La maison de mon grand-père

ella

Inspiré par une vieille rédac'. Image par Michel Rouhana

La maison de mon grand-père est une grande bâtisse de pierre nichée dans un coin de la montagne libanaise. On y accède en passant devant le restaurant Mounir qui, les rues n'ayant pas de nom, sert aussi de repère aux taxis que mes parents appellent lorsque nous descendons à Beyrouth. Il faut ensuite longer une rue poussiéreuse pour arriver à une route, souvent déserte, bordée de majestueux pins tournesol. Sur la gauche de cette route, une pente pavée ; puis encore à gauche, une impasse. Al chmen ou al chmen disent mes parents au taxi. A gauche et à gauche.

   La maison est la troisième et dernière de cette impasse, juste en face d'el hét el mlawan, le mur à la fresque, nommé ainsi parce que quelqu'un y a peint une représentation de Guernica de Picasso. Au-delà de l'impasse, s'étend un immense terrain vague avec son sol couvert d'aiguilles qui piquent les pieds lorsqu'on y marche en sandales, sa petite maison de pierres et de tôle qui abrita durant un temps deux ouvriers, et ses bosses qui rendent toute marche impossible après quelques mètres. Le terrain abrite lui aussi de nombreux pins et quand, le matin, je prends mon petit-déjeuner sur la balancelle de la terrasse, j'entends les chants des cigales qui s'y logent.

   La maison elle-même est construite de façon étrange sur le versant de la montagne : le lieu étant en pente, les étages s'empilent vers le bas et sont donc numérotés de un à moins trois, le jardin se trouvant au moins deux. Elle est divisée en deux appartements : le premier étage et le rez-de-chaussée appartiennent à mon grand-père et les trois inférieurs à mon oncle et ma tante. Les deux habitations s'organisent autour d'une grande cage d'escalier entourée de vitres qui laissent apercevoir, au fil des paliers, des bouts de plantes ou de murets du jardin.

   De cette maison, j'aime particulièrement le sous-sol. Composé de deux grandes pièces emplies d'humidité et d'odeurs de lessive, il présente l'avantage d'être à l'écart du reste de la maison. J'y croise rarement quelqu'un - les activités de la maisonnée se font aux étages – sauf lorsque mon grand-père vient faire de la marche sur le tapis électrique. Dans ce cas, les vrombissements réguliers de la machine accompagnent mes lectures.

   La première pièce du sous-sol est un débarras, une sorte de placard géant où sont entassées toutes sortes de choses. Ces choses dont on ne se sert qu'une fois l'an mais que l'on n'ose pas jeter à la poubelle par peur d'en avoir extrêmement besoin un jour. En vrac : deux canapés sans coussins, une multitude de vieux tapis roulés, des caisses pleines de LEGO et autres jeux pour enfants, la chaise haute de ma cousine – maintenant mariée et mère – dont le bleu à fleurs roses se rapproche de plus en plus du blanc grisâtre, des planches de bois verni empilées contre un mur, une machine censée envoyer des signaux en morse, mais qui n'émet plus que des grésillements dissonants ou encore une paire de skis, bien rangée dans sa house noire. Un grand, très grand bordel.

   Mais, hormis le fait qu'elle recèle de cachettes introuvables en cas de partie de cache-cache, cette pièce possède un atout majeur : couvrant le mur de droite, une immense bibliothèque de fer blanc remplie de livres.

    Cette bibliothèque doit bien contenir dans les cent livres –une véritable mine d'or. C'est ainsi que seule avec ces objets poussiéreux, je découvris le sens même du mot lecture. La lecture qui vous bouffe votre journée, vous fait vivre aventures sur aventures,  vous fait rêver, voyager, vous laisse nostalgique à la dernière page, comme on le serait en ressassant de lointains souvenirs. La lecture qui vous happe totalement, vous fait oublier votre entourage.

   C'est avec cette lecture que je compris que la magie existait. Qu'il y a des gens qui jonglent avec les mots comme on se baladerait sur un trottoir, qui en font des rêves. Je compris que chaque livre est un univers à lui seul ; un univers d'apparence noir et blanc mais qui, si on y porte un peu d'attention, se remplit de sens, d'images et de personnes. J'avais une multitude d'univers à portée d'étagère qui n'attendaient que d'être ouverts. A partir de ce moment, l'odeur des livres poussiéreux et des pages jaunies devint pour moi l'une des plus belles au monde.

   Au début, le choix fut difficile, très difficile. Par lequel de ces univers commencer ? Je finis par découvrir que les livres étaient plus ou moins rassemblés logiquement. Je commençai par la gauche, par les livres d'enfants. Je dévorais ainsi les Club des Cinq, Fantomette, Alice et autres La chaumière de Priscilla – un de mes meilleurs souvenirs – Le Prince des neiges ou encore Pourquoi tuer le pépé ? – livre pour adultes mal rangé, qui me fit prendre conscience que je pouvais monter de niveau. Il arrivait parfois que je tombe sur le nom de ma mère ou d'une tante, tracé d'une écriture ronde d'adolescente, et dans ce cas j'ai l'impression de partager quelque chose de précieux, d'approcher ceux que mes proches furent avant ma naissance et ma joie n'en est que plus grande.

   Petit à petit, je passai à la partie droite de l'étagère et découvris d'autres chefs d'œuvres. Le passé ne meurt jamais, A maintenant et pour toujours ou Arsène Lupin contre Herlock Shlomès furent plusieurs de mes lectures. Ma plus belle découverte est sans doute La petite princesse de F.H. BURNETT –livre bien caché derrière un bidon en plastique mais que je relis plusieurs fois.

   Mais il n'est pas agréable de livre dans cette pièce pleine d'objets. C'est là que la seconde salle du sous-sol m'intéressa.

   C'est une salle servant à la fois pour étendre le linge, jouer au ping-pong, faire du sport sur une des deux machines de sport –machines parfois réquisitionnées pour accrocher des cintres de chemises mouillées sans que cela ne dérange réellement personne- ou encore pour faire dormir des invités. Elle devint aussi ma salle de lecture car est le seul endroit du sous-sol à disposer d'un canapé –lui aussi aux usages multiples.

   Ainsi, il me suffit de me recroqueviller dans un coin de ce fauteuil, un livre à la main, pour voir filer les après-midi à toute vitesse. Pour autant, je ne passe pas mes vacances d'été à lire exclusivement ; d'autres pièces de la maison de mon grand-père, telles que le grenier, le jardin ou le salon, offrent de multiples occupations. Mais tout raconter serait trop long alors je vous laisse là, sur cette image d'une gamine à lunettes roulée en boule dans un fauteuil beige et découvrant, au fil des pages jaunies, une multitude d'univers tous différents les uns des autres. 

  • Je crois que celui-là est mon préféré, sans doute parce qu'il sent la nostalgie, la vieille maison et les vieux livres, le début est vraiment pas mal mené du tout, comme un zoom progressif, avec des petits détails vivants, des odeurs, voilà on peut se perdre dans les détails.
    Et puis j'ai aussi commencé par passer de longues heures avec Ficelle, Boulote, et Fantômette, alors tu penses bien...

    · Il y a environ 9 ans ·
    Avat

    hel

    • Merci, c'est exactement l'ambiance que je voulais instaurer :)

      · Il y a environ 9 ans ·
      Vava wlw

      ella

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