La folie n'existe pas

pelerin

« La folie n’existe pas… » Bien entendu qu’elle existe, je l’ai croisé un soir, un soir où rien n’allait comme je le voulais. La peur de la page blanche ici n’était rien face à ce que j’éprouvais. J’ai attendu de longues heures devant mon écran, ma cigarette allumée se consumant seule, le café refroidissant désespérément sans que mes lèvres ne l’atteignent. La boule dans l’estomac, les perles humides et salées qui tentent de déborder, puis de rouler jusqu’à l’assèchement.

J’ai peur, je suis pris d’une panique tranquille, le genre qui vous submerge mais qui ne peut pas vous faire bouger. Elle  rôde inlassablement autour de moi, m’enveloppe, me transperce. Je l’entends rire, frénétiquement, nerveusement. Je suis excédé de vivre. Cette peur est toujours là, mais semble s’être apaisée enfin. Va-t-elle me laisser un moment de liberté ? Me laisser commencer à écrire ? Rien n’est moins sûr, quand l’âme se met en retard dans la joie, quand elle manque le dernier train pour la vie que fait-elle ? Elle vous fait croire que tout va bien en vous lançant de doux regards empoisonnés en attendant que vous quittiez le navire. Mais je m’accroche, je baisse les yeux face à elle pour ne plus voir que les mots qui se créent au fil de mon mental en dévers. Pourtant je la sens me guetter, elle en serait presque à me lécher le visage avec un sourire angélique… la garce. Je fuis un monde qui ne me reconnaît plus, du moins le crois-je, ou bien est-ce moi qui fait en sorte de m’en détacher ? Tout se confond, se mêle, j’ai mal, j’ai si mal, la lumière qui a croisé mes jours durant tout ce temps s’en est allée depuis si longtemps. J’ai envie de hurler mais mon âme me bâillonne. Elle me confine dans les étals d’une raison poreuse, que j’apprends à cerner tant bien que mal, que je tente de maîtriser au détriment de mon déclin.

Le grain de sa peau me manque, quand je l’imaginais se lisser sous mes mains, le rayonnement de son esprit ne m’éclaire plus, elle me manque…déjà. Le noir qui m’entoure est encore plus profond que les abysses d’un océan d’illusions, plus épais qu’un million de silences, plus douloureux qu’un million d’agonies, est-ce elle qui revient me chercher sous la forme que je donne à ma conscience ? Je sais qu’elle n’est pas loin de moi, à quelques pas sans plus, elle me regarde, j’en suis certain, elle me dévisage comme si elle attendait quelque chose. Est-ce sa sa main sur mon épaule? Je cru sentir son parfum, mais une âme peut-elle se manifester en ce sens ? Il est tard, je me fais vieux, durant toutes ces années je me rends compte qu’en fait je n’ai fait qu’attendre, elle n’a fait que donner, j’ai été con et égoïste. La nuit avance et moi je décline, je me tourne vers elle comme si elle était là, comme si je pouvais lui parler, comme si je pouvais l’aimer encore comme je l’ai fait pendant toutes ces années. Je sais qu’aujourd’hui elle n’est plus là, je ne sais d’ailleurs pas où elle se trouve, je n’ai aucune nouvelle, les jours, les années ont passé sans que rien ne me parvienne, sauf… Sauf que je ne sais expliquer ce que je ressens ce soir, quelque chose va se passer, mais quoi. Je ne sais pas comment je dois me sentir, si c’est du bien-être, du malaise, je ne sais pas, je ne sais rien, je ne sais plus rien.

J’ai appris à ses côtés, elle m’a rendu fou de joie, de peine, de rage, de douleur et d’incertitude…mais elle m’a surtout rendu fou d’amour, et rien que ça, ça vaut largement pour le reste, je suis intimement persuadé que l’âme ne se remplace pas mais qu’elle se fond en l’autre, parler ici d’une fusion serait encore trop léger à mon sens. De ces soirs où j’ai pleuré jusqu’au plus loin, de ces nuits où j’ai aimé jusqu’au plus profond, de ces repères que j’ai forgé chaque jour que je voyais se lever, tout est tombé, ne reste qu’une flaque opaque dans laquelle je projette mon vieux visage et mes yeux tristes. Et pourtant, l’âme, son âme est un bonheur, c’est grâce à elle que j’ai tenu tout ce temps, que j’ai crée dans ma tête chaque seconde d’avenir, tout en sachant que je ne vivrai rien comme tout le monde, ça tombe bien, moi qui n’ai jamais voulu rien faire comme tout le monde, j’ai été plus que servi, sans m’en plaindre. Si j’ai des regrets ? Non… Pourquoi en aurais-je ? J’ai eu ce que je voulais, d’une certaine manière certes, mais je n’ai pas non plus pu faire autrement, c’était ça ou plus rien, je ne pouvais pas me détacher d’elle comme elle ne pouvait le faire de moi. Nous n’avons jamais pu nous résigner… Elle, mon âme, ma conscience, celle que j’aime encore et que j’aimerais par-delà ce qui est humainement possible de supporter comme enfer, je le supporterai jusqu’au bout.

Les plus beaux moments d’une vie sont ceux qu’on passe à rire semble t-il, j’ai pleuré pour elle sans dire que c’était dur car elle vivait en mon cœur, dans mon esprit, dans tout ce que je touchais, regardais… Elle était là. Ce soir est particulier, je l’ai déjà dit je sais mais je sens sa présence plus que jamais, cent fois plus ce soir, quelque chose se rapproche de moi, une présence, un souffle. Si l’imaginaire est palpable, je me débats en lui comme un beau diable pour ne pas couler, encore que, j’ai plutôt l’impression de me laisser aller. J’ai entendu du bruit que je n’arrive pas à localiser, ni à définir, des craquements, des frottements. J’ai mal au crâne, j’ai toujours eu mal au crâne, la prise quasi journalière de médicaments a eu raison de l’efficacité, et de mes neurones aussi sans doute. Ma cigarette vient de s’éteindre, je n’ai toujours pas touché au café, il me semble l’entendre tremper ses lèvres dedans… Combien de fois lui ais-je dit « comment peux-tu boire le café froid ? Le flemme de me lever pour le réchauffer » répondait-elle et j’entendais la gorgée glisser.

Maintenant que la nuit m’envahit, je me sens désespérément seul, mon esprit semble vide, seul y résonne un nom, une voix douce qui ne cesse de m’appeler, je l’entends tellement clairement que… Réflexe idiot, me voilà encore entrain de me tourner comme si j’allais lui répondre. Je vois le lit, les draps sont tirés jusqu’en haut comme si elle se trouvait dessous, couchée en chien de fusil, comme à la tendre habitude, je me souviens des soirs où j’écrivais jusqu’à tard, j’entendais sa respiration juste à côté de moi, ça me rassurait, ça me prouvait au moins que j’existais. Maintenant ne reste qu’un semblant de souffle, l’impression de ne jamais avoir entendu cet air chaud et délicieux sortir de sa bouche, de son corps. J’arrive encore à imaginer le son de sa voix, je dis imaginer car là encore, tout ça semble si loin qu’on le dirait inventé, vous savez quand on veut se persuader de quelque chose… Sa voix qui marmonnait : « hmmmm tu viens te coucher bientôt ? » « Oui ma chérie » lui répondais-je, « dans cinq petites minutes ». « hmmmm d’accord » répondait-elle dans un demi sommeil. Elle était si paisible quand elle dormait, la voir me tranquillisait, me donner l’envie et la force de poursuivre ce que je faisais. L’odeur de sa peau…, quand je me mettais contre elle, je m’empressais de coller mes lèvres dans son dos pour avoir ce goût… Encore là ne reste que la vague idée de ce goût, j’ai beau passer ma langue sur mes lèvres, je crois sentir quelque chose, parce que j’imagine qu’il reste quelque chose.

Le vent vient de se lever, Les arbres font d’incessants va-et-vient, projetant leurs ombres squelettiques sur les murs blancs passés de ma chambre. Je rallume une autre cigarette et je regarde l’écran, comme si j’attendais une quelconque connexion  avec un esprit, avec l’esprit. Je fixe l’écran, mes yeux se brouillent, une larme s’en échappe et vient frapper le clavier. Au moment où mes doigts essuient mes yeux, je crois distinguer une forme à l’entrée de la chambre, je frotte un peu plus et puis... La pénombre semble vouloir discréditer mes yeux, au-delà de tout, au-delà de la mort qui semble n’attendre qu’une chose. Moi. Mais je la vois, oui, je la vois, debout dans l’encadrement de la porte. Sa robe d’été avec les grosses fleurs bleues et blanches. Elle est coiffée comme j’aime, les cheveux relevés, ses boucles retombant sur sa nuque fragile. J’ai peur, peur qu’elle ne soit qu’un spectre au pied d’un lit, le spectre de quelqu’un venant de mourir et qui se trouve devant vous pour vous donner un dernier au revoir avant de se retirer dans un autre monde.

« Je t’attendais » lui dis-je avec ma vieille voix chevrotante, « je t’attends depuis si longtemps que le temps lui-même ne sait plus depuis quand je suis là, t’espérant, te pleurant… » Je continuais de la regarder, la peur qu’elle s’évapore, je n’osais pas bouger, la fixant d’un air si misérable, presque implorant. Elle a l’apparence de nos débuts, voilà un nombre incalculable d’années, grande, fière, si forte, si faible et ce sourire que j’ai cru miséricordieux. Mais elle ne parlait pas, toujours appuyée contre le chambranle. Alors je me suis levé, tant bien que mal, levant les yeux vers ce drapeau qui fut sans doute ma plus belle raison d’être et qui la représentait si bien. Je m’avançais doucement, je voulais la garder accrochée à mon regard jusqu’à ce que je puisse enfin la toucher, mon cœur battait si fort. Les émotions se mélangeaient mais la joie était la plus forte. A mi-chemin, ma vue se brouilla, la pièce tourna autour de moi, je sentis mes jambes se dérober, mes mains s’agiter et battant l’air dans l’espoir de m’accrocher quelque part puis la douleur dans ma poitrine, une douleur abominable. Mes genoux plièrent, touchèrent le sol glacé, aussi glacé que ma triste vie. La main posée sur mon cœur, je levai la tête vers elle et m’écroulai. Je sentis de nouveau cet air chaud et délicieux contre ma peau, une main passa sous ma nuque, redressa ma tête. Je la vis juste au dessus de moi, les yeux pleins de tendresse et de douceur. Une larme s’échappa de ces yeux verts dans lesquels j’avais si souvent perdu la raison, elle roula le long de sa joue, s’arrêta puis s’étira vers le bas jusqu’à lâcher prise. La dernière chose que j’eus d’elle était le goût salé de la tristesse. Le goût amer d'une vie bâclée...

Finalement, la folie n’existe pas, elle porte un autre nom… L’amour. Et comme elle le disait si bien « Si l’amour est une folie, je veux être folle toute ma vie. »

Pelerin.

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