La maison

veroniquethery

Texte inspiré par un tableau : Le monde de Christina, Andrew Wyeth, 1948

La maison était là. Immense et lugubre, semblable à ses souvenirs. Des murs gris qui lui rappelaient qu'ils avaient été les témoins de son enfance. Qu'ils l'avaient enfermée, tandis que son père abusait d'elle la nuit. Un toit recouvert de tuiles noires et hideuses, qui cachaient le secret infâme. Des fenêtres sales, comme embuées de larmes, qui empêchent de voir l'extérieur et ses chemins de liberté inaccessible. Une porte énorme comme les poings qui s'abattaient sur elle. Et un porche sous lequel jamais un rayon de soleil ne pénétrait. Un porche sous lequel sa mère se réfugiait pour ne pas voir. Pour ne pas entendre. Pour ne pas défendre.

Elle avait toujours haï cette maison. Rêvé de la quitter, de s'enfuir loin de cet enfer. Mais, pour aller où ? Autour d'elles, ces immensités de prairies. Herbes folles, ployant sous les vents. Fille folle, ployant sous les coups. Où fuir ? Le monde existait-il au-delà de ces pâturages sans vie ?

Elle se souvenait de son beau visage. Cet inconnu arrivé un soir. Elle revoit sa bouche tendre, ses dents blanches, qui lui chuchotent le monde réel. Des noms de villes qui chantent. Des personnes qui vivent ailleurs, qui dansent et…

- Meurs !

Un seul mot. Elle voit le beau visage se couvrir d'un sang rouge de mort. Une hache est plantée au sommet de son crâne, enfonçant dans le trou béant la casquette qui lui donnait tant de charme. Le monde vient de se refermer. Une fois de plus. Une fois de trop.

Elle est partie ce matin-là. Dans sa robe rose de fillette trop sage. Ses petits souliers gris l'emportaient loin de la demeure des ogres, très loin des mains géantes qui frappent et tuent. Ses socquettes blanches, elle s'en souvenait, glissaient au bas de ses chevilles. Elles lui rappelaient qu'il fallait courir plus vite, plus loin. Chaque fois qu'elle les remontait, elle se revoyait enfilant la culotte qu'il lui avait enlevée. Ses chaussettes blanches étaient rougies ce matin-là. Tout comme ses petites mains. Elle avait beau tenté de les essuyer sur les herbes folles, plus bas sur la colline, en observant la maison morte, le sang était resté collé, imbibant sa peau d'une trace indélébile. La même que sur la clef magique du tueur de femmes du conte pour enfants fous.

Elle était une enfant folle. Sa mère le lui disait souvent. Il ne fallait jamais rire, ni danser, ni chanter. Diableries que cela ! Seulement prier et obéir au dieu qu'elle chérissait. Mais, l'enfant folle n'était plus une enfant. Elle ne croyait plus ni au diable, ni aux dieux. Elle connaissait seulement la vie descendue morte de ses trop jeunes entrailles. Elle connaissait seulement la mort qui frappait les inconnus aux dents trop blanches.

Elle avait abattu la hache sur le crâne endormi de sa mère, sur celui de son père. Ils étaient morts sans un râle. Alors, elle avait ri, elle avait dansé et chanté. Puis, elle avait mis ses petits souliers gris et elle était partie.

  • Vision très violente que la vôtre !
    . Dans son excellent livre "Méditer jour après jour", page 212, Christophe André explique l'histoire de ce tableau et l'utilise pour sa leçon 18: "avancer, même blessé".

    · Il y a plus de 5 ans ·
    Oiseau... 300

    astrov

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