2 minutes d'arrêt

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La première fois, elle portait une robe blanche dont il se rappelle encore.

La première fois, elle le cherchait sur le quai de la gare. Elle n'avait jamais vu son visage, mais connaissait déjà son nom qui lui donnait des envies de voyages. Elle aimait lui attribuer tout un tas de caractéristiques physiques qui se révéleraient fausses par la suite.

Il faisait beau, le soleil accentuait la blancheur de sa peau et la rousseur de ses cheveux. Arrivée depuis une dizaine de minutes, elle avait voyagé dans un train qui ne possédait que deux wagons eux-mêmes composés de six compartiments en bois, maigre dispositif pour traverser cette région, hostile en cette saison. Elle avait lu un magazine et s'était passionnée pour divers papiers spécifiques à des régions perdues. Avant que le train ne s'arrête elle avait pris soin de déchirer tous les articles qui l'avaient interpellé pour les ranger dans son carnet, carnet qui contenait tout un tas de prospectus et d'annotations objectivement sans intérêt, mais qui pour elle avait une grande importance. Une fois le pied-à-terre elle alluma une cigarette et jeta le reste du magazine, maintenant en lambeau. 

Et tout cela, dans cet ordre, pas autrement.

Elle était venue deux fois dans cette gare quelques années auparavant et se rappelle avoir attendu plusieurs heures sur le quai, sans émotions particulières. À chaque fois elle avait subi cette chaleur écrasante. À chaque fois personne n'avait hâte de la retrouver et personne n'était triste qu'elle soit partie. Elle savait ce qui l'attendait, mais restait intriguée par ce prénom, la description qu'on lui avait faite de ce personnage qu'elle n'allait pas tarder à rencontrer. 

Son regard caché derrière de grandes lunettes de soleil balayait le quai, scrutait le moindre recoin. Est-ce lui ? N'est-il pas un peu jeune? Un peu vieux? Elle l'imaginait grand mince et brun, avec une peau mate, une allure voutée, peut être une barbe, elle savait qu'il était plus vieux qu'elle.

Elle était consciente  qu'il y avait de grandes chances pour qu'elle se trompe, mais elle voulait savoir à quel point, elle voulait se laisser les quelques minutes qu'elle avait pour divaguer. Elle souhaitait jouir encore un peu du pouvoir de son imagination avant la grande déception.

Elle mordillait ses lèvres maquillées en rouge. Quand elle s'en rendit compte, ne connaissant pas l'étendue des dégâts, elle entreprit de l'enlever avec un morceau de son billet de train. L'emprunte de ses lèvres vint se poser de nombreuse fois sur la destination, l'heure de départ ainsi que sur celle d'arrivée. Le rouge de ses lèvres se transforma en rose lui donnant un air de poupée, mais ça, elle ne le savait pas, lui cependant le remarquerait.

Elle se plongeât soudainement dans de grandes angoisses existentielles. Se rappellerait-elle de ce moment anodin dans quelques  années? Si cette sensation de terrible chaleur sur sa peau ne se reproduisait plus? Et si en réalité ce moment devait être le plus important de sa vie ? Si ce qui était le plus important n'était pas la destination, mais le trajet? Songeant aux nombreux billets de trains présents dans son sac rempli de babioles, cette idée la rassura. Elle savoura la sensation d'une vérité enfin comprise, d'angoisses disparues, sans sentir sa présence, sans savoir qu'il était juste derrière elle, arrivé.

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