" La liste de mes envies"

gautier

Une chronique sur une des pièces du 50 ième festival d'Avignon OFF , aujourd'hui " La liste de mes envies" de Grégoire Delacourt (retrouvez le format audio sur le lien média.)


“La liste de mes envies…rêvées peut vite devenir la liste de mes ennuis… à venir“. C'est un peu cela l'histoire de Jocelyne, simple mercière à Arras avec son mari amoureux, ses deux enfants et ses amies. Elle va gagner un gros lot faramineux avec un billet de loterie acheté au hasard, comme quoi l'argent frappe parfois à la porte de gens déjà heureux. Une tranche d'ennuis va alors surgir dans cette vie d'envies et pas l'inverse. L'intrigue peut paraître simple mais cette histoire n'est pas si anecdotique qu'elle n'y parait car elle va amener le spectateur à des questionnements de sens peu communs.                        

La belle idée de l'auteur du roman, Grégoire Delacourt, est de s'intéresser tout abord à l'avant et pas tout de suite à l'après. C'est-à-dire de parcourir subtilement les angoisses, les désirs d'une femme qui doute, qui hésite à encaisser cette somme qui pourrait bouleverser sa vie. Car, du fond de sa petite boutique de boutons et de fils dorés, elle a sans le savoir déjà tout compris. Distinguer ce qui est essentiel de ce qui ne l'est pas. Ce coup du sort est un véritable test grandeur nature pour elle, mais aussi pour le petit monde qui vit autour d'elle, surement plus fragile dans ses convictions. 

Nous suivons ce héros attachant des temps modernes qui tente d'anticiper naïvement ce que pourrait être sa nouvelle existence, avec la réalisation des rêves matérialistes qu'elle n'a pas ou qu'elle imagine pour les autres. Dans cette vision elle entrevoit aussi le risque de tout perdre en un instant. Pourtant rien ne semble pouvoir rompre ce moment de pur désir dont l'objet et le moteur est ce chèque à son nom, caché au fond d'une chaussure de conte de fée.

Comme avant l'acte amoureux où tout n'est que encore volupté de l'imagination, rien ne définitif ni d'irréversible ne s'est encore accompli, rien de terriblement empreignant qui ne puisse être effacé facilement. Plutôt que de passer le pas, elle imagine, elle fantasme, elle liste, construisant petite envie par petite envie un désir qu'elle n'a peut-être pas. S'ensuivent un questionnement sur la valeur de l'argent, une interrogation sur la différence entre le nécessaire et  le superflu, une réflexion sur le  pouvoir de corruption des âmes et des sentiments, dont nous aurons l'amère réponse dans une seconde partie, lorsque le rêve-éveillé de Jocelyne devient cauchemar-réalité.

Mikaël Chirinian réalise là une belle prouesse de comédien, d'acteur même, tant la suggestion de l'image est forte. Il compose, expose, explose toute une galerie de personnages, les proches et les nouvelles rencontres de Jocelyne. Il tricote son histoire, sa belle humanité dans un sens, n'oubliant jamais les manches que sont les parenthèses de la vie. Puis lorsque tout se précipite, le tricot comme le décor pourtant bien construit par une professionnelle des mailles à double sens, envers et endroit,  s'effiloche lui aussi dans l'autre sens. L'interprétation des affres du mari perdu dans ses égarements est particulièrement émouvante.  Même s'il semble y avoir une happy end matéria-liste avec un peu d'envie du côté de l'argent mais pas du côté de l'amour, cette histoire est une véritable fable grinçante sur la fragilité du genre humain, prompte à perdre l'essentiel , à céder à tout ce qui s'achète, plutôt qu'à ce qui est hors de prix !                                                                                                          Thierry Gautier (copyright SACD Avignon 2015)

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