La maladie du coeur [1]

Il y avait quatre dortoirs et dans chaque dortoir résidaient cinq enfants, garçons ou filles.

Tout était étrangement blanc. Des murs jusqu'au plafond et des chaussures jusqu'au tee-shirt. Ce blanc était un blanc pur. Trop pur à mon goût.

Je ne savais même plus à quoi ressemblaient les couleurs, et le seul endroit où je pouvait en retrouver, c'était bien dans mes camarades. Bien sûr, je n'avais pas le droit de les regarder, mais je m'arrangeais pour leur jeter un regard furtif, de temps en temps, lors des pauses, ou avant de dormir. C'était extrêmement risqué mais je ne pouvais pas vivre sans. Sans les différents blonds, le roux, le châtain, et en particulier le noir. C'était une couleur que je retrouvais rarement chez mes camarades. La plupart des cheveux était châtains. Mais le noir, le pur noir, je n'en voyais presque jamais. Durant mes courtes observations, je n'avais vu qu'une seule chevelure noire de jais.

Ce noir était une délivrance pour moi, car il contrastait avec le blanc trop blanc de cette demeure.

Et puis il y avait aussi les yeux. Mais ça c'était très dur à regarder, étant donné qu'il fallait être proche de la personne pour voir la couleur de ses iris.

Je ne savais moi même de quelle couleur étaient mes cheveux, ni mes yeux car il n'y avait pas de miroir et qu'on nous coupait les cheveux toutes les semaines. Nous avions tous les mêmes habits, un tee-shirt avec un pantalon et des chaussures.

Nous n'étions pas autorisés à nous parler, ni même à parler tout court, sauf pendant les pauses, qui duraient dix minutes, une fois par semaine. Nous passions nos journées à attendre. Ils nous nourrissaient et nous logeaient. J'aurais pu me lever et leur dire merci de faire tous ça pour nous. Mais je ne le fis pas. Parce qu'on ne pouvait pas. Et parce de toute façon, ils ne font ça que parce qu'ils y sont obligés. Et puis, ils ne nous répondraient pas. Le jour de nos dix-huit ans, nous subirons l'Opération du cœur. Elle était censée nous guérir,  parce que, parait-il, si nous étions ici c'est que nous avions une maladie.

Cette maladie c'était les "Sentiments". Il parait aussi qu'il y a très longtemps, le virus avait contaminé la terre entière. Mais le monde a guérit. Sauf nous. Et c'est pour ça que nous étions dans cet institut. Quarantes personnes. Quarantes enfants. "Malades". Les seuls.

Tandis que je suivais docilement mes camarades, le bruit de nos talons contre le carrelage - blanc - glassé résonnait froidement dans l'enceinte. Il était l'heure d'aller manger. Nous y allions par groupe de chambre et dans des moments différents pour ne pas semer la pagaille. Mon groupe était le dernier à passer.

Quand nous arrivions dans le réfectoire, je levai instinctivement la tête pour regarder les néons blanc qui illuminaient la pièce. La salle était simplement constituée : deux grande et longue table avec des bancs à droite et à gauche, et un self où des cantinières masquées nous servaient le repas. Tout le monde avait la même chose dans son assiette, évidemment. Je rabaissa la tête en croisant le regard de celui d'un surveillant. "Aïe", pensais-je," Cela pourrait me coûter très, très cher" Je fixai mes chaussures et attendis que la réplique vienne. Mais rien ne se passa. Il ne m'avait peut-être pas vu, finalement. Je me suis inquiétée pour rien. Curieuse, je relevai la tête, le surveillant me fixait toujours. Je baissai précipitamment la tête et le rouge me vint aux joues. Une fois de plus, je m'attendais à une remarque cinglante mais je n'entendit rien. Au lieu de me rassurer, cela m'inquiéta davantage car j'étais sûre qu'il m'avait vu cette fois-ci. Et si il ne disait rien maintenant, ça sentait le roussi pour plus tard.

Je me servis donc des plats que les cantinières nous donnaient et m'assit à ma place habituelle, pré-designée à mon arrivée ici. Je mangeai en silence, le nez dans mon assiette, avec comme seul bruit de fond le bruit des couverts contre l'assiette La vie était ennuyeuse et répétitive. Pourquoi ? Pourquoi empêchaient-ils les seuls personnes capable de vivre de vivre ? Pourquoi ne nous laissaient-ils pas vivre avant de nous soumettre à l'Opération ? J'ai ma petite idée là-dessus. Je pense que si ils nous laissaient ressentir pleinement les émotions, nous refuserions de laisser une machine nous les enlever. Car nous aurions compris que les sentiments n'avaient rien d'une maladie. Si je sais tout ça c'est grâce à ce garçon.