La grenouille

Sophie Marchand

Tu mentais, forestier. Aussi ma joie éclate ! Ce matin je l'ai vue ! Un vrai saphir à pattes. Complice du beau temps, amante du ciel pur, elle était verte, mais réfléchissait l'azur. (Paul Fort)

Avant j'étais une petite grenouille qui coassait tranquillement au milieu de ses semblables,
« là où le saule pleure sur la terre et l'air est tout mouillé
et la mousse qui descend des cyprès ressemble à un monstre à l'œil maussade »

http://www.youtube.com/watch?v=DgTOP1M-72s

La vie n'était cependant pas toujours de tout repos car quelques-uns en voulaient à mes cuisses mais j'étais assez maligne pour échapper aux chiffons rouges qui venaient parfois s'agiter sous mon nez

Je surveillais attentivement mes chevilles et ma tête de peur d'un gonflement intempestif car ma maman m'avait raconté l'histoire d'une de ses copines qui s'était laissée prendre à ce jeu-là :
« Une grenouille vit un boeuf
Qui lui sembla de belle taille.
Elle, qui n'était pas grosse en tout comme un oeuf,
Envieuse, s'étend, et s'enfle et se travaille,
Pour égaler l'animal en grosseur,
Disant: -”Regardez bien, ma soeur;
Est-ce assez? dites-moi: n'y suis-je point encore?”
-”Nenni” -”M'y voici donc?” -”Point du tout”. -”M'y voilà ?”
“-Vous n'en approchez point”. La chétive pécore
S'enfla si bien qu'elle creva. »

Ma maman avait ajouté fort à propos :
« Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages.
Tout bourgeois veut bâtir comme les grands seigneurs,
Tout prince a des ambassadeurs,
Tout marquis veut avoir des pages. »

Je me tenais soigneusement à l'écart des bavardages futiles et des cancans malgré mon envie grégaire parfois de plonger dans le bénitier.

Bref, du coup je m'ennuyais un peu.

Je m'en fus donc « grenouiller » de par le monde à la recherche de la « grenouille bleue », je préparai mon baluchon et fis mes adieux.


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