la main de l'homme n'y a jamais mis les pieds
hectorvugo
Il y avait un totem sur l’île. Un figure de proue qui défiait l’horizon. Quand le vent se levait, il était le seul à se tenir droit comme i. Les arbres se pliaient, prêtant allégeance, à cette force naturelle que rien n‘entravait. Personne ne résistait au vent depuis que les hommes avaient quitter l’île. Seuls quelques hérons s’y posaient pour repartir aussitôt. La halte touristique ne durait jamais longtemps. Il n’y avait rien sur ce territoire aussi large qu’une flaque d’eau pour intéresser qui que ce fût.
Jadis, un inconnu y déposait du grain dans une cabane. C’était le temps ou le vent ne soufflait pas, où le soleil et la douceur résidaient en maîtres. Pour autant à cette époque, l’île gardait un cachet sauvage avec ses herbes folles. D’aucuns pensaient que la civilisation se tenait à l’écart de cet endroit.
Excepté la cabane, et la moitié d’un pont encore vivant à ce jour.
Au milieu de l’île trônait un saule pleureur, une curiosité. Lui aussi s’inclinait face au vent, pour retrouver dès son départ sa stature d’origine. Il devait sa survie à cette diplomatie de circonstance. « un apprentissage de jeunesse » riait-il tout ne montrant avec fierté la maxime tatouée sur son tronc : la main de l’homme n’y a jamais mis les pieds
Et les carpes s’esclaffaient. Jamais un homme ne fut aussi souple pour mettre à bien ce proverbe. A moins qu’un singe….
Les plus vieilles d’entre elles ne furent pas suffisamment âgées pour témoigner du passage d’une espèce douée de raison et d’une compétence à sculpter la nature.
Au siècle dernier, l’ile était à vendre. Son propriétaire, un aventurier octogénaire ayant fait deux fois le tour de la terre, décida de s’en séparer. Son sous sol était vierge. Pas une goutte de pétrole, pas une possibilité de culture.
L’agence immobilière eut toute les peines à trouver un acquéreur. « Seul un fou en voudrait » dixit le directeur de l’agence. Il avait mis sur le coup son meilleur élément. Une vendeuse hors pair, très bavarde et agréable à l’œil. Elle usait souvent de ses charmes pour arracher une vente, sans toutefois dépasser les limites de la décence. Qu‘en aurait pensé le notaire ?.. Pour cause, ils étaient amants.
.Le fou venait de toucher une grosse somme à la loterie. Son rêve depuis toujours était d’acheter une île d’y planter un arbre et d’y construire un totem.
Dès la première visite il fut conquis à la fois par les courbes de la vendeuse et les formes de l’île; Toutes deux échappaient aux canons de la beauté pour afficher un charme bien à elles. La vendeuse était aussi grande que l’île petite. Et cette double combinaison finit par persuader notre fou.
La vente eut lieu chez le notaire à la fin de l’hiver.
Tout restait à faire sur l’île. Mais pour qui avait du temps la tâche ne s’annonçait pas insurmontable. Notre fou disposait de l’éternité. Une éternité bien à lui.
Ce lopin de terre à peine plus gros qu’un haricot se tenait au milieu d’un étang. On ne pouvait le rejoindre que par barque. Et il fallait s’attacher l’amitié de quelques rameurs expérimentés pour espérer fouler ce territoire un jour.
Tout juste propriétaire notre fou partit à la recherche d’un équipe de rameurs. Il fréquenta les bars de la ville et exposa son plan à qui voulait l’entendre.
Un baroudeur nommé Virgile accepta le challenge et monta une équipage. Il trouva trois paumés. Tous avaient comme dénominateurs communs, l’illettrisme, le besoin express d’argent et une foi en dieu peu en vogue.
Quand le fou paya la troupe sur les marches de l’église de la ville, avant même le premier coup de rame, chacun crut à une intervention divine. .
Ils levèrent au petit jour un vendredi. Un ciel bas et humide se posa sur le terrain rendant la visibilité très aléatoire. On entendait les plongeons sporadiques de quelques carpes et autres grenouilles..
En voyant la configuration du terrain, l’île au milieu de l’étang; ils leur semblaient impossible de rallier la berge à ce territoire microscopique en deux jours. Tout au mieux leur faudraient-ils une heure et encore pour régler cette affaire.
Si le fou avait été pauvre, nul doute qu’ils lui auraient ri au nez. Lui leur annonçait deux jours pour réaliser l’objectif à cause d’une sombre histoire de carpes sauvages et de courants contraires. Virgile lui renvoya un sourire condescendant devant son exposé. Il laissa dire le fou.
Et la barque mouilla, rentrant en contact avec une vase gluante. Elle ressemblait d’aspect à ses substituts de repas qu’ingurgitaient les femmes obsédées par leur ligne. Virgile enfonça sa rame. Il prit peur. Et si le fou avait raison. Les premiers mètres furent terribles. L’embarcation n’avançait pas. On aurait pu marcher sur l’eau tellement elle paraissait solide à vue d’œil. « cet étang est une soupe » maugréa Virgile. Les autres se concentraient à leur tâche, incapable de faire le moindre commentaire. Oui le fou avait raison; à moins que..
A moins que la barque ne passât le cap du premier jonc. Au-delà, on devenait une eau moins trouble et plus liquide. Une promesse.
La barque atteignit le premier jonc en deux heures dans l’incrédulité générale sauf pour le fou. Ses prévisions étaient justes. Son visage fut le seul à ne pas se dérider le cap du premier jonc dépassé. Au contraire, Il attendait avec appréhension le premier banc de carpes sauvages et espérait que la barque fût assez solide pour le passer.
Il n’avait pas tout raconter de peur d’être abandonner par ses compagnons. Que lui auraient ils dit en réponse à une histoire de carpes carnivores ? Ils l’auraient laisser tomber sans aucune forme de procès. L’argent n’aurait rien fait pour les retenir. Cette histoire de carpes était à dormir debout. Lui-même n’en crut pas un mot.
Il la tenait du notaire qui au soir de la signature lui en fit la confidence.
Le fou ravisa son jugement en voyant une gueule de carpe s’attaquer à la coque et la croquer. La partie avant s’en trouva amputer. La barque coula. Et l’équipage commença une traversée à la nage aucunement prévue au programme.
Certes les carpes mangeaient du bois, mais de là à manger un homme se disait le fou. Virgile était devant lui avec son équipage au grand complet. Tous nageaient sereinement. Quand soudain le reste du banc de carpes surgit et émietta de manière chirurgicale le groupe. Restait l’unique survivant le fou. Il crut atteindre l’île quand il y posa sa main. Le reste ne suivit jamais et fut gober par la carpe la plus grosse du banc. Sans doute le chef.
Bien des années plus tard, un jeune scientifique spécialiste de la faune et de la flore hérita de l’île après la mort de sa mère. Il y construit un totem, y planta un saule sur lequel il grava « la main de l’homme n’y a jamais mis les pieds ».
Cette main, c’était la main de son père, la main du fou. Une main conservée religieusement dans un bocal de formol par une vieille femme jadis vendeuse dans une agence immobilière.
Un agréable moment de lecture au réveil, oui, un vrai rythme de vague ton écriture, tres bien construit !
· Il y a plus de 13 ans ·andreadada