La dernière nuit

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Il était enfin rentré. Transi de froid, trempé jusqu'aux os, ses vêtements dégoulinaient sur le carrelage du hall de son immeuble. Il poussa un soupire en relevant sa capuche, tout en se dirigeant machinalement vers sa boite aux lettres.

Il pris négligemment un petit tas de courrier avant d'aller vers les escaliers en direction du troisième étage. En montant les marches, il passa en revue ses missives, principalement des livrets publicitaires qu'il allait pouvoir mettre directement à la poubelle. Mais au milieu des déchets se trouvait une petite enveloppe. Le papier était plutôt beau, d'un grain légèrement parcheminé. Seul son prénom apparaissait au milieu de l'enveloppe. Pas d'adresse de départ, ni d'arrivée. La personne qui la lui adressait l'avait probablement mise elle-même dans sa boite aux lettres.

La calligraphie de son prénom était travaillée, tracée certainement avec un stylo plume, d'une encre bleue.

Il arriva chez lui, accueilli par les miaulements accusateurs d'un félin tigré, de la couleur du sable. Il lui adressa quelques caresses pour l'apaiser, avant de se diriger vers son salon. Il déposa la lettre sur une table basse qui prenait place devant un grand canapé, avant de brancher une enceinte à son téléphone pour mettre de la musique.

Il s'assis finalement, et repris la lettre entre ses mains. Il l'ouvrit en décollant minutieusement la fermeture, pour en sortir une feuille pliée en trois, noircie d'une écriture ronde mais serrée.

Son cœur loupa un battement en la reconnaissant.



Sam,

Pardonne moi cette initiative. Je t'écris sous la pression de la crainte. La crainte de ne pas avoir d'autre occasion de te dire ce qui va suivre. C'est égoïste de ma part, car je vois bien quel combat tu mènes pour me garder à distance. Mais je ne peux m'empêcher ce dernier caprice.

Depuis quelques temps maintenant, ma tête me fait défaut. Elle se joue de moi, me brûle, m'électrise, me susurre des tourments. Par chance, elle ne m'a pas rendue diminuée. J'ai toujours, je crois, mes facultés. Seulement, plus le temps passe, plus la pression se fait constante, insistante, puissante.

Les petits maux de tête se sont, au fur et à mesure, transformés en éruptions électriques. Les ponctuelles conversations solitaires se sont transformées en chuchotements indésirables incessants. 

L'apaisement que m'octroyaient nos retrouvailles oniriques s'est transformé en une volonté de ne plus quitter mes songes, en une appréhension du réveil.

Jusqu'à mon dernier rêve. Celui duquel je me réveille tout juste, et qui m'a incité à t'écrire cette lettre.

Comme tu le sais, de part nos longues discussions, je n'ai jamais vraiment crains ma mort. Et je ne la crains pas plus aujourd'hui d'ailleurs. La vérité, c'est que je l'ai rêvée, pour la première fois de ma vie.

Dans mon rêve, je sentais que c'était le moment. Je savais que mon esprit allait s'échapper définitivement. Je savais aussi que je souhaitais partir discrètement. Je suis donc allée prendre ma voiture, et je me suis dirigée à l'aveuglette par les petites routes, jusqu'à trouver un sentier juste éclairé par la lune. Je l'ai emprunté jusqu'à l'entrée d'un petit bosquet.

L'endroit semblait sauvage. Je me suis alors arrêtée pour contempler une dernière fois la gardienne de la nuit, blanche et ronde, au milieu de toutes ses filles scintillantes. Je me suis ensuite blottie sous des couvertures, sur la banquette arrière. J'ai repensé à nos étreintes, et c'est dans la chaleur de ces souvenirs que je me suis laissée aller.

Alors que le vertige du vide me gagnait, les chuchotements et la douleur cisaillante se sont ravivés subitement, me propulsant hors de mes songes.

Peut-être est-ce simplement un nouveau tour de ma tête malade. Peut-être me suis-je précipitée sur mon stylo pour rien. Mais dans l'idée que cette nuit pourrait être la dernière, je tenais à t'adresser une dernière fois ces mots.

Je ne saurai dire si c'est un adieu. Peut-être le destin me laissera-t-il te serrer une nouvelle fois dans mes bras. Mais je veux que tu saches  que tu es ma plus belle rencontre. Ma plus grande fierté. Ma plus grande joie. Tu es la personne la plus admirable que je connaisse. Si ce doit effectivement être ma dernière nuit, alors ce sera avec le sourire aux lèvres, en me rappelant les moments passés à tes côtés.

Je t'aime, Sam. Je t'ai toujours aimé.

Prends soin de toi.

                                                                                                            Liv.



Il avait l'impression qu'un blizzard faisait rage dans sa poitrine, que son cœur s'était transformé en un bloc de glace. Il ne parvenait pas à esquisser le moindre geste.

Il restait figé, les yeux rivés sur les derniers mots de la lettre qu'il tenait entre ses mains tremblantes.



TTR.

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