La Faute à la vie - Chapitre Huit

Julie Vautier

Peter Bailey est avocat, éternel commis d'office pour les jeunes délinquants. Il n'attendait plus rien de la vie. Jusqu'au cas Killian Murray.

Je me suis levé aux alentours de neuf heures. On était samedi. Je pouvais profiter un peu. J'ai marché comme un zombie jusqu'à la cuisine. J'ai mangé des céréales. Un vrai bol de vraies céréales avec du lait. Ça a quand même plus de goût que les pauvres petites miettes des fonds de paquet. J'ai allumé la télé. J'ai regardé la chaîne d'infos en continu. Double meurtre dans la ville voisine. Piratage de la Bourse de Paris. Cambriolage, viol, élections présidentielles. Un matin normal dans le monde.

La porte de Killian était fermée. J'aurais bien aimé petit-déjeuner avec lui. J'aurais aimé discuter avec lui. Je dois prendre rendez-vous chez un spécialiste pour son sevrage. Je ne pourrai pas m'en occuper seul. J'avais cru pouvoir le faire avec Cassie. Le résultat final n'a pas été très probant. Je préfère éviter de renouveler l'expérience. Je veux qu'il s'en sorte. Qu'il ait une vie et un foyer. Il faut que je lui prenne rendez-vous. Mais il faut que j'y aille avec lui. Il faut donc que je lui en parle.

J'ai attendu. Trente minutes. Une heure. Deux heures. Le déjeuner est arrivé. J'avais eu le temps de ranger le salon. De nettoyer la cuisine et de récurer les plaques. De faire la vaisselle en retard. Toujours pas de Killian en vue. J'ai soupiré. Killian est encore un ado dans sa tête. Même s'il a vingt-deux ans. La notion de réveil lui était étrangère. J'ai hésité à le réveiller moi-même. A une heure de l'après-midi, je me suis décidé.

J'ai toqué. Sans chocolat chaud cette fois. Il était treize heures, faut pas déconner non plus. J'ai toqué. Comme la dernière fois, Killian n'a pas daigné me répondre. Ni m'ouvrir. J'ai râlé. Plus précisément, j'ai marmonné dans la barbe que je n'ai pas. J'ai toqué. Encore et toujours. Sans réponse. J'ai ouvert la porte. Elle n'était pas verrouillée.

Je suis rentré dans la chambre. Pas de Killian. J'ai paniqué. J'ai flippé. Ce petit con s'était encore barré. Je me suis adossé à la porte. Je n'avais aucune idée d'où il avait pu aller. J'ai examiné la chambre. Il avait même pris ses affaires. Enfin, les trois bricoles qui lui servaient d'affaires. Les trois bouts de vie qu'il traînait avec lui. Il les avait emmenés. C'est bête à dire, mais je crois que j'aurais aimé être le quatrième bout de vie.

Je me suis assis sur son lit. De toute façon, je n'aurais rien pu faire pour lui. Je ne l'aurais pas emmené de force chez un spécialiste. Je ne l'aurais pas sevré de force non plus. Je n'aurais pas fait tout ça. J'aurais attendu la fin de l'année. Ça m'a fait mal au cœur de réaliser que je n'aurais rien fait de bien pour lui. J'aurais aimé lui être utile.

J'ai tourné la tête. Mon cœur a raté un battement. Son portable. Il avait laissé son portable sur la table de chevet. Son quatrième bout de vie. Il l'avait laissé. Il allait revenir le chercher. Je pourrais peut-être lui parler. Peut-être. J'ai pris le téléphone. Dernier cri, l'engin. Il s'emmerdait pas, ce petit con. Il avait peut-être une famille friquée qui l'attendait. Ou alors il l'avait volé. Qui sait.

J'ai allumé le téléphone. Pas de code. Le gosse est plus bête que je ne le croyais. L'écran d'accueil s'est affiché. Je suis resté figé. J'ai failli lâcher le téléphone. Je ne m'attendais pas à ça. Je n'étais pas prêt pour ça. Son fond d'écran, ce n'était pas un chanteur ou un coucher de soleil. Son fond d'écran, c'était ma fille. C'était Cassie.

J'ai lâché le téléphone. J'ai couru dans la chambre de ma fille. Elle, elle était verrouillée. Je l'avais verrouillée. J'avais fait mettre un verrou. Pour qu'on n'y entre plus jamais. Pour qu'on ne touche à rien. Jamais. J'ai attrapé la clé, planquée dans la cuisine. J'ai ouvert la chambre. Une odeur de renfermé m'a pris les narines. La chambre n'avait pas été aérée depuis presque deux ans. Avant toute chose, j'ai ouvert les volets et la fenêtre. J'ai laissé entrer la lumière. Puis, j'ai cherché le journal intime de Cassie.

Je m'étais promis… Non, je m'étais juré que je ne l'ouvrirais jamais. C'était sa vie. Ses rêves. Ses peurs. Je n'avais pas à m'immiscer là-dedans. Mais aujourd'hui, j'avais besoin de comprendre. Killian. Qui était-il pour elle ? Elle en avait sûrement parlé dans son journal. Elle écrivait tout dans son journal. Tout ce qu'elle ne me disait pas, elle l'écrivait. Ce journal, c'était sa vie.

Je l'ai ouvert. Les mains tremblantes. Le cœur au bord des lèvres. Je l'ai ouvert. L'écriture de Cassie s'est étirée sous mes yeux. Une écriture ronde, féminine. Appliquée. Partie acheter du lait. J'ai sauté toutes les pages de son enfance. J'aurais aimé les lire. Mais j'avais déjà l'impression de violer quelque chose de sacré. D'intouchable. Je ne voulais pas lire plus que nécessaire. Je suis arrivé à l'année de ses vingt ans. J'ai lu. Sans m'arrêter. J'ai trouvé ce que je cherchais.

J'ai rencontré un garçon aujourd'hui. Je ne sais rien de lui. Les copines disent qu'il n'est pas fréquentable. Elles disent que c'est un dealer. Je l'ai déjà vu se shooter, je ne l'ai jamais vu vendre. Il a peut-être juste besoin d'aide. Il a peut-être besoin d'une aide que personne ne veut lui offrir. Je pourrais être cette personne. Il me fait de la peine.

J'ai continué à lire. J'ai progressé dans le journal.

Je lui ai parlé. Enfin. Ça faisait des jours que je me demandais comment l'aborder. Aujourd'hui, j'ai osé. On a parlé longuement. Je crois qu'il n'avait pas envie de me parler au début. Je crois. En fait, je n'en sais rien. Mais peu importe. On s'est parlé. C'était un joli moment.

J'ai lu. J'ai tout lu. Leur premier baiser. Je l'ai lu. Leurs balades en amoureux. Je les ai lues. Leurs rendez-vous sur le « promontoire ». Leurs fous rires. Leurs larmes. J'ai lu. Tout le meilleur. Les bonheurs simples. Je les ai lus. Puis, j'ai lu le pire. Le premier shoot de Cassie. Son premier bad trip. Ses premiers vomissements dus à la drogue. Son accoutumance. Sa dépendance. Son refus de me parler. De me faire confiance.

Le journal s'arrêtait deux jours avant sa mort. Je l'ai refermé. Je l'ai rangé. Ma fille avait refusé de me confier son secret. Elle avait eu peur de me faire confiance. Je n'ai su que quelques jours avant sa mort. Elle était si pâle. Si mal. Elle tremblait comme une feuille. Elle criait de douleur. Dix jours plus tard, les flics m'appelaient pour venir identifier son corps à la morgue.

Killian avait connu ma fille. Il l'avait fait plonger dans cet enfer. Il lui avait fait son premier rail. C'est à cause de lui que j'ai perdu Cassie. A cause de lui qu'elle a fait une overdose. A cause de lui qu'elle est morte seule. Entre une poubelle et une canalisation. A cause de lui que ma vie avait volé en éclats.

Je bouillais de rage. Je bouillais et j'avais une forte envie de lui foutre mon poing dans la gueule. J'ai entendu la porte d'entrée s'ouvrir et se refermer. J'ai quitté la chambre de Cassie. Je me suis retrouvé nez à nez avec Killian. Lui avec son éternel sourire je-m'en-foutiste. Moi qui bouillonnais. Il l'a vu. Il l'a senti. Je lui ai tendu son téléphone.

-          C'est maintenant que t'essayes de m'empêcher de partir parce que tu veux m'aider, c'est ça ? a-t-il ironisé.

-          Casse-toi.

Killian m'a dévisagé. Surpris. Il ne s'attendait pas à cette réaction.

-          Barre-toi, Killian. Sors de ma vie et n'y reviens plus jamais.

Le ton de ma voix était froid et cassant. Je ne m'étais jamais entendu parler de cette manière. Ça m'a surpris, moi aussi. Je l'ai laissé dans le hall. Je suis retourné dans la chambre de ma fille. Ma petite fille. Ma petite Cassie. Je me suis assis sur son lit.

Killian est entré à son tour. J'ai voulu l'en empêcher. Je n'en ai pas eu la force.

-          Je comprends pas, a-t-il dit.

-          Dommage pour toi.

-          Hier, tu fais genre on est potes et aujourd'hui, tu me fous à la rue ? Tu m'expliques ?

Je l'ai regardé. Droit dans les yeux. Ses grandes billes bleues me scrutaient. Il voulait comprendre. Il voulait vraiment comprendre. J'ai quitté le lit de Cassie. J'ai saisi un cadre photo. Dedans, une photo de ma fille. A sa gauche, sa mère. A sa droite, moi. Je l'ai montrée à Killian.

-          Tu la connais.

Il a hésité avant de répondre par la négative. Je l'ai saisi par le col.

-          Te fous pas de ma gueule, espèce de petit merdeux. Je sais que tu la connais. C'est le fond d'écran de ton téléphone.

-          Lâche-moi, tu me fais mal.

Je l'ai lâché. J'ai reposé le cadre.

-          C'était ma copine. On est restés trois mois ensemble avant que…

-          Avant que tes conneries ne la tuent.

-          C'est bien résumé.

J'ai serré les poings. Les mâchoires. J'ai tout serré. Pour ne pas lui éclater la tronche contre le mur.

-          C'est ma fille que tes conneries ont tuée.

Killian n'a rien dit. Pour une fois qu'il fermait sa grande gueule. Je ne l'ai pas regardé. J'avais trop envie de le frapper. Trop envie de lui arracher les yeux.

-          Je suis désolé, Pete.

C'était la première fois qu'il m'appelait par mon prénom.

-          Je m'en fous que tu sois désolé. Barre-toi.

-          Attends…

-          Barre-toi.

Killian a pris son sac. Je l'ai entendu marcher jusqu'à la porte d'entrée. Je l'ai entendu ouvrir la porte. J'ai entendu son hésitation. Puis, la porte a claqué. Un silence de mort s'est abattu sur l'appartement. Seul, dans la chambre de ma fille, j'ai fondu en larmes.

  • Arrêtez la d'écrire!!!

    · Il y a plus de 6 ans ·
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    enzogrimaldi7

    • Que voulez-vous dire par là ?

      · Il y a plus de 6 ans ·
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      Julie Vautier

    • Que votre imagination est extraordinaire. En doutiez vous?

      · Il y a plus de 6 ans ·
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      enzogrimaldi7

    • Ah vous m'avez fait peur !
      Ravie de constater que cette histoire-là vous plaît aussi alors !

      · Il y a plus de 6 ans ·
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      Julie Vautier

    • je suis vos pas, si jeune et déjà tant de talent, je vous souhaite vraiment de percer. Persévérez.

      · Il y a plus de 6 ans ·
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      enzogrimaldi7

    • Merci infiniment :)

      · Il y a plus de 6 ans ·
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      Julie Vautier

    • J'abonde entièrement dans votre sens... Vous avez lu ses quelques poèmes en alexandrin ? C'est du grand art !

      · Il y a plus de 6 ans ·
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      Julien Darowski

    • Je vous cède ma place cher Damoiseau, je pourrais être son père et peut être bien le vôtre aussi.

      · Il y a plus de 6 ans ·
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      enzogrimaldi7

    • Je ne sais comment vous remercier pour tous ces compliments. Je suis tellement heureuse de lire que mes écrits plaisent ! Merci à vous.

      · Il y a plus de 6 ans ·
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      Julie Vautier

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