La magie de l'Alfama, au cœur de Lisbonne

pierre-m

Essai micro, un-deux, un-deux…

Trois, quatre,...Trois syllabes d'abord, qui résonnent en rythme comme trois notes de musique, Al-Fa-Ma, et puis le chiffre "quatre" mais écrit en chiffre romain "IV".

ALFAMA IV, c'est le nom de l'appartement que j'ai choisi sur Airbnb pour mon séjour dans la capitale lusitanienne. Dans l'avion, je feuillette distraitement mon guide de voyage en regardant passer les nuages à travers le hublot. Au fil des pages, je découvre que ce mot dérive de l'arabe "alfa maa" qui signifie "les mille sources". Populaire et pittoresque c'est l'un des plus anciens quartiers de Lisbonne, berceau du Fado et de la Saudade. J'apprends également que dans ce quartier, il est possible d'entrevoir les traces laissées, ça et là, par les invasions romaines puis arabes. Le nom de mon pied-à-terre m'apparait soudain comme une formule magique, mélange ésotérique de civilisations méditerranéennes. Peut être est-ce la clé d'une antique incantation? Peut être qu'en répétant mille fois de suite ALFAMA IV sans respirer, mon vœu sera exaucé ?

Je viens seul, découvrir mon pays d'origine que je ne connais pas. Du Portugal je ne connais que les veilles histoires de famille que se racontaient ma mère et mes tantes le dimanche dans la cuisine ; aussi les exploits dont se vantaient mon père et mes oncles après le déjeuner mais tout ça ce sont des histoires, juste des histoires…Et moi je cours après la mienne, à la recherche de ma grand-mère, Maria, qui n'est jamais partie avec nous et que plus personne n'a jamais revu.

Elle a disparu. Enfin, pas tout à fait. Depuis quinze ans, après un différent inconciliable qui l'opposait à mes parents, Maria a fait ses valises et déménagé de Lisbonne à jamais. Elle ne veut plus voir personne mais chaque année, elle nous envoie une lettre pour nous souhaiter un joyeux noël, et c'est tout. Au fil des ans, les lettres sont devenues des emails, et puis, à noël dernier, j'ai reçu un email pour moi seul. Le message était laconique : « Pedro, tu es le seul de la famille que je ne connais pas. Si tu veux venir l'été prochain au Portugal, viens en juillet, viens seul, n'en parle à personne et prends un logement à l'Alfama. Si tu me cherches un peu, tu me trouveras. » Le message était signé : « ta grand-mère Maria. »

Mon père m'avait prévenu : « ta grand-mère est une artiste. » En effet, elle avait été chanteuse de Fado et danseuse. Ma mère avait un autre avis : « ta grand-mère est une originale. » En effet, elle avait aussi été libraire, fleuriste et comédienne. Quant à mes tantes, elles la trouvaient tout simplement folle et certainement dangereuse. Tous l'ont abandonnée mais moi je sais maintenant comment la retrouver. J'ai son nom, une veille photo un peu jaunie mais surtout je sais qu'elle sera là. C'est elle qui me trouvera, alors me voilà.

Quand j'arrive à l'appartement, caché au milieu d'un labyrinthe hallucinant de ruelles tordues et d'escaliers partant aux quatre vents, il fait nuit noire. Je suis en retard mais Ulrich, mon hôte, m'a attendu. Il m'accueille avec un grand sourire comme si de rien n'était, en me prodiguant les consignes d'usage en portugais. Il m'indique en quelques minutes les bons restaurants et les meilleurs endroits pour sortir. Je commencerai mes recherches par là.

Cela fait maintenant cinq jours que je cherche Maria, avec sa photo que je sors à chaque fois en bredouillant quelques explications dans un portugais incertain. J'ai écumé tous les bars et les restaurants de l'Alfama mais personne ne la connaît. J'ai bu vingt verres de Porto dans vingt clubs de Fado et tout ce que j'ai récolté c'est une gueule de bois et un flirt avec la fille de la pharmacie d'à côté mais aucune trace de Maria.

Ce matin je traine désespérément les pieds dans les rues du quartier quand je croise pour la cinquième fois de la semaine cette étrange fourgonnette bleue et blanche qui m'avait intrigué. Cette fois, elle est garée sur une petite place à l'ombre des arbres. Un jeune d'une vingtaine d'année s'affaire à ranger des livres sur des étagères biscornues. Je m'approche et entame la conversation avec lui. Ce que je croyais être le véhicule de travail d'un plombier ou d'un électricien s'avère, en fait, être une librairie itinérante. Le concept est original, ils vendent des livres d'auteurs portugais aux touristes, tous disponibles en portugais, en anglais ou en français. J'en achète finalement cinq dans chaque langue. Quand je repars, mes livres sous le bras, le jeune libraire me rattrape et me tends une enveloppe. Il me dit qu'il avait pour consigne de me la donner, si et seulement si, je lui achetais des livres. Je le regarde interloqué. Il hausse les épaules en m'invitant à ouvrir l'enveloppe. Je ne me fais pas prier et la décachète immédiatement. C'est une lettre de Maria ! Elle s'est mariée avec un brésilien, peintre d'aquarelles et danseur de Samba. Elle habite à Salvador de Bahia et m'invite à la rejoindre. Je la trouverai facilement, elle loue parfois sa maison sur un site de location en ligne qui s'appelle Airbnb.


https://www.airbnb.fr/rooms/454217

 

http://www.tellastory.pt/

 

 

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