La fenêtre

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Franck pris un stylo et le bloc de papier posé sur le bureau. Son interlocuteur à l’autre bout du fil déblatérait un texte appris par cœur, quelque chose à propos de fenêtres à double ou triple vitrage. Franck ne l’écoutait pas vraiment mais le laissait parler. Il se disait, pourquoi interrompre ce type qui fait juste son boulot ? Il avait tout son temps. De temps en temps il émettait un son approximatif qu’il espérait encourageant. Le stylo glissait sur le papier sans but précis, comme un petit ski sur la page glacée. Des formes géométriques, d’abord anguleuses, puis de plus en plus rondes au fur et à mesure qu’il se détendait, qu’il laissait son esprit divaguer. Un nuage dans une fenêtre peut être ? Le type au téléphone lui posa une question, il répondit « oui, oui » mais le silence qui suivit lui indiqua que ce n’était pas la réponse attendue.

« Excusez moi, j’ai été déconcentré, vous pouvez répéter ? »

« Je disais : combien avez-vous de fenêtre dans votre appartement, Monsieur ? »

Franck ne répondit pas tout de suite. Il avait du mal à se concentrer pour répondre à cette question pourtant simple. Tout ce qu’il voyait était cette fenêtre qu’il avait dessiné sur le bloc de papier, et ses nuages à l’intérieur. Des nuages blancs potelés dans un ciel bleu.

« Une seule » répondit-il.

« Bien, elle donne sur la rue peut être, avez-vous des problèmes de bruit ? Savez vous que soixante pour cent de la pollution engendrée par la circulation traverse les fenêtres de qualité standard ? »

Franck dessinait toujours, et répondit doucement :

« Non, elle donne sur un jardin. »

Ce n’était pas vrai bien sûr, mais qu’avait-il de mal à mentir à ce jeune homme qui ne désirait rien d’autre que cocher les petites cases de son questionnaire, et rentrer retrouver sa famille à la fin de sa journée de travail? Une fenêtre sur un jardin, c’était une douce pensée. Franck sentait les muscles de son visage se détendre. Le bras qui tenait le stylo devenait plus souple et poursuivait librement ses arabesques. Franck voyait cette fenêtre, et de cette fenêtre il voyait un arbre, un grand arbre, un platane peut être, entouré d’une pelouse, de petits buissons. Un abri de jardin, une table, deux ou trois chaises pliantes, quelques jouets dans l’herbe. Il y avait aussi une femme assise, les cheveux noués par un foulard rouge. Elle levait les yeux vers lui et lui souriait. Et Franck souriait aussi. Il souriait le téléphone à la main, il souriait à cette femme, sa femme, et aussi à ce type au téléphone. Un chic type, surement.

« Voulez-vous que je vous passe le service financier pour finaliser cette commande, Monsieur ? »

Il avait une voix agréable, un ton dynamique mais pas agressif. Il lui semblait qu’il lui parlait avec précaution, avec une voix de docteur, ou peut être d’infirmier. Il l’imaginait avec l’uniforme un peu bleuté ou vaguement turquoise que portent les chirurgiens. Dans son esprit il le faisait ressembler à ce jeune docteur qu’il avait vu à l’hôpital, celui qui lui avait annoncé la mort de Claire.

Franck répondit :

 « Oui s’il vous plait. »

Et doucement, sans faire le moindre bruit, il raccrocha.    

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