La Mélodie Perdue
cerenaa
Je le vis, il était là devant moi. De la poussière s'était accumulée sur le vernis de son fin bois. J'y frottai alors un fragile morceau de soie, ainsi il put étinceler comme autrefois. Je relevai doucement le couvercle et le fis tenir grâce au petit soutien de bois. Découvrant à nouveau son anatomie, je m'empressai d'entendre encore une fois sa mélodie. Je pris la petite clé, cachée sous un des marteaux, l'enfonçai dans la serrure et révélai alors le cœur de ce piano. Mes doigts se mirent à caresser tendrement les touches, me souvenant de quelques notes, une mélodie parvint jusqu'à ma bouche. Mon esprit fut alors rempli de milliers d'images ce même piano, à l'époque, me semblait si grand, il m'arrivait même de le trouver intimidant. Il y a longtemps, je m'asseyais sur le siège, mes mains jouant quelques arpèges. Mes pieds se balançant dans l'air, il faisait sombre, mais ce piano était ma lumière.
Je m'assis pour la première fois depuis longtemps sur le siège qui maintenant grinçait, cette odeur, ce sentiment, ils me plaisaient. Je posai délicatement mes doigts sur les touches d'ivoire, ce contact froid détonna avec la chaleur de mes doigts. Je pris une grande inspiration et fermai les yeux, laissant mes membres libres, le piano fut à eux. Mon majeur choisit un do, ce son merveilleux, symbolisa le levé de rideaux.
Mes mouvements devinrent alors plus fluides, mes mains se lancèrent dans un rythme rapide. Quelques notes, jouées par-ci, par-là, réveillèrent en moi l'enfant prodige que je fus en ce temps-là. Chopin, Beethoven, Bach, Mozart, Berlioz, Schubert, tous revinrent en moi et s'emparèrent de mes doigts. Je les laissai faire, bercée par leur savoir, ils me rappelèrent mes années au conservatoire. L'harmonie des deux clés fut parfaite, le grave valorisant l'aigu de cette mélodie imparfaite. Les notes piquées, brusques, courtes, donnèrent un air enjoué. Il me sembla apercevoir, des lueurs jaunâtres, vives, rappelant l'odeur de ces ultimes fleurs dorées, qui durant l'automne devaient combattre. Cette chanson ne s'arrêta pas, laissant place à une tempête, les gammes tournoyèrent autour de moi, me faisant ressentir l'agitation de cette mélodie incomplète.
Puis la tempête devint lentement une douce brise, cette chaleureuse fraîcheur, caressant les pages semblant vivre de cette mélodie incomprise. Elle effleura mes pieds nus, mes mains, mes doigts, ma chevelure, des frissons parcoururent mon corps, je fus émue. La Mer agitée succomba alors et un joli ruisseau découla de cette Mer d'or. De ce goût salé, naît un sucre, aussi aimable qu'un miel satiné. Le rythme ralentit et la pression de mes doigts contre les touches devint infime. Un flot de lueur bleutée se mêla à la couleur du soleil, apportant ainsi la sagesse à mon oreille. C'était alors le moment de jouer avec les pédales, le chant harmonieux des résonances provoqua en moi l'envie de vivre cette mélodie inégale. Les notes s'étirèrent, pleines de délicatesse, le souffle apaisé, emplissant mon cœur, d'un chant que je connaissais par cœur. Je me souvins de ces jours heureux. Maman jouait avec moi, sur ce piano que je voyais là, mes mains si petites sur les siennes, suivant la cadence de ses mains, qui pour un court instant étaient miennes. La nostalgie s'empara de moi, je ne pus lutter contre ses sentiments puissants, je m'y noyai.
La chanson marqua un court temps de pause, c'est alors que je quittai cette atmosphère amèrement sucrée, pour un torrent passionné.
A chaque marteau frappant l'orchestre des cordes filées, un pétale rougeâtre papillonna avec souplesse entre ces quatre murs isolés. En appuyant sur la pédale je pus ressentir ses vibrations, elles traversèrent ma jambe jusqu'au bout de mes doigts, laissant place à la passion. Mes mains jouèrent les accords mineurs, de la gamme du sol, les notes prirent de l'ampleur. L'harmonie du La, résonnant avec le Si bémol, inonda mon cœur, submergeant les douleurs frivoles. La tierce, la quinte, l'octave, faisait chanter mon esprit qui n'exprimait plus que des plaintes graves. Mon souffle devint saccadé. C'est une vague de sentiments, tous différents les uns que les autres, qui me pris, l'âme abandonnée.
Fut-ce de l'amour ? Là enfouie. Je martelai les touches de ce grand piano avec frénésie.
Mon cœur se réchauffa, je pus y ressentir à nouveau cette étincelle. Mes mains se baladant dans les graves, l'aigu me fit appel. Progressivement la fréquence changea et le son devint fragile. Ma flamme se raviva peu à peu, à l'ouïe de ces notes poignantes, mon âme fut en péril. Celle-ci attisant le fond de mon esprit, mes doigts brûlèrent de mélancolie. Mon être entier était maintenant éclairé, consumé par cette mélodie inachevée. Brusquement le son changea. Que se passait-t-il ? Mon souffle se coupa. Le feutre avait pris place devant les cordes, assourdissant les réverbérations de ces fins filages et murmurait tout bas.
Le La le plus bas se mit à battre, comme si un cœur se cachait là. J'appréciai un court instant, ce moment, ivre. Le piano sembla vivre. Ses battements réguliers se lièrent aux miens, nous ne fûmes bientôt plus qu'un. Ses pulsations cessèrent. Je repris alors la chanson interrompue, mes doigts frappant les touches, avec la volonté de terminer cette mélodie inconnue. Le son feutré paraissait être un murmure mais mon piano sembla s'asphyxier. Oh ! cette douce torture. Fut-ce le moment de s'en aller ? Non je ne pouvais pas, il fallait que je joue. Une larme, alors, perla le long de ma joue. Je continuai de jouer, n'ayant pas la force de m'arrêter, mais aucun son ne put s'échapper, les notes furent toutes étouffées. Le piano, de mes larmes, fut parsemé.
Les lueurs jaunes perdirent leurs couleurs. Le vent emporta les rayons bleus. C'était l'heure.
Le murmure feutré ne devint alors plus qu'un souffle. Ma flamme sembla emprisonnée, sous une cloche de verre, ne pouvant plus respirer.
Les pétales vermeils tourbillonnant, se mirent enfin à faner.
Un nuage sombre s'abattit sur l'éclat de l'ivoire, m'arrachant toute possibilité de voir. Mon cœur cessa de battre, je suffoquai. Mes doigts ne bougèrent plus, je dus pourtant me battre. Un silence pesant pris place, l'obscurité régnait, la chaleur devint alors glace. Je m'éloignai lentement, on m'en sépara. Je tendis les mains, tentant d'attraper le moindre éclat plein, qu'il avait parsemé. Il n'y eut plus rien. Ce fut terminé. Je dus m'en séparer. La mort dans l'âme. J'eus l'impression que l'on déracinait une partie de moi, oui, que l'on me retirait l'essence même de la vie.
Je me débattis, criant d'une voix muette, quand brusquement le coffre claqua. Laissant dans la pièce, les fausses notes de cette mélodie que l'on m'arracha.
Vous avez deux talents, la musique et l'écriture... bravo pour ce beau texte...
· Il y a plus de 6 ans ·Maud Garnier
Merci de l'avoir lu et apprécié !
· Il y a plus de 6 ans ·cerenaa
Je ne me souviens pas avoir seulement caressé les touches d'un piano, mais votre texte donne envie de le faire !
· Il y a plus de 6 ans ·Louve
Je vous remercie, c'est pour moi une bonne expérience !
· Il y a plus de 6 ans ·cerenaa