"

- Non mais je dis ça comme ça, mais c'est fou pourquoi tu lui as pas dit à Pierre, que t'as des sentiments pour lui. Pourquoi t'es partie?

- Il a déjà quelqu'un...

- Et alors? Tu sais quoi reviens vite!

- Mais je peux pas...

- Prends le premier train je te dis! Moi je vais dire à tes parents que tu reviens.

- Oui mais tu leur dis pas pour Pierre!

- Tu crois que ta soeur et ta mère n'ont pas compris? Tu devrais te regarder dans une glace quand tu le vois...

- Ah bon tant que ça?

- Allez dépêche-toi de rentrer!"

Ma prof de français de 3e aurait dit que c'était une situation ubuesque... C'est vrai.

J'ai eu de la chance, le prochain train pour ma ville partait dans deux heures, ça me ferait arriver à trois heures. Vive le TGV!

... Mes parents étaient furieux, mon père avait sa tête des mauvais jours, ses beaux yeux d'habitude d'un bleu azur avait viré au gris, il faisait mauvais en lui. Je suis partie dans ma chambre, ne suis pas sortie jusqu'au lendemain où ma mère m'a réveillée pour me dire qu'il fallait que j'aille travailler. ça m'a libérée!

(à suivre)



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