La découverte

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Il avait proposé de la raccompagner.

Pour adoucir la fin d’une journée de galère.

Dix heures qu’elle était partie ce matin de cette gare et six heures à attendre sur cette voie, au milieu de nulle part, six heures à attendre une locomotive en remplacement de celle qui les avait lachés, presque sans prévenir, après quelques toussotements souffreteux, quelques chaos de plus en plus en marqués jusqu’à l’arrêt final.

Plus de chauffage dans ce train, la température se refroidissait de plus en plus au fur et à mesure que le temps passait et que l’attente s’éternisait.

C’est en faisant les cent pas le long de la voie pour se réchauffer et se désennuyer qu’elle le vit. Il était seul aussi, à marcher vite, faisant de grands moulinets de bras et se frottant les mains l’une contre l’autre.

Il était grand et marchait sans jeter un regard à leurs compagnons d’infortune.

Des mères avaient organisé des jeux de ballon pour leurs enfants,  d’autres jouaient à chat. Les voyageurs les plus âgés étaient restés dans le wagon, cherchant un peu de chaleur sous des piles de vêtements sortis des bagages, certains conversaient, d’autres jouaient aux échecs.

Ils continuaient de marcher le long de la voie. Ils étaient à peu près du même âge, sortis de l’adolescence depuis longtemps, entrés dans l’âge adulte mais toutes les espérances de la vie leur restaient encore à connaître.

Elle était timide et n’abordait pas les gens, les hommes encore moins.

C’est pourtant ce qu’elle fit ce jour-là, à ce moment même où de légers flocons de neige commencèrent à tomber faisant rentrer enfants et parents à l’abri dans les wagons.

Eux seuls restèrent dehors malgré la neige que retenait la laine de leurs manteaux.

Ils se découvrirent. Elle aima sa voix. Ils auraient pu être amis depuis longtemps, un même milieu social, une même école fréquentée à la même époque.

Elle aima son parfum, respiré fugacement lorsqu’il fit tomber de ses doigts longs et minces quelques flocons de neige de ses cheveux.

Elle aima ses yeux si doux qui semblaient pourtant avoir vu tant de choses.

Sans qu’ils se le disent, elle sut qu’elle lui plaisait aussi.

Alors, lorsqu’enfin arrivés à bon port, il lui proposa de la raccompagner chez elle en voiture, elle accepta.

La neige qui était tombée rendait la circulation difficile surtout à cette heure tardive de la nuit.

Ils étaient presque seuls dans les rues de la ville. Il conduisait prudemment, elle n’était pas pressée de rentrer. « Comment se quitter ? » pensait-elle.

Ni lui, ni elle ne la virent arriver. Après une longue attente à un feu, ils traversaient ce large carrefour du centre-ville. Ce fut juste au moment du choc qu’elle comprit qu’ils avaient eu un accident.

Ses jambes la faisaient souffrir mais elle pouvait les bouger et elle avait l’esprit clair.

Lui était à côté d’elle, inconscient. Elle fut affolée à la vue du sang qui coulait de ses cheveux. Elle lui parla, l’appela, lui hurlant de se réveiller. Malgré la douleur de ses jambes, elle voulut lui venir en aide, lui libérer sa gorge engoncée dans son écharpe.

De ses mains malhabiles, elle déboutonna son col de chemise, la déchirant à moitié.

C’est alors qu’elle la vit, petite mais bien noire sur cette peau au grain si fin.

Elle aurait voulu avoir perdu la vue, revenir celle qu’elle était ce matin quand tout était encore normal. Revenir au temps d’avant cette vision qui ne la quitterait plus jamais.

Cette croix gammée tatouée sur cette peau claire.

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