La gifle

plume-aiguisee

"Ces morsures aux regrets qui se livrent à la nuit" - Veiller tard - JJG

Hier, j'ai tapé un petit garçon. Oh, pas fort, rassurez-vous, une caillebotte comme disent certains. Histoire de lui remettre ses idées à place, le bougre. C'était lors de ma dernière visite aux urgences avec mon fils, il y a quelques semaines. J'ai encore du mal à en parler, ça m'a fait de la peine.

Mon fils? Ah lui va bien. Peut-être même ne s'en souvient-il pas, les enfants oublient vite à cet âge-là. Et ne voient pas tout, enfin j'espère. Je prie même, pour qu'il ne dise pas que sa maman a tapé sur la tête d'un enfant qui était justement aux urgences pour cause de vertiges et maux de tête inexpliqués. Si si, quand je fais les choses, ce n'est jamais à moitié, vous me connaissez.

Vraiment ? Alors vous vous demandez sûrement comment on en arrive là. Ou peut-être vous vous dites que sous mes bonnes paroles de mère-veilleuse, je suis pire que tout. J'ai frappé un petit garçon.

Il était là, penaud sur les genoux de sa mère, la mine triste de l'épuisement douloureux. Les jambes ballantes d'attendre d'être pris en charge depuis 2 plombes qu'il attendait là. C'est alors que cela s'est produit.

Il a ouvert les yeux. Il a vu. Il n'aurait pas dû. Pire que les yeux, il a ouvert la bouche. Encore un enfant qui ne connaît pas l'adage des 3 petits singes...

Du haut de ses 8 ou 9 ans, avachi sur les genoux de sa mère trop occupée à regarder sa smartmain, vous savez, ces mains qui ont fusionné avec leur téléphone tant elles le tiennent comme leur précieux, le petit me voit arriver, avec Leo dans les bras. Il me regarde, sans méchanceté, tout au plus de la curiosité, il lève son sourcil gauche et dit : « Maman, t'as vu la dame, elle est grosse ». Il n'a même pas chuchoté l'enfant, il l'a dit sans gêne. Et il s'est mangé une main sur la tête.

Pas la smartmain, non, l'autre. Pas la mienne, celle de sa mère. Accompagné d'un « on n'en dit pas ça ! » comme s'il s'agissait de la pire insulte que le Monde ait entendue. Et le petit de se recroqueviller, dans l'incompréhension de la réaction de sa mère.

Je lui ai souri, rien n'y fit. Il ne me regardait plus. Cela lui était interdit. J'ai tapé un petit. Si on n'avait pas été là, mes kilos et moi, il n'aurait pas été tapé. J'ai tapé un petit. Si j'avais été grande, il aurait dit, « regarde maman, la dame est grande, et elle m'aurait peut-être souri. Mais je ne fais qu'un mètre soixante. J'aurais été blonde, c'eût été pareil, enfin je crois. Mais là, non, j'ai tapé un petit.

Parce que sa mère pense qu'il m'a insulté, elle a peut-être même pensé me défendre... qui sait, souvent la connerie n'a pas de limite. Montrer qu'elle est une mère qui sait inculquer à son enfant les bonnes manières. Sait-elle seulement qu'elle n'a fait que donner une arme à son fils. Celle de la discrimination. Ce matin-là, il a observé le monde qui l'entoure, l'a décrit. Sans arrière-pensée, sans méchanceté. Sa mère, lui a appris que c'était une arme pour blesser l'autre. Et demain peut-être, enfin je n'espère pas mais je crains, il utilisera ce mot, ce qualificatif, comme insulte dirigée à un copain ou une copine de classe. Et il/elle en sera blessé(e). Ce n'est pas un enfant que j'ai frappé, c'est lui et tous ceux qu'il insultera de gros.

Voilà.

Et depuis ? Depuis je rumine. Et j'ai arrêté mon régime. Un jour une personne avisée m'a fait réfléchir sur les raisons pour lesquels on se goinfre. Il arrive qu'on remplisse notre bouche pour nous empêcher de parler. D'exprimer.

Si ce 1r juillet je l'avais ouverte, si j'avais dit à cette maman qui non ce n'est pas mal de dire cela, c'est l'arrière-pensée qui donne à un mot son supplément d'âme. Si j'avais dit à ce petit, « tu as raison, je suis grosse, mais moins qu'avant. Tu sais tu as raison, mais parfois certaines personnes auront mal parce que tu remarques leur état sans connaître l'histoire, alors il vaut mieux parfois ne pas le dire ». Peut-être aurait-il appris quelque chose d'utile. Mais non, j'ai laissé faire. J'ai laissé dire. J'ai tapé un petit.

J'ai serré fort le mien de petit dans les bras, je me souviens de cela. Ça fait un mois maintenant que je rumine cela. C'est long 33 nuits entrecoupées pour une Gifle qu'on aurait aimé ne pas donner.

  • Les petits enfants sont "nature", ils découvrent alors ils disent, ce n'est pas de la méchanceté, ils ne savent pas encore ce que c'est. Un peu plus tard, ils seront méchants entre eux pour commencer. Quant à la maman, elle a pensé bien faire, mais a eu une mauvaise réaction, pas facile de ne pas faire d'erreur. Personnellement, je n'aurais pas frappé mon gamin, mais je me serais excusé auprès de Vous, et j'aurais expliqué à l'enfant de ne pas faire ce genre de commentaires.
    Mais plume, il ne faut pas vous en vouloir, vous ne vous attendiez pas à cette réflexion. Ma réaction aurait été de dire à la maman : "Non, ne le frappez pas !!"

    · Il y a plus de 4 ans ·
    Louve blanche

    Louve

    • Merci Louve, effectivement, déjà frapper un enfant m'est totalement inconcevable, mais en plus une tape sur la tête alors que vous êtes aux urgences pour un problème de ...Céphalées... incompréhensible! Puis pas à cause d'une petite phrase quoi. Et encore une fois, il n'a rien dit de mal ce pauvre enfant. J'étais et suis toujours tellement triste pour lui. Ces réflexions, je les entends souvent, je ne les cherche pas mais je m'y attends. Par contre, souvent j'en parle avec les enfants, que les parents soient ou non présents. Là, j'ai bien vu le regard de la mère envers son fils, toute communication était impossible... Et mon fils n'était pas en état à ce que je le laisse pour débattre avec une huitre totalement hermétique. Ainsi va la vie, elle est faite de choix, mais il faut les assumer après :-(

      · Il y a plus de 4 ans ·
      Envol tribal

      plume-aiguisee

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