La dérobée

Kazan Fuurin

Enième perplexité sur la page blanche - paradoxalement thème récurrent de l'écrivain - l'écriture morte, la muse que l'on poursuit et qui nous abandonne à nos efforts.

Je te vois, tu es tout le temps là, en filigrane. Du fond de l'œil tu te soustrais dès qu'on essaie de te saisir, le rire entre tes pas. Tu fausses compagnie avec tes fausses notes. Tu donnes fausse joie avec tes fausses routes. J'opère dans le cliché en disant que tu es une jeune femme aux mille visages, au sortir de l'adolescence, aux mouvements graciles et au rire frais.

Tu nous offres la déconvenue par ton absence, en refusant les faveurs lorsque nous te réclamons. Les rares fois où nous réussissons à décrocher une entrevue, un impromptu tête-à-tête dans ta tête, solennel et que nous notons l'heure, le lieu, les circonstances de ta visite, alors tu nous poses un lapin lorsque nous programmons un rendez-vous régulier.

Ta robe cannelée nous hante lorsque nous essayons, à la pointe de nos poinçons à encre, de friser de la dentelle secrète sur un morceau de ton tissu ; qu'au travers de laquelle, au microscope de nos esprits, on peut y croiser des histoires et des idées.

Certains sous le feu de rituels, souvent nocturnes, arrivent à piéger tes mauvaises attitudes, et ainsi peuvent t'étudier à loisir sous toutes tes coutures pour mieux retranscrire ton grain de peau, ton grain de voix.

C'est lorsque nous nous y attendons le moins que nous entendons l'écho pianissimo de ta voix, les dernières tesselles d'un rêve absorbées à l'orée de la brume qui s'évanouit. Alors vite ! Nous attrapons nos stylos, et jetons l'encre entre les spirales et l'écume. Vite, la ligne tressée a plongé à moitié sous l'eau, mais, hélas, reste bredouille de toute proie, et des fois, piètre consolation, ne révèle que du fretin. Comme l'on brise le silence ou le souhait lorsqu'on le révèle, sortir le carnet à nos moments morts, dans l'attente d'un ami sous l'horloge ou assis au fond d'un métro, te chasse au moment où tu t'apprêtes à souffler tes mots lutins au creux de nos oreilles.

A la dérobée, c'est ainsi que tu nous observes sous tes lumières espiègles, quand impuissants, colériques, déprimés, nous nous recueillons à bord de la feuille blanche.

Ci-gît notre inspiration

Bien longtemps avant – Bien longtemps après

Tu nous as dérobé ce que nous avons dérobé, les mots et les phrases, les actions et les rimes, les dialogues et les descriptions à n'en plus finir, puis sans fond jalousement dissimulé par des amas de branches que tu jettes pour éviter le regard inopportun de chacun. Ces trésors, qu'ils soient simples par l'harmonie de trois joyaux, orpailleur à la recherche de la richesse brute ou fin orfèvre à la mécanique délicate et myope, restent à jamais enfouis dans des coffres qui n'existent pas.

Tu te dérobes et nous te dérobons, à coups de doigts qui t'empoignent et tente de déchirer ta robe, dernier rempart sous ta peau que nous voulons tatouer.

  • Je vous découvre sur le site, et j'aime particulièrement votre style d'écriture ! Ah, la page blanche... Je me représente l'inspiration comme une muse enterrée au sous-sol et qui regarde les matchs de foot pendant qu'on travaille. Et, parfois, elle vient répandre sa poussière magique sur notre traitement de texte...
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    · Il y a plus de 10 ans ·
    Imageldd1

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    • Merci. Je serai plus romantique en l'imaginant comme une sorte d'ange qui vient dire bonjour effectivement de temps à autre !

      · Il y a plus de 10 ans ·
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      Kazan Fuurin

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