La momie qui trichait au jeu. (Aventure de science-fiction en quatre chapitres).

astrov

En quatre chapitres qui seront publiés à très peu de jours d' d'intervalle. Voici le premier: "Une momie toute fraîche !" Cela pourrait faire un scénario de BD ! Pour quel(l)e dessinateur/trice ?
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              Chapitre 1/4:    "Une momie toute fraîche"


   Le médecin légiste est tout réjoui.

"Jamais vu ça, Commandant Landrain ! Un cadavre déjà momifié. Super boulot, les chairs sont totalement desséchées, aucune décomposition, ni constatée, ni à venir, aucune odeur. Une momie impeccable, toute propre et sans bandelettes. Toute nue. Bon tout nu, c'est un monsieur. Il a fière allure !  On est où, là ? Dans son atelier ?  C'était un bricoleur du dimanche, avec tous ces appareils, on dirait du matériel électrotechnique."

Stéphane Landrain est mal réveillé. Le commissariat lui a téléphoné à sept heures du mat'.  Il est presque midi. Dans ce petit appartement devenu scène de crime, la pièce la plus vaste, c'est cet atelier, dans lequel tout semble parfaitement rangé. Le corps momifié est assis sur une bizarre chaise reliée à une dizaine de fils menant à trois gros boîtiers. C'est quoi, ce matos ? Cela fait peut-être amateur, mais le mort, lui, n'a rien d'un amateur.

"Voyez-vous, Docteur, cette momie s'appelle Stéphane Dourieux."

Le médecin se redresse, assez secoué. "Dourieux, le Professeur Dourieux ?"

"Vous connaissez ?"

Vexé, le légiste; il grogne: "Je suis un scientifique. Dourieux n'est pas de ma partie, mais oui, merci, je connais. Physicien génial".

Dourieux, c'est (c'était) un cerveau. Docteur en physique, Directeur pendant cinq ans du Centre Européen de Physique Quantique Opérationnelle. Ensuite les Américains l'ont attiré chez eux avec des conditions de travail et de fric comme eux seuls savent faire quand ils veulent quelqu'un.
Il est resté aux States un bon moment, puis a démissionné (les Américains en sanglotaient de désespoir). Retour en France il y a deux ans. Depuis, il est en congé sans solde. Il faut dire que son séjour aux USA lui a permis de mettre de côté un bon paquet !

Ayant gardé de très bonnes relations avec le Centre de Physique Quantique, il s'est fait prêter plusieurs matériels qui ne disent rien aux profanes, mais sont des bijoux de haute technologie. A Paris, dans cet appartement, il a vécu seul, façon ermite, ne fuyant pas le monde mais ne le cherchant pas, ne communiquant avec personne sur ses travaux.

Solitude voulue et studieusement féconde, ça c'est sûr, car il n'avait rien d'un flemmard. Hyper-actif, d'après ses anciens collègues que Landrain a pu joindre. Sortant très peu, il avait engagé une aide ménagère. C'est elle, très tôt ce matin, en venant comme toutes les semaines nettoyer et faire un peu de cuisine, qui a trouvé le Professeur dans cet état pharaonique. Elle a appelé la Police en braillant de trouille au téléphone. Encore maintenant, prostrée sur un fauteuil du salon, elle fait pitié: "Ce pauvre Monsieur Dourieux, mais quoi ? Hein ! C'est quoi qui s'est passé, comment il est, on dirait Toutânkhamon, comment y s'est fait ça ?"

Ah oui ! Landrain se le demande, très ennuyé. Accident, meurtre ? Son Commissaire va vouloir du neuf, du frais, du concret. Un Professeur Dourieux, même en retrait de la célébrité, ça mérite qu'on se penche sur sa momie, pardon, sur son corps, avec respect et compétence. Pour l'instant, la Presse est tenue écartée. Jusqu'à quand ?

La compétence, il faut la nourrir, et Landrain n'a pris qu'un café-croissant depuis son réveil. Affamé soudain, il juge que le temps d'un déjeuner ne va pas nuire à son enquête. Juste en face de l'immeuble il y a un bar-tabac-loto avec forte probabilité de sandwiches et croques-monsieur. Avant de sortir, il demande au légiste:

"Qoui qu'il se soit passé, cette momification est intervenue quand et comment ?"

"Pour un corps banal, standard, je peux répondre vite et bien, Commandant. Là, c'est plus dur. Une autopsie pourra aider, mais avec cette momie toute rétractée... Comme si elle avait été chauffée au four, mais sans aucune brûlure. D'instinct, comme ça, je dirais deux ou trois jours. Pour le "comment", aucune idée."

"Vu, Docteur, autopsiez d'urgence. Moi, je vais croquer un morceau."

Il va vers l'aide ménagère qui reste assise, toute dolente: "Ce pauvre Monsieur, quoi est-ce que..." et se penche vers elle avec douceur:

"Madame, vous l'avez vu quand, pour la dernière fois, le Professeur ?"

"Vivant, vous voulez dire ? Ben, on est vendredi, c'était vendredi dernier, je viens tous les vendredis, parce que le vendredi..."

"Bon, bon... Il avait l'air bien ?"

"Ben oui. Souriant, toujours occupé. Ah si ! Il était un chouïa ennuyé. Je lui ai demandé si ça allait, son travail ses recherches. Il a réfléchi, et, tenez-vous bien:  "Oui et non" qu'il a répondu. "Ce que j'ai trouvé, eh bien, ça coûte cher !".  Je lui ai demandé combien, il a éclaté de rire: "C'est pas en fric que ça coûte cher !" il a dit, et il s'est enfermé dans son atelier. J'ai terminé mon ménage et la cuisine. je lui ai fait un super boeuf bourguignon, il l'a tout mangé, y a aucun reste. Et je suis partie sans l'avoir revu. Pas cher en fric, alors, en quoi ? Tout ça pour dire qu'il y a une semaine, il était en pleine forme, et ce matin, une momie... On est peu de choses, hein, Commissaire !"  Elle a retrouvé tout son tonus et sourit béatement au policier.

"Commandant. Eh oui, Madame, ce que c'est que de nous, hein ! Si vous voulez partir, vous pouvez. Vous passerez au commissariat..."

" Pour signer ma déposition, oui, je sais. Je regarde les séries télévisées.  Alors, dans une série, le flic donne sa carte de visite au témoin en disant..."

"Si vous vous souvenez de quelque chose, appelez-moi, à n'importe quelle heure !" récite Landrain en rigolant. Il lui file sa carte et lui demande son numéro de portable, qu'elle lui donne avec une hâte encourageante.

Elle se lève, lit la carte, affirme: "mon prénom, c'est Béatrice." Avant de sortir, elle le regarde, d'un gros appétit de connaisseuse coquine.

"N'importe quelle heure, vous dites... Faut voir."

Elle-même est assez dodue, fraîche, fort attirante en courbes. Le flic, qui pour l'instant est célibataire, se dit que "faut voir", en effet, mais pas avant que l'affaire Dourieux-la-momie soit réglée. Déontologie, non mais ! La dodue sort, sans le quitter des yeux.


Landrain maîtrise un début d'érection bien naturel, les amours ancillaires sont assez son truc.

Encore un regard à la chaise futuriste sur laquelle la momie trône toujours.  Le médecin dit que pour lui, c'est bon, il verra de plus près à l'Institut Médico-Légale. Landrain fait signe aux autres policiers d'emmener le défunt. Là, tel qu'il est, il ne doit pas peser lourd. Tiens, au fait, il est tout nu, où sont ses vêtements ? Et si c'est un suicide, y-a-t-il une lettre d'adieux ? Si c'est un meurtre, il existe donc un tueur momifieur ? Et si c'est un accident... ?

"Et si j'allais au bistro-loto me restaurer ?" Dans l'esprit du Commandant, l'image de la dodue coquine se cache, mais pas loin, en planque dans sa libido de brave homme sain et robuste. Bon, à table ? Non, encore quelques détails.

Consciencieux, le flic sain va examiner le téléphone, en quête de la messagerie, qui sait ? Mais déception et perplexité: le téléphone est tout grillé, presque fondu, comme passé au four.  Un téléphone momifié ? Encore un "si..." 

Dans quoi il mettait les doigts, le génie de la physique quantique ?

Sur une autre table, deux objets semblent incongrus: une petite cage, ouverte, vide. Faite pour des souris, ou des hamsters. Et une montre à quartz dans un sale état, déformée, le cuir du bracelet grillé. Bizarrement la pile doit être intacte, car les chiffres du petit écran indiquent onze heures dix, et la date: mardi onze mai. Tout ça figé, bloqué, la montre a subi quelque chose qui l'a paralysée. Arrêt du Temps, quoi ! Aujourd'hui on est vendredi quatorze mai.

Inquiet soudain, il appelle un des lieutenants qui perquisitionnent l'appartement, et lui demande de tester toute trace de radioactivité, va savoir... Le jeunot sourit, assez fier:  "C'est réglé, Commandant, une des premières vérifs qu'on a faites. Rien, pas la moindre radioactivité, ni dans l'appart, ni sur le corps."

Rassurant. Le petit lieutenant montre le tas informe qui fut un téléphone et suggère: "On l'a passé au micro-ondes ?"

Ondes...

"Lieutenant, tout le matériel électronique que vous avez apporté ce matin, vos appareils photos, caméscopes, téléphones portables, ordis, prises d'empreintes, tout ça... Vous n'avez pas de problème ? Tout fonctionne ?"

"Tout fonctionne, oui. Pourquoi ? vous pensez que cet atelier est un grand four à micro-ondes ?" Le jeune flic a dit cela en souriant, mais pas trop. Bien, le gars. Concentré, attentif, sous son look jeans baskets.

"Dans ce cas, Lieutenant, les poulets on du souci à se faire. Je vous laisse cuire un peu et moi je vais manger, ça fait un petit moment que j'en rêve. Je serai au bar en face."

"Le bistro-loto ?"

"Le bistro-loto."

Landrain est presque sorti de l'atelier, prévoyant dans son esprit le sandwich-bière qu'il va commander. Mais non, pas encore. Il freine net, se traite de gros bêta, revient vers le lieutenant et demande, l'ai outragé: "Les souris ?"

"Commandant ?"

"La cage est vide. Il y avait des souris. Elles se sont tirées? Elles sont où ?"

"Ben, je sais pas trop..." Brusquement, les souris prennent une grosse importance.

"Laissez, Lieutenant, je m'en occupe". Et il sort, enfin.

En traversant la rue pour entrer dans le bistro-loto convoité, il pense, tout frétillant: "Je vais appeler Béatrice au sujet des souris !".


   La suite ? Sera publiée dans deux jours, lundi 25 avril, au chapitre 2:   "Les  souris de la momie"







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