La Mémoire Perdue, T1 : La Fugitive Oubliée

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Synopsis :

 

Contexte :

Fin du XXIème siècle, une étrange épidémie ravage les cinq continents. Partout, les Hommes perdent la mémoire. Ils oublient jusqu’à leur nom et leur humanité. Même la douleur n’est plus qu’une vague notion, un mal qui déculpe les forces. Seuls restent des sentiments aussi primaires que meurtriers : la faim, la soif et la haine. Il n’en faut pas plus pour que les cadavres s’amoncellent par millions. On s’entretue, on plante les dents dans la gorge du voisin, on poignarde ses parents, on laboure la chair des amis, on étrangle ses enfants.

Quelques rares petits groupes de personnes semblent résister à l’épidémie. Ils tentent de raisonner leur entourage et sont les premières victimes de la sauvagerie. Afin d’éviter l’extinction de l’humanité et d’échapper à une mort certaine, trois amis préservés de la maladie lancent un appel au rassemblement. Ils réunissent ainsi une petite centaine de personnes.

La Communauté est créée. Ils construisent une immense cité entourée de remparts protecteurs dont personne ne doit sortir par sécurité. Ainsi la vie reprend son cours. Les trois amis s’installent au pouvoir et étudient la création d’un réseau social qui permettrait d’enregistrer les souvenirs afin de se prémunir contre l’Oubli, nom donné à l’épidémie. On accède à ce réseau social par un bracelet accroché dans les vingt-quatre heures suivant la naissance du nourrisson : le Memorium qui possède une reconnaissance digitale.

D’abord conçu avec de nobles intentions, le réseau devient très vite un outil de contrôle des esprits. Les règles se multiplient, assurent une maîtrise totale de la population. La connexion devient quotidienne et obligatoire à partir de huit ans. On ne contrôle plus sa vie sur le réseau. Les souvenirs sont épiés par les Gouverneurs qui repèrent les dissidents et les éliminent. Ceux ne portant pas le bracelet et n’étant donc pas reliés au réseau sont appelés des « Oubliés ».  Le gouvernement effectue de nombreuses campagnes de propagande contre eux. Ces erreurs de la nature ne peuvent pas être des Hommes, pire ils sont forcément porteur de l’Oubli et à même de contaminer aussitôt toute personne s’en approchant. Ils doivent être déclarés dans les plus brefs délais aux Protecteurs qui les mettront hors d’état de nuire. La peur aidant, peu de personnes songent à se lever contre le gouvernement. Les rares qui osent n’ont souvent pas le temps de s’exprimer.

Presque deux siècles plus tard, les règles sont devenues invivables pour certains citoyens qui ne font plus confiance au réseau. Un virus non détecté le fait bugger. Les autorités mettent quatre ans avant de repérer le bug et deux de plus avant de trouver une solution. Ces six années ont permis de nombreuses naissances hors-réseau. Des enfants non reliés au réseau qui ne parviennent pas à trouver leur place dans la société et le découvre à l’âge de huit ans, lors de leur première connexion. Facilement repérables, la plupart sont éliminés à ce moment-là. D’autres sont contraints de fuir la cité.

Keira est l’une de ces enfants hors-réseau, ces « Oubliés » comme ils sont nommés. Grâce à sa mère qui a fait le nécessaire avant de se suicider, elle a pu vivre normalement jusqu’au jour de ses huit ans où, malgré le fait qu’elle porte le même bracelet que les autres, elle a découvert qu’elle n’était pas connectée au réseau. Pour la protéger, son père se voit dans l'obligation de mettre fin à ses jours. La fillette se retrouve donc seule au monde, obligée de survivre hors de chez elle.

Neuf ans plus tard, Keira est devenue une jeune fille très méfiante qui n'accorde sa confiance que difficilement. Elle se lie tout de même d'amitié avec Elys et sa petite sœur Apolima pour qui elle a beaucoup d'affection.

Tome 1 : La Fugitive Oubliée

L’histoire, racontée à la première personne du présent par Keira, commence comme une journée ordinaire. Elle se promène dans les rues avec Elys et Apolima lorsqu’ils surprennent une rumeur : un Oublié aurait été aperçu sur la grande place. Ils se mêlent au flot de personnes qui accourent dans la même direction.

Sur la grande place, ils voient en effet un gamin terrorisé dépourvu de Memorium entouré par une foule menaçante. Les insultes commencent à fuser, rapidement suivie par une pluie de pierres sur le pauvre enfant. Keira, consciente que la survie commence par la dissimulation, réussit à contenir sa rage. Lorsqu’elle aperçoit Apolima ramasser un caillou, c’est plus qu’elle ne peut en supporter. Elle se précipite vers le pauvre gamin en injuriant la foule. Elle transporte l’enfant dans un coin à l’abri. Dès le lendemain, des vidéos d’elle circuleront par dizaines sur le réseau. Elle n’est absolument plus en sécurité. Toute la nuit, elle ressasse cet évènement.

L’après-midi suivant, elle ne sort pas mais Apolima la retrouve. Elle lui annonce qu’elle l’a cherchée sur le réseau mais qu’elle n’a rien trouvé. Keira se sent au bord du gouffre et décide de faire ce dont elle n’a pas été capable neuf ans plus tôt : quitter la cité. Elle espère ainsi protéger la fillette. Elle part le soir même vers les montagnes. Elle marche pendant une journée entière avant de les atteindre. Le lendemain matin, elle se sent heureuse. Alors qu’elle observe la vue d’en haut, elle est surprise par un groupe de jeunes d’à peu près son âge, armés d’arc et de poignards. Elle sort le sien pour se défendre mais est forcée de se rendre.

Ils aperçoivent deux silhouettes qui courent dans leur direction. L’une est vêtue de la blouse blanche des Protecteurs. Le soleil se reflète sur leur Memorium. Les archers tirent une volée de flèches au moment même où Keira reconnaît Apolima et Elys. Ce dernier se jette sur sa sœur pour la protéger. Keira se précipite vers eux et découvre les deux corps baignant dans une mare de sang. Horrifiée, elle s’enfuit en courant. Lucca, le meneur du petit groupe, part seul à sa poursuite. Elle se cache dans un arbre et lui saute dessus en le menaçant de son arme. Electrisée par ce premier contact, elle relâche un peu sa prise sur lui. Après un roulé-boulé dans l’herbe, il reprend le dessus et la ramène avec le groupe.

Elle apprend qu’Apolima n’est pas morte, juste inconsciente et blessée, et se voit obligée de suivre le groupe pour pouvoir la soigner. Pour la première fois, elle rencontre des « Oubliés » comme elle. Lucca comme la plupart des autres exprimes de sincères regret par rapport à ce qu’il s’est passé et les entoure, elle et la petite, de toutes les attentions. Keira ne supporte pas cette gentillesse larmoyante et cette joie de vivre ainsi que les sentiments qu’elle sent naître en elle. Elle fait aussi la connaissance d’Aaron qui se montre impitoyable avec la petite.

Ils improvisent un campement de fortune pour tenter de soigner la fillette mais ils sont rattrapés par la dure réalité. La puce GPS dans son Memorium les met tous en danger. Certains, comme Aaron, sont partisans de la supprimer pour écarter tout risque, ce qui lui attire encore plus d’animosité de la part de Keira. Lucca s’y refuse.

L’état d’Apolima empire, la fièvre la fait délirer. Keira ne supporte plus de la voir souffrir. Elle finit par s’échapper quelques jours pour fuir cette ambiance pesante. Elle se rend sur la tombe d’Elys afin de se recueillir et de faire le point. Un minuscule chaton s’attache à elle. Dès le troisième jour, elle est rejointe par un Lucca inquiet qui a laissé le campement sous la surveillance d’Aaron. Keira en est furieuse : elle ne fait pas confiance au jeune homme qui avait voulu supprimer Apolima. Elle décide de rentrer tout de suite. Le chaton les suit à la trace. Keira essaie de le chasser mais Lucca a l’idée de le ramener pour la malade.

Sur le chemin du retour, ils surprennent une patrouille de Protecteurs qui se déplacent en direction du campement. Leur fuite pour prévenir les autres est trop précipitée, ils heurtent de plein fouet l’un des membres de l’expédition qui les tient sous la menace de son arme. Ils réussissent à s’échapper et assomment le soldat. Après délibérations, ils tombent d’accord pour l’épargner.

Leur arrivée en trombe au campement ne se fait pas en douceur. Keira, ne trouvant plus Apolima dans la tente où elle l’avait laissée, accuse Aaron qui lui annonce simplement qu’ils l’ont déplacée. Ils expliquent la situation et la fuient dans les montagnes. Le débat sur la mort nécessaire ou non de la fillette reprend. Le « oui » attire plus de partisans mais Lucca est catégorique : il en est hors de question.

Ils se réinstallent plus loin, conscients que cela ne servira pas à grand-chose tant qu’Apolima sera à leur côté. Des guetteurs sont mis en place en attendant que les Protecteurs les repèrent mais personne ne fait mine de venir. On émet alors l’hypothèse que la fièvre brouille les pistes.

Commence alors une course contre la montre pour atteindre leur repère avant la disparition de la fièvre. Ils espèrent trouver une solution là-bas. Le chemin permet à Keira de faire le point sur ses sentiments pour Lucca ainsi que de se rapprocher d’Adrián, un adolescent de son âge, presque fou depuis la mort de sa sœur jumelle, tuée sous ses yeux.

Lorsqu’ils arrivent au campement, ils apprennent qu’un homme est venu agrandir leurs rangs. Sa particularité : ingénieur doublé d’un informaticien talentueux d’une trentaine d’années qui travaillait pour les hautes autorités, il s’est enfui après avoir découvert que le Gouvernement avait pour projet de répandre un virus sur le réseau. Ce virus entraînerait un lavage de mémoire total.

Le premier tome s’achève sur cette révélation.

Tome 2 : Les Souvenirs Assassinés

Après l’annonce des desseins des Gouverneurs, le choc laisse peu à peu place à une détermination rebelle qui envahit tout le campement. Ils doivent sauver les citoyens. Inconsciemment ou non, tous espèrent ainsi un retour en grâce dans l’esprit des habitants de la cité.

Durant ce tome, Adrián, plus torturé que jamais, trahira ses amis, attiré par l’illusion qu’entretient le gouvernement de lui rendre sa sœur. Il indiquera l’endroit du campement aux autorités. Une attaque destructrice sera lancée pendant laquelle il perdra la vie ainsi que de nombreux autres. Apolima fera partie du lot. Keira n’aura plus qu’une obsession : se venger des Gouverneurs.

Ils obtiennent ce qu’ils veulent : le projet du gouvernement est avorté mais leur situation ne s’améliore pas pour autant.

Tome 3 : La Haine Dévastatrice

Keira poursuit son objectif autant qu’elle le peut, quitte à se mettre elle-même en danger. Aaron lui apporte un soutien sans faille qui les rapproche beaucoup trop au goût de Lucca. Pour ne pas la perdre, ce dernier se voit forcé de la suivre malgré sa trahison avec Aaron.

Incipit :

Prologue :

Mélancolique, il contemple sa fille. Sa poitrine se soulève doucement au rythme régulier de sa respiration. Une mèche de cheveux bruns tombe sur son œil, coupant le visage enfantin en deux. Attendri, il esquisse une moue amusée devant l’expression sereine de sa princesse. Qui devinerait que cette jolie endormie est en réalité une véritable boule d’énergie ?

Son enfant adorée, sa seule raison de vivre. Il avait pris l’habitude de l’observer dormir lorsqu’elle n’avait que quelques semaines. Il la regardait avec de grands yeux émerveillés comme s’il ne réussissait toujours pas à croire en sa bonne étoile. Et puis, il avait fini par arrêter, tout naturellement, sans qu’il n’y fasse attention. Mais aujourd’hui, un étrange pressentiment et une vague de nostalgie le poussaient à recommencer.

Encore quelques instants de répit… Avant que le jour ne se lève. Avant que la petite n’ouvre les yeux. Avant que son bébé n’ait huit ans.

Il reste prostré devant le lit, renvoyé des années en arrière, au même endroit, dans la même pièce, en face du berceau d’un minuscule bout de chou dormant comme une bienheureuse. Un sentiment indéfinissable le prend à la gorge, il a envie de pleurer. Pourquoi faut-il que le temps s’écoule aussi vite. Les larmes montent peu à peu. Il les sent au bord du précipice mais il ne fait rien. Pas une tentative pour les retenir, pas un geste pour les essuyer. Son attention est concentrée ailleurs. Sous son regard affectueux, la petite bouge, s’étire, soulève les paupières et lui adresse un sourire encore ensommeillé.

— Joyeux anniversaire ma princesse, murmure-t-il les yeux brillants.

La journée passe, trop vite pour lui, trop lentement pour elle. Au fil des heures qui s’écoulent, il sent l’impatience de sa fille gagner en intensité tandis que lui-même est envahi d’un sentiment de malaise de plus en plus pressant. Non, décidément, cette journée lui fait peur sans qu’il ne parvienne à en déterminer la raison. Il tente de se raisonner, se dit qu’il n’y a rien à craindre si ce n’est le ratage du gâteau d’anniversaire. Mais chaque fois qu’il est à deux doigts de se convaincre, l’image de sa femme revient l’obséder. Le souvenir de son suicide le soir de la naissance de leur fille reste encore brûlant dans sa mémoire. Huit années sont passées sans qu’il ne parvienne à faire son deuil, refusant l’idée qu’elle ait pu mettre fin à ses jours. Surtout à ce moment-là. Un frisson de terreur le parcourt lorsqu’il imagine sa fille atteinte d’une grave maladie que son épouse n’aurait pu supporter.

Il refoule la peur qui s’empare de lui et tente de faire bonne figure devant la petite. Il ne tient pas à gâcher son bonheur par la faute d’un accès de paranoïa. Assis autour de la table, il écoute, le sourire aux lèvres, son bébé lui raconter tout ce qu’elle fera lorsqu’elle sera enfin connectée au réseau. Cela fait des mois qu’elle en rêve, depuis que toutes ses amies possèdent déjà leur page sociale. Maintenant, elles communiquent toutes ensembles sur le réseau et jouent les grandes. Et sa petite fille à lui se sent exclue. Il sait à quel point ce moment est important pour elle alors il fait comme si de rien n’était.

À chaque instant, elle lui demande l’heure pour ne pas manquer le tout premier moment où elle pourra effectuer sa première connexion. Tendu, il voit le moment fatidique se rapprocher de plus en plus vite jusqu’à ce qu’elle répète pour la énième fois :

— Dis papa, il est quelle heure ?

Il se voit contraint de répondre la vérité, d’une voix crispée qu’il tente d’adoucir au mieux.

— 17h59.

Commence alors un décompte minutieux des secondes de la minute restante.

— Trois ! Deux ! Un ! Zéro ! s’écrie la fillette avec enthousiasme.

Son Memorium vient enfin de s’activer, elle se sent ivre de bonheur. L’angoisse de son père, atteint, elle, son paroxysme. Elle connaît les gestes par cœur mais tient tout de même à se trouver près de lui pour cette première fois, instant si solennel. Elle dirige son index droit vers son poignet gauche, pense déjà au message triomphant qu’elle va envoyer à Mira, la petite voisine. Elle pose le doigt sur le Memorium, le bracelet qui fait la liaison avec le réseau, et réfléchit à comment elle va retrouver toutes ses autres amies. Elle appuie une fois, puis une deuxième, intriguée qu’il ne se soit rien passé. La troisième fois, elle frôle la crise de panique en découvrant que cela ne fonctionne pas. Elle se tourne vers son père, des larmes ruisselant déjà sur ses joues cuivrées.

— Ça marche pas !

Il tente de la rassurer d’une voix tremblante.

— Ne dis pas n’importe quoi ma puce, tu as dû mal positionner ton doigt, voilà tout.

Ses paroles n’apportent de réconfort ni à l’un, ni à l’autre mais il ne peut s’empêcher d’y croire. Au moins un peu. Avec douceur, il prend le doigt de sa fille et le guide vers le bracelet soigneusement. Mais force est d’admettre qu’il ne se produit rien du tout. Il refuse de céder à la panique et recommence cinq fois, dix ou peut-être une trentaine.

Il ne comprend pas, ou plutôt il ne veut pas comprendre, pourtant toutes les pièces du puzzle prennent enfin forme dans son esprit. Le suicide de sa femme huit ans plus tôt lui apparaît enfin dans toute sa clarté. Il n’a jamais aussi bien saisi ce qu’il se passait qu’à ce moment-là.

Il se ferme à toute émotion qui menace de l’envahir. Rien ne doit venir troubler sa réflexion. Une seule chose importe maintenant : la survie de sa fille. Son cerveau fonctionne à toute vitesse mais aucune solution ne lui paraît envisageable. Il les écarte les une après les autres, de plus en plus désespéré. S’enfuir tous les deux hors de la cité reviendrait à une condamnation à mort. La puce de géolocalisation implantée dans son Memorium indiquerait aussitôt leur position aux Gouverneurs. Transgresser deux lois fondamentales ne jouerait pas en leur faveur : ils ne manqueraient pas d’être exterminés. Il se prend la tête entre les mains. Quelle marge de manœuvre lui reste-t-il au juste ?  Son Memorium l’empêche de lui être d’une quelconque utilité, il ne peut strictement rien faire pour elle. Pire : il la met en danger. Son bébé doit partir seule.

Les poings serrés par la rage et l’impuissance, il s’agenouille près d’elle. Ses larmes le touchent au plus profond de lui mais il refuse de penser à la dureté de ce qu’il s’apprête à lui demander.

— Ma chérie, écoute-moi, c’est important. Il faut que tu quittes la cité, cette nuit, que tu t’en ailles loin, loin vers les montagnes.

La petite ouvre de grands yeux horrifiés et secoue la tête avec ferveur. La terreur qu’il y lit lui transperce le cœur de part et d’autre.

— Non, non, bien sûr… marmonne-t-il pour lui-même.

Quel imbécile il fait ! Comment pouvait-il croire une enfant comme elle, déboussolée au plus haut point, capable de s’enfuir en dehors des remparts protecteurs de la cité ? Comment pouvait-il seulement se l’imaginer une seule seconde, qui plus est avec toutes les histoires que l’on raconte sur l’extérieur ?

Il ne lui reste plus qu’une seule option, définitive… Mais c’est le prix à payer pour protéger sa fille adorée. À nouveau, il ouvre la bouche et adopte un ton qu’il espère posé sinon rassurant :

— Sèche tes larmes ma chérie, et promets-moi de faire exactement ce que je te dirai.

Il ne lui laisse pas le temps de répondre. Il file chercher dans la maison un grand sac de voyage qu’il remplit autant qu’il le peut d’une couverture, de vêtements chauds et de nourriture. Il y ajoute une grosse bourse remplie à ras-bord d’écus. Toutes ses économies. Il fourre le sac dans les mains de sa fille et continue son long monologue.

— Maintenant, tu vas partir de la maison et tu ne reviendras plus jamais. Sous aucun prétexte ! Il faudra que tu trouves un endroit caché où tu pourras dormir à l’abri. Je t’ai mis une grosse couverture pour te tenir chaud…

Elle le regarde, ahurie par son ton impératif.

— Tu… Tu viens pas avec moi ? hoquète-t-elle d’une toute petite voix.

Il secoue la tête avec un air désolé. Si seulement il le pouvait… Il aimerait tant l’accompagner, rien que pour lui trouver l’endroit adéquat mais il n’a que trop conscience des risques qu’elle encourrait.

— Non, ma chérie, pas cette fois. Mais tu es une petite fille débrouillarde, je suis sûr que tu t’en sortiras.

Il a conscience de la dureté de ses paroles mais il ne parvient pas à les adoucir, déjà détruit par ce qu’il lui reste encore à lui annoncer.

— Il y a autre chose…

Il hésite, ouvre la bouche, la referme. L’expression terrifiée qu’elle présente lui est insupportable. Il baisse les yeux pour ne pas la voir, envahi par la culpabilité de lui infliger cela, et débite, sans prendre de gants :

— Tu n’es pas reliée au réseau.

Les premiers mots lui arrachent la gorge, mais il se force à continuer, d’une voix éteinte, trop conscient de l’anéantir un peu plus à chaque syllabe. Pour elle…

— Tu ne pourras jamais te connecter mais personne ne doit le savoir ! Vraiment personne, tu m’entends ? Si les Protecteurs étaient au courant, ils te tueraient.

Il s’interrompt le temps d’une inspiration, quelques secondes durant lesquelles, il se demande s’il osera vraiment prononcer la suite. C’est presque ébahi, lui-même, qu’il s’entend poursuivre :

— Tu dois me jurer que tu ne laisseras jamais personne découvrir ton secret.

Elle en demeure si abasourdie qu’elle en oublie de pleurer. À travers ses larmes, elle voit qu’il lui tend un objet. Elle reconnaît le poignard ouvragé qui fait la fierté de son père. Déboussolée, elle s’en saisit comme une automate.

— Jure-le-moi !

Elle est perdue. Elle ne comprend pas ce qu’il veut dire mais il paraît si désespéré qu’elle s’exécute. La main sur le cœur, elle promet. En voyant son père se détendre un peu, elle sent qu’elle a bien fait. Ce n’est qu’une fois sortie qu’elle réalisera le lien entre l’arme meurtrière et son serment.

— Maintenant, il faut que tu t’en ailles, ma chérie, reprend-il d’une voix douce.

Il ne veut pas qu’elle parte. Elle non plus. Alors il la fixe comme si la seule intensité de son regard pouvait suffire à la retenir. Il souhaite la graver jusqu’aux moindres détails dans sa mémoire, juste au cas où. Au cas où, le souvenir de son visage d’ange le suivra de l’autre côté.

Conscient que sa résolution est en train de flancher, il la serre fort dans ses bras et la pousse vers l’entrée. Tandis qu’elle s’éloigne d’un pas chancelant, il se remémore une dernière fois sa magnifique chevelure auburn, ses superbes yeux vairons, ses fossettes, son sourire si attendrissant, sa jolie peau cuivrée. Elle lui rappelle tant sa mère.

Cette pensée lui fait l’effet d’une gifle. Il regrette tellement. Après avoir passé les huit dernières années à maudire sa défunte épouse pour ce qu’il considérait alors comme une trahison, voilà qu’il s’apprête à commettre le même geste. Leur fille a le droit de connaître la vérité. Il ignore si elle l’entendra, mais il tient à s’apaiser avant de quitter ce monde, alors il ouvre la bouche.

— Ta maman t’aimait, tu sais…

Bible des personnages :

 

Keira, 17 ans :

Méfiante et renfermée sur elle même depuis le suicide de son père, elle est rongée par son souvenir et la culpabilité. Sa rencontre avec Elys et Apolima, un an avant le début de l'histoire, va l'aider à se sentir mieux et à accorder une place plus importante au rire. Ce bonheur tout juste acquis va voler en éclat au début du tome 1 après la mort d'Elys et plus encore dans le tome 2 lorsqu'elle perdra Apolima à son tour.

Elle deviendra alors très vite cynique et se laissera envahir par la haine dans le tome 3 avec pour seul objectif : se venger du gouvernement qu’elle estime responsable de la perte de toutes les personnes qui lui étaient chères. Prête à tout pour atteindre son but, elle n'hésitera pas à utiliser toutes les armes qu'elle a en sa possession. Du simple mensonge aux combats armés, elle ne reculera devant rien pour accomplir sa vengeance.

Keira est une vraie beauté, ce qu’elle sait et dont elle joue sans difficulté si cela peut l’aider à parvenir à ses fins. Son regard en particulier fascine. D’une rare intensité, il est difficile de s’en détourner une fois que l’on a plongé dedans. Un œil d’un bleu profond et l’autre vert cerclé d’or, une lueur sauvage brille toujours à l’intérieur. Couplés à de longs cheveux auburn, des traits fins, une silhouette aux formes menues et de longues jambes, ils se révèlent des outils de séduction très efficaces.

Obligée de se cacher sans cesse pour ne pas être repérée, Keira est devenue maîtresse dans l’art de la dissimulation des sentiments et des pensées. Même après sa rencontre avec les autres Oubliés, elle mettra longtemps à réussir à leur faire confiance. Lucca essaiera tant bien que mal de l’aider et de lui parler mais se heurtera toujours à une carapace inviolable. Exaspéré par ce manque de sentiments mais très têtu, il redoublera d’effort pour la percer à jour.


Elys, 15 ans :

Adolescent gringalet, sa présence d'esprit et sa gentillesse ont petit à petit séduit Keira qui en a fait son seul ami. Il n'est pas convaincu par l'histoire qu'elle lui a raconté sur ses parents mais il ne pose pas de questions pour ne pas la mettre dans l'embarras. C’est une particularité qu’elle apprécie beaucoup chez lui : pouvoir passer du temps avec quelqu’un sans qu’elle soit obligée de se dévoiler.

Il déteste la violence et préfère se servir de son cerveau plutôt que de ses poings. Sa sœur représente la chose la plus importante à ses yeux et il ferait tout pour la protéger.
Il mourra dans la première moitié du tome 1, en suivant Keira lorsqu'elle s'enfuira de la cité.

Apolima, 9 ans :

À neuf ans, la petite sœur d'Elys est une parfaite "enfant du réseau". Mignonne à craquer avec ses longs cheveux blonds et ses grands yeux bleus, elle charme petits et grands. Très extravertie, elle respire la joie de vivre.

Sa mort dans le tome 2 est un véritable choc pour Keira qui s'en veut de ne pas avoir pu la protéger.


Lucca, 19 ans :

Comme Keira et de nombreux autres jeunes, c'est un enfant hors-réseau qui a été tenu de s'enfuir pour ne pas être arrêté. Il parle très peu de son passé et écarte toujours les questions en changeant de sujet. Son assurance de façade cache beaucoup plus de blessures psychologiques causées par sa fuite hors de la cité qu’il ne veut bien l’admettre. Tandis que Keira, plongée dans ses souvenirs, se réfugie derrière un mur dressé entre elle et ses interlocuteurs, lui préfère le sourire et la préparation de l’avenir.

Beau parleur, son caractère en a fait le meneur naturel de la petite communauté de rescapés. Il sait ce qu'il veut et se débrouille toujours pour l'obtenir. Doté d'un physique des plus avantageux et d’un charisme imposant, il n'a pas l'habitude que l'on résiste à son  charme. Malheureusement pour lui, avec Keira, il va se retrouver confronter à un os. Tous deux plus têtu l'un que l'autre, ils vont avoir beaucoup de mal à s'entendre. Elle trouvera son assurance et son sens de l’humour plus qu’agaçant tandis que lui sera exaspéré par son manque d’humanité et de sentiments. Il ne lâchera pas l’affaire pour autant, décidé à briser sa carapace.

Il se sentira doublement trahi lorsque dans le tome 3, elle s’abandonnera à Aaron qu’elle méprise alors qu’elle s’est toujours refusée à lui.

Aaron, 19 ans :

Arrogant et dépourvu de morale, il fait partie du petit groupe d’Oubliés. Dès leur première rencontre, son caractère en fait un jeune homme totalement méprisé par Keira qu’il s’est pourtant juré de posséder. Beau gosse sûr de son charme et déterminé, il fera tout pour parvenir à ses fins. Il entre alors en compétition avec Lucca qui a le même objectif. Keira, même si elle est bien consciente de la lutte que se livrent les deux amis, ne s’en occupe pas plus que ça, désintéressée par ces histoires qu’elle juge trop futiles et concentrée sur son propre combat contre le gouvernement.

La haine farouche qu’Aaron voue au réseau les rapprochera pourtant, en particulier dans le tome 3 où, tombée au fond du trou après la mort d’Apolima et la trahison d’Adrián, Keira s’abandonnera à lui. Réveillée par une phrase qui lui rappellera le mépris qu’elle lui porte, elle s’enfuira juste avant de passer à l’acte. Mais le mal sera fait, notamment auprès de Lucca qui aura beaucoup de mal à leur pardonner.


Adrián, 17 ans :

Après plusieurs semaines à errer dans les montagnes, il a fini par tomber sur un groupe de rescapés par hasard alors qu'ils étaient en train de chasser. Alors âgé de onze ans, il est tombé au pied de l'un d'eux à moitié mort de faim et de soif.

Très sombre et mystérieux, il reste souvent seul, un peu à l'écart du reste de la petite communauté. Il est hanté par le fantôme de sa sœur jumelle qui n'a pas réussi à s'enfuir et a été tuée devant ses yeux. Aussi ravagés l'un et l'autre par la perte et les souvenirs, Keira et lui partagent le même fardeau. Leurs démons communs vont les rapprocher.

Il est amené à rentrer en contact avec le gouvernement qui voit en lui, à juste titre, une proie facile. On lui propose de lui rendre sa sœur en échange des informations sur la localisation du campement du groupe de rebelles. Malheureusement, rendu à moitié fou par ces semaines d’errance à ressasser le meurtre de sa sœur et la culpabilité d’être toujours en vie et malgré le fait qu’il l’aie vue se faire assassiner, il accepte et trahit ses amis. Le gouvernement attaque alors le camp où il perd la vie ainsi qu’Apolima et d’autres Oubliés.


Nayeli, 20 ans :

Elle fait elle aussi partie du groupe. En couple avec Pedro et maman depuis peu, elle se prendra d’affection pour Apolima et Keira. Bien que cette dernière ne lui montre pas forcément de reconnaissance, elle continuera de la couver après la mort d’Apolima et l’empêchera de sombrer alors qu’elle sera au plus mal.

Avec Pedro, ils sont les premiers parents du petit groupe de rescapés.

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