Nouvelle écrit pour le lycée. Le sujet était d'écrire, en utilisant une argumentation indirecte, un texte pour défendre ou dénoncer quelque chose qui nous tient à coeur.
5h30. Le réveil sonne, encore, comme chaque matin. Et comme chaque matin, je vais devoir me lever pour affronter la mort et la souffrance tout au long de la journée. Il va de nouveau falloir supporter cette violence et ce déni pendant de longues heures qui passeront comme des jours. De nouveau, il va falloir se retenir de prendre mes jambes à mon cou pour fuir l'horreur qui règne.
Le froid matinal de ce mois d'octobre engourdit encore un peu plus mes jambes qui me hurlent qu'elles ne veulent plus avancer. La portière claque, mes mains se posent sur le volant sans même y penser, comme une habitude un peu trop ancrée. Le moteur démarre et me voilà parti. La route défile devant mes yeux, sans que j'y songe, trop obsédé par l'atrocité qui se trouve au bout du chemin.
7h. Le moteur cesse de vrombir. La route cesse de filer. Et sans même avoir le temps de le réaliser, mes jambes se mettent à trembler et mes mains deviennent moites.
On entend au loin un crissement de pneus. Ca y est, le premier est arrivé. Le claquement d'une portière qui se ferme se fait entendre. Un homme sort de la brume matinale, avance vers moi, un sourire de vainqueur placardé sur le visage. Il me parle, m'explique à quel point l'animal qui se trouve dans la bétaillère raccrochée à sa voiture est inutile.
Il m'est devenu impossible de les écouter, tétanisé par les hurlements de peur provenant de leur véhicule. Et plus les mots dédaigneux et haineux sortent de sa bouche, plus mon dégoût pour la race humaine grandit. Et en voilà d'autres qui arrivent, provoquant un lugubre concert de crissements de graviers.
La haine se lit sur chacun des visages ; mais ils ne le prouvent que lorsqu'ils finissent par sortir leurs bêtes apeurées à coups de pieds et de hurlements. Parfois en sortent quatre d'un espace créé pour n'en accueillir qu'un. Ces pauvres chevaux n'arrivent souvent même plus à avancer sans tomber, brisés par l'ambition et l'égo surdimensionné de l'Homme. Trop compliqués, trop caractériels, trop grands, trop fragiles, trop peureux ; peu importe la raison, tout est bon pour se débarrasser d'eux qui n'ont rien demandé. Comme si l'on jetait un vieux jouet cassé. Et le pire dans tout ça, ce sont les sourires de ceux qui savent. Comment peuvent-ils prendre plaisir en sachant vers quoi ils envoient ces êtres qui leur ont tant donné ? Les heures, les jours, les semaines de torture à venir méritent tout sauf un rire. Il n'y a rien de drôle dans ce chemin dont aucun ne sortira vivant.
Et les animaux s'entassent, et s'entassent. Les membres sont tordus, brisés. Ceux qui ne paniquent pas se laissent mourir, écrasés par les autres, terrifiés. Chacun de ceux qui participent à ce joyeux massacre n'ont qu'une idée en tête : la somme astronomique qu'ils empocheront le soir, en rentrant chez eux. Et c'est ainsi qu'ils essayent d'en faire monter un maximum dans ce camion qui roule droit vers une mort certaine. Ils sont tellement serrés que la température devient insupportable à l'intérieur ; mais le pire reste à venir. Près de la moitié d'entre eux finiront par s'écrouler, épuisés, déshydratés, affamés. Leurs corps finiront broyés par les sabots de ceux qui tentent de résister.
Cette idée tourne en rond dans ma tête. Inlassablement, comme une musique infernale. Mais qu'est-ce que je fais là, observant toute cette douleur, et essayant de comprendre comment ceux qui sont à mes côtés peuvent aimer ce métier ? Mais pourquoi suis-je là, à ne pas réagir ? Pourquoi me rendre complice moi aussi ?
Mon regard se floute, mes jambes deviennent flasques, au point que je finis par me demander comment elles font pour supporter le reste de mon corps. Un des hommes s'approche de moi, Je suis pris d'un haut-le-cœur violent, me rappelant une fois de plus mon aversion pour les humains comme celui qui s'avance vers moi.
« On y va ? »
Ses paroles mettent fin de ma rêverie et c'est alors que j'entends les hurlements de détresses qui sortent du camion. C'est alors que je vois, comme chaque jour, les hommes sur le toit du camion ouvert, armés de pistolets électriques qui servent à obliger les animaux tombés de fatigue et de soif à se relever. Ils en usent toujours un peu trop, se délectant de cette terreur qui emplit les yeux de ces pauvres êtres agonisants qui ne comprennent pas ce qui leur arrive. La mort emplit cet endroit comme un esprit hante une maison.
« Et oh ! On y va ? »
Cette fois il faut vraiment y aller. Pourtant, mon corps tout entier refuse d'avancer, terrorisé par ce spectacle terrible. Ma tête finit par avoir raison de lui, et mes jambes m'emmènent vers le siège du conducteur pour que je puisse trainer cet engin vers sa destination finale.
Il y a quelqu'un à côté de moi. Quelqu'un qui parle, et que je ne peux écouter, comme d'habitude. Quelqu'un qui parle de tout, de rien. Ignorant totalement le fait que l'agonie nous colle à la peau ; ignorant le fait que, tous les jours depuis deux ans, nous nous rendons coupables de meurtres de masse. Négligeant cette vérité qui crève les yeux.
La route est encore longue avant d'arriver. La souffrance se sent partout autour de moi, et pourtant, j'ai l'air d'être le seul à la remarquer.
La chaussée défile sous le camion à double étage, tout comme les dernières heures de vie de ses occupants défilent devant mes yeux embrumés par les larmes. Et les paroles de mon voisin sonnent comme des mensonges, comme tout un tas de trahisons prononcées par un monstre.
Et au fil de mes pensées, le temps passe beaucoup trop vite. Assez vite pour qu'on finisse par voir le chemin de graviers qui mène vers une destinée funeste. Un dernier virage, un dernier crissement de pneus qui résonne chaque jour dans ma tête. Le camion immobile, criant, bougeant. Les portes s'ouvrent, et une ruée de terreur en sort. L'un d'entre eux, un peu plus lent, trébuche, tombe, allongé sur le pont de passage, et une vague d'esprits terrorisés lui passent dessus. Finalement, un filet de sang finit par glisser le long de la terre battue qui part en fumée sous les milliers de sabots.
Et un de plus dont les souffrances sont achevées. Un de plus, parmi ces dizaines qui sont encore à l'intérieur du véhicule, immobiles à jamais. Un de plus, devant mes yeux. Et un rire retentit au loin, se moquant de ce qu'il qualifie de « stupide animal ».
Puis les gens s'affairent autour des corps, les faisant tomber sur le sol comme de simples habits déchirés qu'il faudrait jeter. Et le massacre continue, chacun des équidés se retrouvant dans un endroit clos, jonché de corps qui sont ramassés à la pelle et ajoutés aux autres. La terreur et l'horreur règnent ici-bas. La douleur est telle que l'envie de tous les achever me tord le ventre.
Mais bientôt, bientôt, ils passeront dans le couloir, se feront transpercer le crâne, et leurs souffrances seront achevées. À moins que, peut-être, ils ne fassent partie de ceux qui n'auront pas cette chance ; à moins qu'ils ne fassent partie des rares qui souffriront jusqu'au bout, jusqu'à ce qu'assez de liquide écarlate ne se soit échappé de leur corps pour arrêter d'en être conscients.
Il est temps de repartir. Il faut que je reprenne le volant, répugné par cette atrocité que je viens de commettre. Tout en conduisant, je pense à ce que nous avons fait. Je finis par conclure que le fait d'abattre en série des milliers d'être vivants est loin d'être la pire des choses à laquelle nous participions. Non, la vérité est que le pire de tout se trouve être la torture infligée à ceux qui ne nous ont rien fait. Une torture innommable lors de laquelle ces animaux blessés et malades sont transportés de manière atroce, entassés, sans eau, sans nourriture, épuisés, sans pouvoir se reposer. Piétinés.
Puis mes pensées se tournent vers ceux qui ne sont élevés que pour nourrir notre besoin de satisfaction surdimensionné ; ceux qui ne voient pas le jour, qui n'ont même pas assez de place pour respirer. Ces volailles, ces ruminants, ces porcins.
Oui, il y a tous ceux là aussi. Tous ceux là qui ne serviront qu'à nous faire plaisir. Tous ceux que personne n'a jamais connus, et que personne ne connaîtra jamais.
Et plus je pense, plus j'ai peur de moi-même. Comme l'a écrit un jour Victor Hugo dans un poème, « Penser, voilà ton but ; vivre voilà ton droit. Tuer pour jouir, non ». Et je finis par me dire que je devrais me battre, moi aussi. Je devrais dénoncer, moi aussi. Parce que la vérité, c'est qu'assister à une horreur pareille sans la dénoncer, c'est en devenir complice.
Ton professeur a dû être très satisfait !
· Il y a presque 10 ans ·Je trouve ton texte abouti et fort.
veroniquethery
Oui, c'est vraiment un sujet qui me tenait à coeur :). Merci beaucoup du compliment!
· Il y a presque 10 ans ·Petite Plume Volcanique
C'est un sujet que j'affectionne aussi. Bizarrement, je n'ai pas encore écrit dessus ! LOL
· Il y a presque 10 ans ·veroniquethery