La moite torpeur

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Dans la chambre, le ventilateur ronronne doucement en soufflant sur moi un vent chaud qui fait quand même frissonner ma peau moite. Le rideau est immobile à la fenêtre grande ouverte. Aucun vent extérieur ne le fait bouger, il reste lourd. Je me réveille lentement et me retourne au ralenti sur le drap défait et humide de ma transpiration nocturne. Mes premiers gestes sont lourds, épais, poisseux, à l’image de la chaleur déjà pesante de ce milieu de matinée. Je me lève et du revers de la main, j’essuie mon front ou perlent des gouttes du sueur. Les yeux encore bouffis de sommeil, je m’étire devant la cuvette des toilettes. Une main sur le mur et l’autre tenant mon sexe encore a demi gonflé de l’érection matinale, je soulage ma vessie en laissant la vie reprendre le contrôle de mon corps engourdi.

     Dans la cuisine, j’allume la cafetière et en attendant que le liquide noir,  qui finira de dissiper les brumes de ma léthargie, coule goutte à goutte, je sors sur la terrasse. Bien qu’il ne soit que 10h du matin, la chaleur étouffante me saisi et me fais suffoquer quelques secondes. Le soleil brûlant est déjà à l’œuvre au dessus des toits. A mes pieds, mon chat qui a entendu mon lever vient s’enrouler dans mes jambes en ronronnant. Heureux chat qui entre deux siestes sait flatter l’humain pour obtenir sa nourriture qu’il engloutira comme son du avant de retourner se rouler sur le sol et se replonger dans une douce torpeur. Un jour, je serai un chat moi aussi. Calculateur, manipulateur, feignant l’indépendance, et feignant tout court, mes seules qualités seront d’être terriblement attachant, beau et charmeur.

     Accoudé à la rambarde de la terrasse, je ferme les yeux en me laissant envahir de la lourde atmosphère de ce samedi. Dans les arbres, le pépiement des oiseaux se fait entendre mollement. Eux aussi sont sous la coupe anesthésiante de la température qui ne parvient cependant pas à les faire taire complètement. L’instinct les pousse tout de même à dépenser le peu d’énergie que la chaleur leur laisse en sifflements laborieux. Le bruit qui domine est celui des cigales que la température semble au contraire stimuler. Le concert de leurs élytres frottant l'une contre l'autres montent en hypnotiques stridulations a l’assaut du ciel, comme une ode à l’astre flamboyant et incandescent. Je me laisse pénétrer de tous ces sons et de toutes ces sensations que m’offre ce 1er juillet. J’ai chaud. J’ai très chaud. J’ai trop chaud, mais j’aime ça. Vivre au ralenti sous cette chaleur écrasante me procure une sensation de temps suspendu. Peut être ce sentiment que les heures s’écoulent plus lentement me rassure et me fait croire qu’ainsi ma vie sera d’autant plus longue. Douce illusion. Doux mensonge auto-thérapeutique. Moi qui suis un indécrottable athée je serai presque prêt à avouer que le soleil est mon seul dieu. Sa vigueur qui assomme et ralentit tout me fait presque croire à l’immortalité. C’est ça la définition d’un dieu, non ? Tromper et faire croire que la vie est éternelle. Je vais même inventer mon culte païen rien que pour toi, soleil. Pour te remercier des illusions dont tu m’opium le cerveau, je me donne en offrande. La, sur mon autel-terasse surplombant ton monde, je présente à tes rayons ma peau totalement nue en sacrifice. Et pour me signifier que tu as compris mon geste, tu colore mon corps d’une teinte brunâtre, d’un tatouage totale qui fait de moi ton serviteur et ton adorateur. Tu me bronze à ton image, moi, ton bonze dévoué et totalement acquis à ta cause.

     Le bruit du glissement d’une porte vitrée sur une terrasse du voisinage me sort de cette torpeur délirante. Je quitte à regret ma rambarde pour aller enfiler un caleçon et ne pas choquer la vue délicate de mes voisins par l’exposition de ma totale nudité. Je retourne boire mon café sur la terrasse. Ma journée va pouvoir commencer. Le temps va pouvoir s’accélérer un peu et la torpeur me quittera totalement ce soir, vers 18h, quand je commencerai ma journée de travail au service des touristes en short qui se déversent peu a peu sur les plages pour rendre leur annuel hommage au dieu soleil.

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