"Intérieur femme en bleu fouillant dans une armoire " Le tranfert.

ricardo

Une oeuvre peut vous transporter, vous faire vibrer ... et si ces expressions cachaient en fait une vérité.

Paris en hiver n'est pas joyeux , il fait froid depuis le lever jusqu'au soir et pour l'étudiante originaire du sud que je suis, c'est tout bonnement intolérable!

Si je suis honnête, je dois admettre que l'apparition des vendeurs de marrons chaud et l'agencement des vitrines de noël des magasins contribuent a une sympathique atmosphère, mais peut être est ce justement cela qui me déprime, tout est réuni pour avoir l'esprit festif et moi, éloigné de ma famille, sans beaucoup de ressources, je me fait l'effet d'une laissée pour compte, d'une 'Cosette', d'une oubliée par cette vie qui palpite a chaque coin de rue. Bon c'est un peu dramatique, je l'admets, mais celui qui n'a pas étudié a Paris et logé dans une chambre de bonne sous les toits ne peux pas comprendre.

En principe dans ces moments là , sans doute comme toutes les personnes seules, une voix dans ma tête, mon jiminy cricket,  me parle : "Lise, c'est moi, il faut que tu te bouges un peu, que tu sortes, une bonne expo et ton moral sera au plus haut". Frôlant la schizophrénie j'acquiesce a haute voix : " Pourquoi pas".

J'ai vu que le grand palais proposait la découverte de Félix Valloton , un peintre qui m'est inconnu mais dont l'affiche m'a attiré, que dis je aimanté, et contribué a me pousser dehors .

Je suis sortie du métro a la station champs Élysées habillée d'un jean et d'un petit haut Désigual (une solde sympa) mais emmitouflé dans une doudoune de ski rouge pétard et couverte d' un bonnet de laine vert ridicule qui laissaient peu de place au sois disant chic parisien. Je marchais d'un pas rapide et me dirigeais vers l'entrée Clemenceau du grand Palais. A l'entrée j’exhibais fièrement ma carte sésame qui me permettait de fuir la plèbe qui se gelait dehors en une congère vivante impressionnante . J'avais envie de dire "poussez vous je suis attendue" fantasmant sur une vie de luxe que je n'ai connue qu'a travers des films américain comme 'le diable s'habille en Prada', mon préféré .

Finalement j'y suis , enfin le calme, la chaleur et ces fenêtres ouvertes sur une autre époque , une autre vie.

Je m'attarde sur une toile intitulé "le Ballon" c'est une scène qui se veut simple et sans souci dans laquelle je perçois une angoisse latente. Impossible d'expliquer pourquoi, mais je sens un malaise, peut être est ce l'angle de vue ou ces personnages au fond du Parc brrr...passons. Ah voila qui est plus agréable, une femme allongé lascivement, un voile pudique couvre son intimité . La sensualité qui se dégage de ce tableau est contagieuse et une douce chaleur envahit mon corps. Il me plait ce Félix et je sens que malgré une certaine froideur du regard il ne se sent pas destiné a une vie monacale .

Ce n'est qu'un peu plus loin que je l’aperçois, tache bleue titillant mon nerf optique, elle m’empêche de me concentrer sur les autres tableaux. Cédant à ce dérangeant moustique qui perturbe ma vision je m'approche du cadre . Une inscription stipule 'Intérieur, femme en bleu fouillant dans une armoire'. Le décor est visiblement celui d'une chambre, on voit sur le coté des serviettes qui sèchent et semble t il, l'amorce d'un meuble vitrine. La femme de dos porte une chemise de nuit bleu pâle avec un col dentelle ancien, elle s'affaire dans l'armoire. Mon cœur s'affole soudainement, ses battements deviennent puissant frénétiques et incontrôlables. Je manque d'air, et c'est totalement paniqué que j'ai l'impression de me faire aspirer par cette peinture, je plonge vers cette femme à une vitesse effrayante, je suis baigné dans un univers chamarré et puis c'est le silence, l'inconscience.

Quelle incroyable sensation tu doit être sous vitaminée pour t'évanouir ainsi ma chère Lise. Je me relève péniblement et reste dans incompréhension totale du lieu ou je me trouve . "C'est quoi ce délire? je suis au pied d'un lit massif en bois, des esquisses sont disposés contre le mur de droite, je regarde ma robe jaune un peu froissée  complètement ahurie, des connections synaptiques ne se font pas . "Ou est le musée? que fais je ici? les questions a peine posées j'entrevois des réponses mais toutes aussi improbables les unes que les autres.  Je dois être dans le coma quelque part suite à mon évanouissement, c'est ça, je rêve en ce moment. Pauvre explication qui ne me convainc pas, tu deviens folle ma pauvre Li...Gabrielle . Ma pauvre Gabrielle...

Me voila sortie de ce drôle de rêve, j'étais dans une galerie peut être celle de Lausanne et je regardais les œuvres de Félix, rien d'anormal, mais j’étais vêtue d'une façon incroyable, comme un homme, avec un pantalon et quelque chose qui ressemblait à une veste de travail. Il ne faudrait pas que je répète cela a quiconque, l’église a déjà manifesté son mécontentement au début de l'année sur la mode féminine alors porter le pantalon vous pensez... Pendant un moment je ne reconnaissait plus chez moi, ça m'inquiète, heureusement que Félix est dans la cuisine avec son frère Paul, il ne m'a sans doute pas entendue crier ni tomber.

Je me sens mieux; je réalise que je suis heureuse aujourd'hui, même si je soupçonne Félix de quelques infidélités, je tiens a lui et a notre couple. J'ai toujours aimé les peintres c'est dans mes gènes, ce n'est pas joseph et Gaston qui me contrediront, mais je dois admettre que moi et Félix c'est intense. La guerre me l'a changé, mais elle n'a pas éteint en lui cette curiosité qui le pousse à toujours expérimenter, ce goût de la perfection. Bien sûr parfois son côté sombre resurgit,  mais tous ceux qui ont connus de près ou de loin cette grande guerre on perdu également une part d' insouciance. Quelquefois il s'emporte avec ses amis lorsqu'il parle politique, des frasques du président Deschanel dans le Loiret ou de l'intervention des forces françaises en Syrie , ou ce qui l'irrite au plus haut point , "l'hypocrisie des nantis", la perte des valeurs et les non dis d'une bourgeoisie a laquelle il appartient malgré tout. J'admire qu'a 55 ans il soit encore fait de cette passion qui m'a séduite avant notre mariage. Je ne l'inspire plus autant qu'avant, mais quel bonnheur de le voir habité lorsqu'il peint . Je me souviens d'un jour, c'était mon anniversaire et mon moustachu était de vaillante humeur , nous étions encore au lit lorsqu'il me confia avec un discret sourire aux lèvres :

"ma chère, je pense que si vous regardiez dans votre armoire vous trouveriez certainement un motif de contentement." Je sautai immédiatement de notre grand lit et dans mon empressement trébuchai en me prenant le pied dans le revers de ma chemise de nuit . Je rougis de ma maladresse bien qu'elle parut le réjouir, et m’empressai de fouiller les piles de linges en coton blanc qui s'empilaient dans l'armoire. Mes mains entrèrent en contact avec un objet froid que j'eus du mal a extirper avant de le contempler béate d'admiration. Une broche en argent finement ciselée représentant deux feuilles se croisant, les yeux humides de joie je courus l'embrasser et ce fut certainement l'un des baisers les plus tendre que nous échangeâmes. Depuis je porte une attention toute spéciale a ce bijou de peur qu'un jour il ternisse, à l'image de notre amour. Je pense que c'est d'ailleurs également pour lui un bon souvenir sinon pourquoi aurait il peint ce moment exact ou je me suis précipitée a la recherche de son présent.

Il m'a parlé récemment de nous établir dans le sud de la France et je suis trop heureuse du succès annoncé de son exposition pour lui refuser quoi que ce soit a mon infatigable voyageur.

De toutes les façons j'ai toujours apprécié les bords marins et notre séjour à Honfleur fut empli de tant de souvenirs heureux, alors va pour la méditerranée.

En fait peu importe le lieu du moment que je suis avec lui, et puis je sais que nos amis peintres nous rendrons visite . Bien sur l'éloignement de la famille et de la Suisse me pèse un peu quelquefois, mais après tout je serais bien folle de ne pas apprécier ma vie et je ne veux pas rejoindre ces gens qui faute d'obtenir leur rêves oublient d'apprécier leur vie.

J'entends Félix en bas qui raccompagne son frère au perron je devrais commencer à ranger un peu cette pièce qui ressemble davantage a un atelier qu'a une chambre à coucher avec ces cadres au pied de chaque mur. Tiens je ne connaissais pas cette  esquisse  "Le grand Palais vu de la seine" J'observe les contours du bâtiment et une curieuse sensation m'envahit, mes jambes flagellent, j'ai des vapeurs, je glisse...

Bon sang Gabrielle que t'arrive t il ? je connais cet endroit , j'y suis déjà venue, j'ai fait une crise c'est ça? je deviens folle.

Un homme en tenue militaire s'approche de moi et m'aide a me relever "ça va mademoiselle?"En tenue militaire? n'importe quoi Lise t'as pété un câble, c'est le type de la sécurité du musée. "Attendez" dis t il "vous avez perdu ça" et il ramasse sur le sol un objet qu'il me tend, une broche en argent représentant deux feuilles se croisant, certainement encore choquée je le remercie, prend l'objet, des larmes involontaires coulent sur mes joues...

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