La maison des vacances

aile68

Les vacances c'est peut-être fini ou peut-être pas. Je suis dans le midi, j'ai les idées au repos, je laisse venir mes pensées c'est comme ça que je réfléchis. Le vent a enfin chuté, demain c'est dimanche, on ira se promener sur la grève. Jean prendra son épuisette pour les écrevisses, Martine son ballon rouge. Tout le monde aimerait prolonger les vacances, lundi je recevrai un coup de fil important qui déterminera tout. L'appartement de Maman est presque vendu, si c'est en effet le cas, on pliera bagages illico presto. Elle est là qui dort dans un coin de pièce, elle lit de moins en moins avec l'âge. Elle viendra habiter avec nous, tout le monde trouve ça formidable, c'est la seule solution qu'on ait trouvé face à son état vieillissant. La maison est assez grande et c'est ma mère tout de même. L'auxiliaire de vie continuera à venir et ma soeur n'est pas loin de la maison. Pas de problème. Je fainéante sur le sofa en écoutant la radio d'une oreille, du jazz s'échappe des écouteurs. Je trouve que la vie est belle. Mes pensées continuent de venir une à une, s'enchaînent les unes aux autres puis s'arrêtent soudain créant presque un embouteillage dans ma tête. Et si ça se passait mal avec Maman? Je travaille à temps partiel, j'aurai du temps pour elle mais si ça se passait mal? Les enfants en pâtiraient, Pierre serait mécontent, j'en souffrirais et Maman ne serait pas bien chez nous. Est-ce une bonne idée de la prendre chez nous? Elle est là tranquille, pour le moment. Et après? On avait pensé avec la frangine lui épargner la maison de retraite, elle ne mourrait pas au milieu d'étrangers comme ça. Inquiète comme tout, je téléphone à ma soeur aussitôt. Une sonnerie, deux, trois puis sept, personne! Où peut-elle bien être? J'appelle Pierre qui travaille dans le jardin.

"J'ai comme une angoisse! Et si ça se passait mal avec ma mère."

- On en a déjà parlé Lucie. Faudrait savoir!

- Oh soutiens-moi je t'en prie!

- ça se passera bien. Elle n'est pas méchante et les enfants l'aiment bien. Et la maison est grande, tu le sais bien.

- Oui c'est vrai...

- Allez ne t'inquiète pas. ça ira.

-Espérons!

Je jette un coup d'oeil sur ma mère avec la peur dans le ventre: et si elle m'avait entendue? Elle a les yeux baissés, pourvu qu'elle dorme! Je l'appelle pour m'en assurer.

"Maman?"

Elle ne répond pas. Je retourne à mon sofa, plus que jamais inquiète. Les enfants entrent en trombe dans la cuisine, affamés comme des loups, Maman se réveille ou fait mine de se réveiller je n'en sais rien.

"Tu as bien dormi Maman?"

- Je crois que je me suis assoupie quelques minutes.

ça ne me rassure guère ça. Enfin bon occupons-nous de mes loups. Je leur donne à goûter puis demande à ma mère si elle ne veut rien.

"Non, tout va bien. Et toi tu ne veux rien?"

- Je vais me faire un thé.

- J'ai réfléchi ma fille. Je n'irai pas habiter chez toi. Je préfère rester ici.

- Mais non! Loin de tout? Tu n'y penses pas?

Elle a tout entendu, c'est pas vrai!

- L'air est sain ici, je suis bien mieux ici qu'en ville. Et n'oublie pas que c'était la maison de ton père ici.

Là, elle m'en bouche un coin. Rester ici dans le midi. Pour le temps, elle n'a pas tort. Mais comment allait-elle faire toute seule? Elle me répond qu'elle aurait  une auxiliaire de vie et une dame de compagnie, mais tout de même! Nous serions loin, nous! Deux cents kilomètres il fallait les faire!

- Ecoute ma décision est prise. Appartement vendu ou non, je reste ici.

Quelle mouche l'a piquée? J'avertis Pierre immédiatement.

"Tu ne vas pas la forcer à venir avec nous. Et puis deux cents kilomètres ce n'est pas si loin."

- Mais vous êtes fou tous les deux ou quoi?

- Ecoute tout à l'heure tu te faisais du souci et maintenant tu t'insurges contre ta mère. C'est elle qui décide après tout.

- Mais elle n'a pas toute sa tête!

- Tu sais très bien que si. Elle n'est plus toute jeune mais elle ne sera pas toute seule et l'hôpital n'est pas loin.

- Oh je t'en prie ne parle pas de malheur! Tu crois qu'elle nous a entendu parler tout à l'heure quand je m'inquiétais?

- Peut-être que si peut-être que non.

- Merci de ton aide je lui réponds sarcastique.

- A ton service!

- Ne vous disputez pas pour moi intervient Maman.

Vous voyez je ne suis pas chez vous, et vous vous disputez déjà pour moi! Imaginez si je viens vivre chez vous.

J'avoue que là elle m'a confondue. Mais tout de même, rester dans la maison de vacances! Ce n'est pas prudent.Maman me propose de faire un essai. J'accepte à contre-coeur.

"Je suis vieillissante mais pas malade!" me dit-elle en souriant.

Soit! Nous verrons bien. Je n'ai qu'un désir pour le moment c'est mettre mon esprit au repos. Aucune pensée ne me vient en tête, je suis vidée. Je sens que je vais m'endormir. Soudain le téléphone sonne c'est ma soeur qui appelle.

"Allô tu m'as appelée, tout va bien?"

"Maman veut rester vivre ici. Elle va faire un essai, si ça va pas on avisera. "

Je vous passe les exclamations dues à un étonnement bien légitime: "Mais comment? Et pourquoi ci, et pourquoi ça?"

Je n'en peux plus. Je regarde ma mère à la sauvette, elle a de nouveau les yeux fermés. Dort-elle? Peut-être bien que si, peut-être bien que non. Je n'en sais rien en fait. Elle fait le chat mort. C'est alors que je me dis qu'elle a le droit d'avoir des volontés et que je n'ai pas le droit de l'enterrer avant l'heure.

Demain nous irons nous promener sur la grève avec les enfants. Jean aura son épuisette pour les écrevisses, Martine son ballon rouge, et Maman sa vieille canne blanche d'aveugle.



 


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