La jungle et moi
Pascal Mess
Je suis sur ma terrasse et je regarde. Je suis sur ma terrasse et je m'évade.
Avec patience et persévérance, une graine que j'ai semé il y a un an, s'est épanouie en une plante, puis plusieurs. Ma terrasse en est maintenant remplie. Pour les contempler, je me suis gardé une petite place, pour ma chaise longue.
Je m'assoupis et ferme les yeux. Je suis au fin fond de la jungle et la végétation, dense, m'entoure, me caresse, mais aussi, m'étouffe. Je me sens guerrier et joue du coupe-coupe. Les bêtes féroces peuvent venir, je les attends de pied ferme. Des cris venant d'un peu partout, glacent mon sang, et bombe mon torse. Au fur et à mesure de mes pas, je me sens à la fois animal et végétal, et de moins en moins humain, j'aime ça.
Les feuilles et les branches me touche, m'enivre, germent au bout de mes bras, je deviens un arbre qui marche, qui s'arrête, qui s'incorpore au décor. Des griffes me pousse, des cris se forment dans ma bouche, puis un rugissement, le mien, m'inquiète et me sied en même temps, si bien.
J'écoute les oiseaux, les imite, me sens pousser des ailes, finit par m'exprimer comme eux. Je suis maintenant en proportions égales, humain, végétal et animal. Quel beau mélange!
Un chimpanzé m'accompagne, naturellement, semble me considérer comme l'un des siens. J'attrape un serpent un peu trop proche, le fait tournoyer et le jette plus loin. Je suis de plus en plus à l'aise dans cette jungle dont je commence à percevoir les moindres vibrations, le plus petit langage.
Je crie et me réveille en même temps. Je semble surpris d'être là, puis je m'étire. Ma femme se tient debout devant moi une orangeade à la main, ouvre de grands yeux tous ronds, cherche la parole. Je la regarde avec un grand sourire, et ne me sens pas coupable. Je pérennise mes sensations de rêve, j'ai les bras écartés et les feuilles de mes plantes me caressent sous les bras. J'aime ça. Je suis à la fois ici et dans la jungle. Devant mon air content, ma femme secoue la tête, lâche un juron que je ne veux entendre, plante en partant ses grandes jambes dans le béton.
Qui aurait pu croire qu'une seule graine puisse m'apporter autant?
Je referme les yeux et repars très loin, dans un monde qui n'est que pour moi.