La déculottée

rechetard

La salle à manger de l’auberge. De fil en aiguille... c'est le lendemain matin, l'heure du (petit) déjeuner. Suzanne est assise, Jean-Baptiste la rejoint.

JEAN-BAPTISTE

Mon amour.

SUZANNE

Ces minutes sans toi sont trop longues, tu me fais mourir.

JEAN-BAPTISTE

Quelle nuit miraculeuse !

SUZANNE

Je savais que tu viendrais.

JEAN-BAPTISTE

J’étais là, au bord de ta chambre, dans les roulements du tonnerre. A travers les voilages, agrippé à la rambarde en cuivre, je te regardais. Tu étais à la coiffeuse, un flacon à la main. Les éclairs te donnaient un éclat sauvage. Tu t’es retournée et tu as dit :

SUZANNE

« Je t’attendais ».

JEAN-BAPTISTE

J’étais foudroyé.

SUZANNE

Tes cheveux dégoulinaient et ta chemise était trempée. Tu sentais bon. Je t’ai pris par la main. Le ciel du lit s’est mis à onduler.

JEAN-BAPTISTE

Et quand le calme revenait après les déluges, la chambre s’emplissait des parfums que la pluie avait réveillés.

SUZANNE

Ne restons pas ici, vivons, vivons encore. Partons immédiatement.

JEAN-BAPTISTE

Y penses-tu ?

SUZANNE

Laissons-là Marie-Louise.

JEAN-BAPTISTE

C’est impossible ! Ta réputation ! Nous devons patienter jusqu’à ce soir. Et demain, nous serons à Paris.

SUZANNE

Les dés sont jetés, je ne peux dissimuler plus longtemps.

JEAN-BAPTISTE

Non, non, sois raisonnable ! Moi aussi, ces mystères me mettent au supplice, mais notre prochaine nuit n’en sera que plus ardente. Une autre auberge nous attend. Y aura-t-il de nouveau un balcon, un escalier dérobé, une servante à corrompre ?

SUZANNE

Ou à séduire ? Tout cela ne serait-il qu’un jeu ? Pourrais-tu déjà t’éprendre d’une autre ? Ah, ces pensées sont atroces. Mais regarde-moi, prends ma main, réponds-moi. N’as-tu pas de cœur ?

JEAN-BAPTISTE

Suzanne.

SUZANNE

Je vois que tu changes de résolution. Je serai bientôt abandonnée.

JEAN-BAPTISTE

La voici. Je t’en conjure par notre amour, pour tous ceux qui te sont chers, reste maîtresse de toi.

Scène 2

Les mêmes, MARIE-LOUISE

JEAN-BAPTISTE

Bonjour madame, avez-vous bien dormi ?

MARIE-LOUISE

Jean-Baptiste. Vous êtes là. Je vous avais oublié. Non, je suis fourbue. Les lits de cette auberge ne valent rien. Ils doivent véritablement dater du Vert-Galant.

JEAN-BAPTISTE

Le nom de l’auberge laissait pourtant augurer du meilleur.

MARIE-LOUISE

Encore un qui ne tient pas ses promesses. Et vous ma chère, vous semblez fatiguée aussi. Je vous trouve les traits tirés. Vous n’avez pas bien dormi ?

SUZANNE

Non.

MARIE-LOUISE

Voilà une réponse engageante ! Mais encore ?

SUZANNE

J’ai vécu cette nuit d’orage comme un songe. Mais la magie semble s’être évaporée et le réveil est affreux.

MARIE-LOUISE

Moi non plus, je ne me souviens jamais de rien au matin. Sauf des engagements de la veille, surtout quand ils ont été trahis. Mais vous, monsieur, vous avez passé une nuit excellente, je suppose ?

JEAN-BAPTISTE

Oui, et je me sens tout revigoré par cette nuit exceptionnelle. A vrai dire, j’ai fait un rêve curieux, et fort agréable. J’étais agenouillé dans un temple, on répandait sur moi l’encens et la rose. Dans l’aurore qui dorait ses beaux cheveux, une merveilleuse Aphrodite m’adoubait.

SUZANNE

Elle jaillissait de l’écume et vous tendait l’épée ?

JEAN-BAPTISTE

Je la saisissais, j’en devenais le maître, je pourfendais les gueules d’une hydre. On me remettait un nouveau blason, étincelant à fond d’azur et je jetais l’ancien à jamais, parmi les débris ensanglantés du monstre.

SUZANNE

Et elle, elle, l’emmeniez-vous ?

MARIE-LOUISE

Vous me prenez pour une sotte, avec vos chevaleries ? Vous croyez que je ne vois pas qui est le blason bleu et qui le blason rouge qu’on veut délaisser ? Je vous trouve passablement intrigante, Suzanne, derrière vos airs de froideur.

JEAN-BAPTISTE

Vous vous méprenez, ce n’était qu’illusion.

MARIE-LOUISE

Vous pensez avoir de l’esprit ? Cela vous va très mal de faire l’effronté. Vous pourrez continuer votre petit manège à pied, monsieur l’étudiant, je ne vous emmènerai pas plus loin. Nous n’avons pas besoin d’un autre Voltaire.

SUZANNE

Jean-Baptiste, partons ensemble.

MARIE-LOUISE

Suzanne ! Vous êtes folle !

JEAN-BAPTISTE

C’est toi qui es folle, d’avoir pu penser que je voudrais m’attacher à tes jupes. Je ne suis plus un petit garçon qu’on achète d’un bonbon ou d’un ruban.

MARIE-LOUISE

Oh !

JEAN-BAPTISTE

Sacredieu ! Je suis le fils du forgeron qui trime et qui jure, et qui engraisse le monde et qui empêche les nonnes de dormir. Tu prétendais m’enchaîner ? Mais tu es plus soufflante et plus rubiconde que la forge de mon père, et foutre, je craindrais d’étouffer entre tes gros seins et tes larges cuisses.

SUZANNE

Tais-toi, Jean-Baptiste.

MARIE-LOUISE

Ah, mon Dieu. Quelles horreurs. Au secours !

SUZANNE

Tout est fini.

MARIE-LOUISE

Mais qu’il parte, par pitié. A l’aide ! Où est le personnel de cette auberge ? A-t-on jamais entendu de ces blasphèmes ?

JEAN-BAPTISTE

Je pars.

SUZANNE

Adieu, mon amour.

MARIE-LOUISE

Mon Dieu, mon Dieu, cela ne finira pas. François, où est-il, cet imbécile ? François, François, sauvez-nous, mettez-nous ça dehors !

JEAN-BAPTISTE

Adieu, Suzanne. Je vous ai bien aimée, même si vos baisers sont un peu froids. Mais votre heure a passé à vous aussi. La vie m’appelle, je dois être libre.

Il sort.

Scène 3

MARIE-LOUISE, SUZANNE

SUZANNE

Il est parti, c’est fini. Mon César, j’ai voulu passer le torrent avec toi, mais une tourmente imprévue a éclaté et mille glaçons m’ont percé le cœur. Maintenant je suis au milieu du fleuve, toute aspergée d’amour. Je n’atteindrai jamais la berge et le flot va m’emporter. Cela m’est égal. Que vas-tu devenir ? Jean-Baptiste. Jean-Baptiste.

Elle sort.

Scène 4

MARIE-LOUISE

J’enrage. Je vais le trainer en justice, il répondra de ses forfaits. Il me tient. Il l’a conservé. Mon ruban. Mieux rondelette que maigrelette. Le ruban à mon nom. Je veux faire fouetter le curé et toutes les sœurs. Il ne m’a pas rendu mon ruban. Il ne dira rien. Il dira tout, c’est une pie. Je suis déshonorée. Personne ne me viendra-t-il en aide ? Comment a-t-il pu ? C’est un enfant. Ses joues étaient rouges quand il parlait. Comme la poitrine de son père. Comment a-t-il pu ? Ma gorge est belle et mes hanches sont douces, j’en aurais fait un nid pour toi. Ce monde est dur, Jean-Baptiste. Tu aurais pu t’attarder un moment, avant de t’envoler.

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