La grange.(1)

C'était l'année et la mode ou l'on faisait l'amour à plusieurs pour pas faire semblant de tout connaître. On mélangeait bien, pour que le cocktail ait du goût. Quand Sophie était sous la pile, Mathieu sortait du tambour et étendait son linge. Betty se refaisait les ongles pendant que la machine terminait son cycle. Mathilde ne sortait jamais et c'est bien pour ça que Bruno disait que c'était la meilleure. Mathilde faisait partie de malentendus et aussi gage d'assouplissant.

C'était l'année où l'on partageait tout, autant le frigo que la Punto. On avait choisi la voiture la plus moche du marché pour pas se la faire piquer. Je me souviens de l'étonnement du vendeur quant à la remise des clés:

- Ils vous en faut cinq ?

Betty avait répondu:

- On s'échange déjà pas mal... si en plus faut qu'on s'passe les clés !

Nous vivions des moments agréables et pratiques. Au petit-déjeuner quand Mathilde ouvrait un oeil, Bruno préparait le café, Mathieu sortait le chien, Betty du lit et j'allumais le feu. Oui, on se chauffait tout au bois où enfin presque: j'avais hérité de mon grand-père sa collection de livres érotiques que ma grand-mère avait planqué après sa mort, et qui avant de voir venir la sienne, m'avait chuchoté à l'oreille et dans un dernier souffle: quand je serai partie mon petit, t'iras dans la grange au foin, chercher sous la paille le reliquat de ton pépé, c'est pour ton éducation et puis après tu y brûlera...

Je m'étais masturbé toute ma jeunesse avec et à présent je m'en servait pour allumer le poêle.

- On chauffe avec quoi aujourd'hui ?

- La sentinelle merveilleuse !

- C'est quoi en gros l'histoire ?

- Si je me rappelle bien, c'est des mecs qui font la planque dans un buisson et puis il y a un major qui entre par la porte d'un château pour boire une coupe de champagne dans un salon, puis après il se fait sucer devant la fenêtre en regardant un coucher de soleil. Tu comprends qu'il a gagné une bataille et qu'elle a pas perdu la main.

- Mais les mecs ils font quoi ?

- Rien ! Tu voudrais qu'ils fassent quoi ? Qu'ils se crottent le nez derrière les feuilles ? Mathilde tu peux descendre, c'est prêt !

...