la face du diable

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                                           La face du diable

 

    L’avenue zoé était bien calme pour une matinée enjouée de décembre. J’avais rendez vous avec David- c’est le nom qu’il avait laissé au standard quand il avait appelé deux jours plutôt, suppliant que notre journal lui accordât une interview- J’ai de terribles confessions à faire sur Patrick Amba Salla … 

Patrick Amba Salla fut le tout premier président de notre pays, décédé un an plutôt. Si ce type était sérieux on tenait un scoop d’enfer ! Je fus désignée pour me rendre chez lui et me retrouvai pour la première fois à rouler dans cette ruelle sinistre. C’était là dans ce trou perdu que j’allais vivre l’histoire la plus terrifiante de toute ma vie !

Après une centaine de mètres je me garai devant un vieil immeuble délabré. Des enfants jouaient dans une cour voisine. Je m’approchai d’eux :

-Je cherche David. Est-ce que vous le connaissez ?...

Ils devinrent blêmes et s’enfuirent sans me répondre. Tandis que je réfléchissais, perplexe, je me sentie observée et me retournai brusquement. Près de l’immeuble, dans ce qui fut autrefois un jardin, un homme était assis sur une balançoire. Je ne sais pourquoi cette présence me mit instantanément mal à l’aise.

-Vous cherchez David ? Demanda t-il d’une voix sans timbre.

-Oui, Savez vous où je peux le trouver ?

-Il vit là haut ! Dernière porte à droite.

J’allais m’y rendre quand je me souvins de la réaction des enfants. Je m’approchai de l’inconnu. Plus près, je fus étonnée par sa pâleur qui contrastait avec le costume d’officier qu’il arborait.  

-Pourquoi ils ont fui quand je leur ai parlé de David ?

-Parce qu’ici personne ne l’approche jamais. Il est assez étrange ce mec ! On ne le voit jamais. Paraît qu’il ne sort de chez lui que lorsqu’il fait noir. On se demande bien de quoi il a peur…Tout ça fout un peu la trouille !

- Vous n’avez pas peur vous ? Fis-je avec ironie en balayant d’un mouvement de tête le jardin vide.

-Moi, je suis son seul ami…à part l’autre !

-L’autre… ?

-Paul ! On les écoute souvent se disputer dans la nuit…

- Et ce Paul, on le voit quand même lui ? Fis-je avec un brin d’humour.

Au fond toutes ces drôleries me faisaient un peu rigoler, ce qui sembla soudain l’agacer. Il se leva et disparu au fond du jardin. Tandis qu’insouciante je rejoignais la maison, j’entendis sa voix :

-Faites gaffe avec ce type !

Ignorant l’avertissement je regagnai le vestibule et attaquai l’escalier en colimaçon. L’intérieur était encore plus délabré que la façade extérieure. Partout les murs étaient couverts de moisissure et de poutre s’évadant de vieux mobiliers éventrés.  L’air exhalait une forte odeur de pourriture. J’en eu l’estomac révulsé. L’escalier débouchait sur un immense couloir bordé de portes. La dernière à droite était entrouverte. Je lorgnai prudemment par l’entrebâillement quand  une voix affaiblie me pria d’entrer. Je poussai le battant et m’introduisit dans la pièce. Autour de moi c’était un véritable capharnaüm. La vétusté du mobilier apportait à l’extrême encombrement un aspect si antique qu’il en devenait sinistre.

-Je vous attendais !

La même voix fatiguée, fusa en même temps qu’un énorme fauteuil en acajou poli commençait à se retourner vers moi. En apercevant mon interlocuteur, je failli instinctivement pousser un cri. Perdu au fond du canapé, un vieillard aux allures d’épouvantail me scrutait de son regard de feu. La dernière fois que j’avais vu un tel spécimen, c’était dans le seigneur des anneaux.  Ayant sans doute remarqué mon effroi il sourit ou du moins essaya de faire un truc qui y ressemblait. En toute franchise j’aurai souhaité qu’il m’épargne le spectacle de sa dentition de félin.

-Asseyez vous, fit-il en m’indiquant le fauteuil en face de lui.

Les coussins étaient éventrés et une mousse de couleur douteuse se répandait jusqu’au sol. Je sortis de mon sac un châle dont je ne me sépare jamais et en recouvrit le fauteuil, puis refoulant ma répugnance je m’assis.

-Alors, il parait que vous avez une belle histoire à me raconter…Maugréai- je en sortant mon magnéto, prête à enregistrer notre conversation. Qui êtes vous et qu’avez-vous à nous dire ?

-Mon nom est Yangana Qrsel David ! Je fus pendant 25 ans au service de Patrick Amba Salla. C’est à cette occasion que j’ai pu être témoin d’un certain nombre d’actes. Voilà près de 40 ans que je vis avec ce fardeau. Je me suis recroquevillé dans ce trou, pensant trouver la paix. Mais je n’y arrive pas. Comment peut-on d’ailleurs espéré trouver la paix quand on a trahi ce qu’on a de plus cher au monde ? Quand on a trahi son propre ami ?

-Qui est cet ami et en quoi l’avez-vous trahi ?

-Il s’appelait Paul Benkissale et j’ai participé à son assassinat.

-Savez vous qu’il s’agit là d’une déclaration grave ?

-Pensez vous que je l’ignore ? Aucun châtiment ne peut surpasser celui que je vis en gardant le silence.

-Vous nous avez dit au téléphone que vous feriez des révélations sur le président Patrick Amba Salla. Est-il impliqué dans l’assassinat dont vous venez de parler ?

-Il en était le commanditaire principal.

-Principal ? Alors il y en avait un secondaire ?

-Je dirai plutôt un indirect !

-Pourquoi indirect ?

-Parce que c’était lui le véritable consommateur de ce crime odieux.

-Et qui était ce ?

-Le diable !

-Le diable ! Rétorquai je, à la fois ironique et choquée. Ce mec était un vrai dingue et je perdais mon temps. Je m’apprêtai à me lever quand il me saisit brutalement par la main. De nouveau j’étouffai un cri puis arrachai ma main.

-Vous savez où vous pouvez les mettre vos histoires à la con ? Rugis-je en m’élançant vers la porte.

-Restez je vous en prie ! Hurla-t-il, soudain pris de panique. Vous devez m’écouter. Je veux mettre un terme à tous ces cauchemars !...Je veux enfin trouver du repos. Il me persécute. Il revient toutes les nuits. Je n’en peux plus je suis à bout de force

Il semblait si terrorisé que je revins sur mes pas.

-Qui est ce qui vous persécute ? Demandais-je, intriguée.

Il me jeta un regard rempli d’effroi, puis comme une horrible confidence il murmura :

- Paul ! Il revient tous les soirs. Il hante mes nuits. Il veut que je paie pour ce que je lui ai fais…

-Quand et comment son assassinat a-t-il eu lieu ?

Son regard s’assombrit :

-C’était un soir d’octobre 1972…

Il s’interrompit un moment, comme pour trouver la force de révéler ces souvenirs douloureux.

-Tout a commencé une semaine plu tôt. Le président m’a appelé dans son bureau. Il était paniqué. On venait de lui apprendre une terrible nouvelle et j’étais le seul à pouvoir l’aider. Il voulait que tout se passe proprement et même s’il ne l’avait pas expressément formulé j’entrevoyais une belle récompense à l’horizon. J’avais toujours envié le poste de SG. Je n’étais plus qu’à un pas d’y parvenir...Le seul problème était ma conscience. Après dix années de service à la présidence j’avais perdu beaucoup de mes vertus, mais pas au point de devenir un assassin ! Et cependant le désir de puissance finit par prendre le dessus.

Le jour suivant j’invitai Paul au palais. Je l’avais choisi pour deux raisons : il était un haut gradé de l’armée-selon les critères du président- et je le connaissais bien. On était de vieux amis de l’académie et j’aurai, mieux qu’avec un inconnu, su comment « blanchir » l’affaire. Paul c’était un chouette gars ! Il était si heureux d’apprendre qu’il avait été choisi par le président pour accomplir une mission secrète! Il souriait, incrédule. Je lui recommandai dès cet instant de simuler un voyage et de s’installer à l’hôtel et d’y attendre mes instructions.

Le jour j je vins le chercher à l’hôtel. Le président voulait lui parler en personne. Il voulut mettre un costume pour l’occasion mais je lui recommandai son uniforme de cérémonie. A 20h  nous quittâmes l’hôtel et nous rendîmes au palais. Nous fûmes reçus par le SG qui nous tint compagnie pendant près de deux heures dans la salle des pas perdus. Puis on vint nous chercher et on nous dirigea jusqu’au bas du perron où deux Chrysler attendaient. On nous fit monter dans la première. J’eu le temps d’apercevoir dans la seconde une ombre semblable à celle du président. L’instant d’après les voitures quittèrent le palais. Il était 22 heures.

Nous empruntâmes la nationale A22 et prîmes la direction du sud. Le début du trajet fut très silencieux. Je restais très concentré sur la fin de cette éprouvante aventure pour éviter de me focaliser sur le présent. Il me fallait oublier les battements saccadés de mon cœur dans ma poitrine à mesure qu’on avançait vers le but, les relents insupportables de la vague de culpabilité à chaque fois prête à m’envahir…Il me fallait oublier de peur de devenir fou. J’avais remarqué depuis un moment que Paul était inquiet. Il n’arrêtait pas de regarder en arrière. Alors que nous atteignions la sortie de la ville, il se pencha vers moi :

-Tu ne trouves pas tout ça un peu bizarre ? Fit-il à voix basse.

-Comment ça bizarre ?

-Tout ça ! Une mission dont on ne me dit rien du tout, le président qui va me recevoir et puis plus rien, et puis ces types là derrière…Bon sang c’est quoi toutes ces conneries ?

-J’en sais pas plu que toi, fis-je sur le même ton de confidence, le président est là derrière. T’auras qu’à lui poser la question une fois que nous serons à destination !

J’avais tapé dans le mille ! L’idée que le président ne s’était pas moqué de lui sembla grandement le soulager.

-Alors il est là ? C’est vrai tu l’as vu ?

-J’ai aperçu quelqu’un qui lui ressemble mais je parierai bien un petit pactole qu’Amba salla est bien assis là derrière !

Le reste du voyage fut plus détendu. Nous avions déjà parcouru une dizaine de kilomètres quand le cortège bifurqua dans la forêt. Nous roulâmes quelques minutes sur un sentier obscur puis il s’immobilisa. Devant nous s’étendait un fleuve immense. Une pirogue éclairée par un lampe tempête se rapprochait du rivage. On nous fit descendre du véhicule. Paul était étrangement calme. Je suis encore étonné qu’à cet instant il n’ait pas tout compris. Il devait horriblement me faire confiance !

    Il dut s’interrompre encore un moment. Je remarquai que ses yeux s’étaient remplis de larmes. Moi aussi j’étais perturbée. Cette histoire me brisait le cœur en même temps qu’elle me faisait frissonner.

« La pirogue avait atteint le rivage. L’homme qui était assis dessus nous tournait le dos.

-Qui est-ce ? Me demanda Paul

Je l’ignorais moi-même. Mais je n’eu pas le temps de lui répondre. Les portières de la seconde voiture venaient de s’ouvrir. Le président descendit, en compagnie de deux hommes. Ils s’approchèrent de nous. Instinctivement Paul lui servit un café.

Patrick Amba Salla posa une main amicale sur son épaule.

-La nation te sera éternellement reconnaissante pour ce grand sacrifice que tu accomplis aujourd’hui…

Puis il se retourna et après m’avoir fais signe, nous regagnâmes la voiture. Je pouvais imaginer l’exultation de Paul se figer peu à peu au fur et à mesure que nous nous éloignions. En claquant la portière, j’entendis un faible halètement à l’extérieur. Les hommes du président étaient entrain de le ligoter. Je n’eu pas la force de me retourner. Je m’adossai contre le siège, attendant que ça finisse !  Bientôt l’un des hommes du président vint s’asseoir à l’avant de mon véhicule et donna l’ordre de rentrer. Je poussai un soupir de soulagement. Enfin tout était terminé !

  C’est alors que je commis une erreur monumentale. Je me retournai et ce que je vis me glaça jusqu’au sang. La pirogue avait atteint le milieu du fleuve et je vis le vieil homme un sabre dans la main, prêt à sacrifier sa victime. L’instant d’une seconde, un éclair providentiel me révéla son visage. C’était un masque ancestral qui semblait avoir traversé les âges…

Je me retournai épouvanté avec la certitude que ce visage là allait me hanter le restant de mes jours. Et ce fut le cas.

   De nouveau il s’arrêta. Il avait le regard perdu dans le vague et les mains qui tremblaient. J’hasardai une question :

-Et le poste vous l’avez eu ?

-Non, mais j’ai eu une place aussi enviable. Je suis restée DCC durant toute la présidence de Patrick Amba Salla. Je jouissais de privilèges immenses et noyai ma souffrance dans les plaisirs de la vie. Mais depuis toujours elle a appris à nager cette horrible vérité. Voilà vous connaissez toute l’histoire. Maintenant laissez moi, j’ai très  envie de me reposer…

   Il ferma les yeux. Je l’entendis soupirer profondément et pensai tristement que c’était assurément le premier vrai soupir de toute sa vie.

Il était temps pour moi aussi de sortir et respirer un bon coup d’air frais. Près de la porte, une photo attira mon attention. Deux officiers souriaient, l’air heureux. L’un d’eux m’intrigua

-Qui est cet homme ?

-Qui ça ? Le type là tout joyeux ? Eh ben c’est Paul !

Je sentis un frisson parcourir mon corps. Le type dans le jardin m’avait raconté des bobards. Il n’y avait jamais eu qu’un seul ami : Paul et c’était lui ! Je venais de discuter avec un type mort depuis plus de 40ans ! La terreur me paralysa et aujourd’hui encore j’ignore comment je réussi à retrouver le chemin de la sortie.

Dehors je m’adossai un moment contre la voiture pour remettre de l’ordre dans mes idées confuses.

-Hé Mme vous n’avez pas le droit de vous garer là !

Je me retournai et n’aperçu qu’un uniforme qui m’arracha un hurlement d’effroi.

-Vous allez bien ? Fit l’agent de police surpris par ma réaction.

-Oui, excusez moi je m’apprêtais à partir…Balbutiai je.

Au moment de partir quelque chose m’intrigua

-Au fait pourquoi n’ai-je pas le droit de me garer ici ? C’est un domicile privé !

-Certes, mais réquisitionné pour besoin d’enquêtes. C’est la procédure chaque fois que quelqu’un décède de cause inconnue

-Quelqu’un serait mort ici ?

-Ben oui, le proprio !

-Qui ça David ? Demandai-je ahurie.

-Vous le connaissiez ?

-Mais je viens de lui parler à l’instant !

-Vous en êtes sûre ? Fit-il avec ce même ton ironique que lorsqu’on s’adresse à un fou.

-Je vous assure que c’est vrai ! Implorai-je, incrédule, abasourdie.

J’étais au comble du désespoir. J’aurai été prête à inventer n’importe quoi pour être rassurée que je n’avais pas le même jour parlé avec deux fantômes.

-Je peux vous y conduire si vous le voulez…

J’étais assommée,comme un homme ivre. Il me regardait, circonspect et intrigué. Et pourtant il accepta de me suivre. Nous montâmes jusqu’au couloir. La porte de la chambre était fermée à clé,ce qui me surprit.

-Je vous assure qu’elle était ouverte tout à l’heure…balbutiai je,confuse et perdue.

Il fouilla dans sa poche et en sortit un trousseau de clés.

-Je veille sur cette bâtisse depuis trois mois et je puis vous assurer que personne n’a pu ouvrir cette porte.

Il ouvrit la porte.

-Vous voyez, il n’y a personne dans cette pièce. Comme vous pouvez le constater,elle est entièrement vide !

 Elle l’était en effet. Même la photo avait mystérieusement disparu. En sortant une seule chose m’avait intriguée : le fauteuil en acajou poli était tourné vers la porte. C’était pour moi la preuve indéniable que même si personne n’allait croire à mon histoire,je n’avais pas rêvé ce jour là.

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