La jeune fille ne sourit pas

Emmanuel Rastouil

Elle danse au milieu des autres demoiselles

Comme on joue en public un nécessaire jeu

Pour sauver l’apparence et faire comme celles

Qui vivent dans leur siècle et cultivent leur « je ».

La jeune fille ne sourit pas

(Ce qu’elle dit est triste. Elle feint d’être heureuse mais ses efforts sont vains).

C’est un pressant mal-être, une mélancolie

Comme un trouble insolent né de tourments lointains,

Un père irresponsable, une mère avilie

Invitant dans son lit tout un tas de crétins.

La jeune fille ne sourit pas

(Ce qu’elle dit n’a pas de rapport avec l’amoureux qu’elle n’a jamais eu).

Elle a vu l’œil avide et souillé de luxure

Qui la dévisageait comme un fruit presque mûr.

Elle sait l’avenir : c’est une meurtrissure !

Face à ce monde informe elle dresse un grand mur.

La jeune fille ne sourit pas

(Ce qu’elle lit ? Des livres impétueux qui lui ouvrent les yeux sur les garçons).

Je vois ma camarade et son insouciance

A quinze ans le futur est un rêve imprécis.

Si vraiment dans un souffle elle avait conscience

De son sort véritable elle aurait un sursis…

La jeune fille ne sourit pas

(Ce qu’elle dit ? « J’ai peur de mourir tôt… Je dois m’accrocher à quelque chose ! »).

Mais oui, tu es ma fille !

Mais oui, tu es ma sœur !

Mais oui, tu es ma femme !

Mais oui, tu es ma mère !

Oh, je sais bien ton cœur, il est comme le mien !

Harcelé, défaillant, c’est caché qu’il endure !

Qui peut te délivrer, un ange ? Un bohémien ?

Qui saura t’emporter dans une autre aventure ?

La jeune fille ne sourit pas

(Ce qu’elle dit : « Bientôt, je serai célèbre…J’oublierai enfin mon passé !).

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