La fleur au fusain.
El. Imy
On a vécu ça en pleine ivresse, nos culs enfoncés dans le sofa démoli. On a pris nos fusains qu'il y avait dans nos têtes trop pleines et on a décidé de reprendre les contours. On avait bien chaud là, en dessous de nos plaids imitation de l'Ecosse. On avait rien d'autre à faire que de broder des fils de mots autour de nos questions existentielles pour chercher à se consoler. J'avais mis la fleur dans mes cheveux, la bleue. On se passait la bouteille, chacun son tour et on buvait au goulot. On avait 17 ans mais on s'en doutait même pas. Dans les tuyaux y avait de l'eau qui coule en faisant un bruit pas agréable, alors t'as monté le son. Le voisin a gueulé en bas, t'as haussé les épaules tu t'en moques des gens. Du bruit, de faire chier, d'être pas pareil, tu t'en moques. Moi non, pas trop. On aurait dit des enfants rois, toi et moi, avec nos cheveux longs électriques et pas peignés, le parfum de nos peaux épicé, et nos espoirs dégueulés dans le tard du soir. J't'ai dit que j'avais plus confiance en personne, et que j'avais fait n'importe quoi au point que personne ne voulait plus enfoncer son regard dans le mien. T'as ri. On a grave picolé et tu nous a roulé un joint. T'as pris ma main et on s'est allongées sur ton matelas par terre. T'avais des lèvres assez meurtrières et elles ont glissé de ma bouche à mes seins. Je n'osais pas caresser les tiens mais j'avais envie tellement que j'devais ressembler à une gamine privée de télé un mercredi. Mon corps s'est collé à ton corps dans la fièvre de nos reins. J'comparais sans cesse ta peau et ton odeur à celle de Ben, et aussitôt j'en oubliais mes regrets. Tu me guidais pour faire et je faisais. T'as cueilli la fleur dans mes cheveux et tu l'as mise dans les tiens. Y avait des perles de sueur dans ton cou, et je m'accrochais fort aux draps pour pas que mon cœur explose trop fort, mais ça fonctionnait pas, y avait un ouragan entre mes jambes, juste au bout de tes doigts…j'comprenais que s'en était fini des meilleures amies et ça m'arrachait à peine une grimace, j'essayais seulement d'en profiter sans te laisser m'avaler. Il n'y avait plus rien de secret, et j'me sentais là où il le fallait, c'était trop beau comme ça même si ça pourrait jamais durer. Le sublime est éphémère.
Je me suis rhabillée et j'ai quitté ton appartement. La pluie lavait la ville endormie du petit matin, il y avait la radio qui grésillait. J'ai passé une mèche de mes cheveux derrière mon oreille, et j'ai senti la fleur. La bleue. Tu l'avais remise en embrassant ma nuque.
A l'arrière du taxi j'ai souri.
Y a des trouvailles d'écriture, de la passion, de la spontanéité, tout ça dans un écrin de sensibilité. Un beau texte.
· Il y a presque 10 ans ·Yannick Darbellay
Top!
· Il y a presque 10 ans ·dreamcatcher