La Guerrière Celte

ttr-telling

thème imposé : Les Romains. Contrainte : ne pas faire de référence à Caesar.

- "Antonia ! Tiberius ! Venez manger !"

C'était une chaude journée d'été qui se terminait. Nous jouions aux gladiateurs dans la poussière du poulailler avec mon frère. Les poules n'étaient autres que de féroces fauves exotiques, de vieux bouts de bois nous servaient de glaives, et deux vieilles casseroles cabossées nous faisaient office de heaumes.

Notre mère nous rappela à l'ordre alors que nous nous apprêtions à terrasser de valeureux hoplites imaginaires, envoyés pour en finir avec les deux gladiateurs invincibles que nous étions.

- "Ce n'est que partie remise, hoplites ! nous vous réglerons votre compte à la prochaine escarmouche !" Lança Tiberius face au vide, avant de retirer sa casserole d'un geste triomphant, découvrant ses cheveux raides et poussiéreux.

- "Oui ! à la prochaine escarmouche !" Lançais-je à sa suite, tentant d'imiter sa prestance, accentuant exagérément un air faussement triomphant alors que je peinais à retirer ma casserole à peine assez grande pour ma tête.

- "Allez dépêche toi Anto, faut qu'on aille se débarbouiller sinon maman va encore nous gronder !" Il prenait son rôle de grand frère très au sérieux, avec ses deux années de plus que moi. Notre mère disait que ce serait bientôt lui l'homme de la maison, puisque notre père devait partir rejoindre les Légions au nord.

Après un rapide crochet par le puit, nous entrâmes dans la maison, dont l'air était saturé d'une délicieuse odeur de mouton grillé. Nous nous ruâmes autour de la table, affamés par nos combats épiques de l'après-midi, et surtout impatients de dévorer ce festin si rare.

- "Du moutooon ! Comment ça se fait? On fête quelque chose?" Demandais-je avec toute la violence et l'innocence de l'enfance. Je ne remarquais pas tout de suite les yeux rougis de notre mère, qui faisait de son mieux pour cacher son chagrin.

- "Votre mère nous fait l'honneur de sa meilleur cuisine pour me souhaiter bonne chance. Je pars demain les enfants." Notre père venait d'apparaitre dans la pièce, dans sa toge couleur crème.

Je me souviens encore de sa voix grave et douce, de ses yeux clairs et de ses cheveux blonds taillés courts. Il déposa un baiser sur la tête de notre mère avant de s'installer avec nous autour de la table.

Ce fut mon dernier repas avec eux.

Dans la nuit, une troupe Celte avait envahi le village, pillant et brûlant toutes les bâtisses, tuant les hommes et certaines femmes, violant les autres, et embarquant toutes les jeunes filles.


Douze automnes plus tard, après avoir couvé ma colère et ma haine, après avoir enduré la vie barbare, après m'être intégrée dans une troupe de chasseresses, je me retrouvais alignée avec une trentaine d'autres femmes. Nous l'attendions, droites comme des lances, immobiles comme des félins. Celle qui défiait l'ordre du monde. Celle qui défiait les hommes. Celle qui défiait Rome.

Elle se présenta enfin face à nous, fièrement campée sur son destrier blanc. Ses longs cheveux auburn, tressés et ornés de fils d'or, ondulaient dans la fraicheur matinale. Elle mena son cheval au pas, longeant notre formation, nous scrutant une à une. Ses yeux noisettes étaient durs et conquérants. Elle avait un long nez fin, qui surplombait des lèvres pincées et blanchies par le froid. Elle fini par revenir au milieu de notre rangée avant de s'arrêter, nous faisant face. Me faisant face. Elle me fixa un instant, ce qui suffit à me glacer le sang.

Une autorité naturelle se dégageait d'elle. Les ragots extravagants colportés à travers les camps ne semblaient plus si irréels une fois en sa présence. Elle pris enfin la parole, d'une voix forte et grondante.

- "Bien que certaines d'entre vous aient pu auparavant, par ignorance, être trompées par les promesses séduisantes des Romains… Vous avez appris à quel point c'était une erreur de préférer un despotisme étranger à votre mode de vie ancestral, et vous en êtes venues à réaliser à quel point la pauvreté sans maître est meilleure que la richesse en esclavage."

Une clameur s'éleva dans le rang. Cela faisait plusieurs décennies que Rome avait envahi la Gaule, mais depuis une douzaine d'années, la rébellion Celte gagnait du terrain, et s'enhardissait au fur et à mesure des victoires. Et c'était elle, la pièce maitresse. Qui inspirait tant d'hommes, et surtout tant de femmes.

Boadicée.

Alors qu'elle clamait son discours inspirant avec une authenticité et une ferveur déroutante, je me surpris à l'admirer. Cette femme qui avait causé la destruction de mon village, le massacre de ma famille, et qui m'avait jeté en pâture aux barbares. A l'écouter ainsi, nous promettant non pas monts et merveilles, mais honneur et respect, elle nous offrait la possibilité de nous venger du monde. J'en venais à me poser cette question qui, jusqu'à présent, ne m'avait même pas effleuré l'esprit : Où serait ma famille, aujourd'hui, si Rome ne s'était pas laissée aveugler par sa soif d'expansion ?

Mes jambes se mirent à flageoler, mes tympans à bourdonner, mes mains à trembler. Comment, en quelques minutes, en quelques phrases, un symbole envers qui je chérissais une haine depuis tant d'années, pu faire vriller mes pensées de la sorte?

J'étais comme hypnotisée par son charme, par sa verve, par sa prestance, par son aura. Elle envahissait tout l'espace de sa présence. Je n'avais pas d'autre choix que de lui vouer une adoration pleine et entière. Je n'avais pas d'autre choix que de l'admirer. Je voulais la suivre. Je voulais lui ressembler.

Je voulais être elle, Boadicée, la guerrière Celte.



TTR.

Signaler ce texte