La momie qui trichait au jeu (chapitre 3): "La jeune femme et la momie"

astrov

Le Professeur Dourieux jouait au loto, bon. Mais il est bien mort, momifié. C'est quoi, cette "voix " qui ordonne au flic de "protéger le Destin" ? Et la jeune femme dans le bar ? Eh bien, la voilà...
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                "La jeune femme et la momie"  chapitre 3/4


Landrain est entré dans l'immeuble. La jeune femme ressent une vraie compassion pour lui. L'enquête qu'il doit mener... Bonne chance, Commandant !


Elle se lève et va payer le croque-monsieur et le verre de vin qui furent son déjeuner. Au fond, c'est pour ça qu'elle est venue (une dernière fois) dans ce bistro: pour observer, voir, de loin, le travail de la Police sur cette mort si bizarre. Être la spectatrice qui, seule, possède les clés, mais les gardera secrètes. Un moment de curiosité calme avant d'entrer dans sa nouvelle vie.

Il lui faut retourner à son modeste appartement, tout près. Marcher sans hâte, en pensant à ce qu'il lui reste à faire.
Prenez votre temps, Madame, votre fille est en voyage scolaire avec sa classe de CM2 jusqu'à demain soir.

La jeune femme habite au deuxième étage d'un petit immeuble. Le nom est sur la porte: "S. Liviez". Le S, c'est pour Solveig.

Elle entre et se laisse aller sur le canapé, puis glisse la main sous les coussins, en sort l'enveloppe qu'elle avait cachée. Timbrée du lundi dix mai, à son nom et adresse, reçue le lendemain mardi. Dedans il y a une liste d'associations humanitaires, un coupon de loto validé, trois feuillets couverts de textes techniques, d'équations avec des symboles physiques. Et une lettre manuscrite, d'une écriture soignée, à l'encre bleue.

Solveig va la relire pour la quatrième fois, cette lettre. Ensuite il sera prudent, nécessaire de la détruire. Elle n'existera plus que dans sa mémoire. Elle commence par:  "Madame".

"Madame, je vous demande, d'abord, de prendre grand soin du coupon de loto ci-joint: il est gagnant. Six millions deux cent mille Euros. Oui ! Je vous le garantis, j'ai vérifié."

Vous ne me connaissez pas. Je suis le Professeur Stéphane Dourieux, scientifique de très haut niveau. Ce n'est pas moi qui le dis, mais le monde de la Science, la Presse... J'ai été directeur du Centre Européen de Physique Quantique (disons CEPQ pour faire simple). J'habite, seul, à deux rues de chez vous, en face du bar-loto où vous venez tenter la chance en remplissant des grilles. C'est là que je vous ai remarquée, il y a quelques semaines.

Je vous connais... Disons que j'ai appris à vous connaître. Vous jouez à chaque tirage, vous semblez si paisible, réfléchie, pas forcément heureuse."

Allons bon ! C'est vrai, il a vu juste, je suis un peu comme ça. Depuis que Philippe est mort il y a quatre ans, ma vie est tristement paisible. Heureusement qu'il y a ma petite gosse !

"Alors je me suis un peu renseigné sur vous. Solveig Liviez, vous travaillez à la bibliothèque du quartier. Vous avez une petite fille, Marion. Depuis le décès de son père, il semble que vous vivez seule."

Il semble bien. Quelques essais, sans grande prétention. Une vie plate. Mais maintenant...

"Pardonnez mon indiscrétion. Je ne suis pas allé plus loin. Telle que vous êtes, j'ai décidé que je pouvais, en confiance, vous donner cette chance d'être super-riche. Vous offrir ce ticket gagnant du loto. Pour l'avoir, je suis allé dans le Futur. Depuis mon atelier, chez moi.

Oh ! Pas loin dans le Futur: un jour.

J'ai sauté dans le Temps du lundi 10 mai au mardi onze mai, le lendemain du tirage. Je suis allé au bistro noter les numéros gagnants, j'ai fait le voyage retour vers le lundi et j'ai joué ces numéros. Victoire, à coup sûr!"

Aux trois premières lectures, arrivée à ce passage, Solveig était presque glacée. Maintenant elle est prête.

"Mais elle me coûte la vie, cette victoire. Cela, je le savais, et je l'accepte sans réserve. Je ne vais pas vous faire des cours de physique quantique. Voilà l'essentiel: J'ai découvert et réussi le voyage temporel.

Depuis mon retour des USA, grâce à des matériels très "pointus" aimablement prêtés par le CEPQ, je travaille en solo, une sorte de congé sans solde. Pour garder le secret sur mon véritable but, j'ai dit à mes anciens collègues (toutes et tous de très grosses pointures en physique quantique) que je voulais avancer dans le domaine de la physique appliquée à la recherche médicale. Ils m'ont cru et, m'ont dit bonne chance et m'ont laissé bosser en paix.

Personne ne sait donc que j'ai réussi à voyager dans le Temps. A part vous, Solveig, maintenant."

Elle interrompt sa lecture. S'offre le petit luxe de revérifier, encore, les numéros sur le journal. Oui, le coupon est bien gagnant ! Depuis mardi, elle a pu calmer son excitation, son inquiétude aussi. Seule. Son petit logement lu plaît bien, mais bon... Tout va changer.

"Cette lettre, ainsi que la liste d'associations humanitaires et le détail de ma découverte, je les ai écrites avant mon saut de un jour dans le Futur. Car à mon retour je serai vite affaibli, il me restera juste trois heures à vivre.

Pourquoi ?

Vous pensez bien que traverser le Temps, même pas loin, déclenche une vague d'énergie énorme.

A l'aller, le Voyageur ne risque rien, il est "porté" par la vague.

Solveig sourit. Le Professeur Dourieux avec sa planche, surfant sur l'Eternité...

"Une sorte de surf, Solveig. Mais, pour revenir, cette immense énergie va le ramener à son point de départ temporel en le secouant, le ballotant avec une violence telle qu'il ne survivra pas longtemps. En fait, mon corps se dessèchera, oui, trois  heures environ après mon retour. Il me faudra faire vite:

J'irai tout de suite au bistro jouer les numéros gagnants. Je serai déjà malade à ce moment. L'enveloppe qui vous est destinée sera prête, timbrée. Je n'aurai plus qu'à y glisser le ticket, la poster, puis revenir, de plus en plus épuisé, à mon atelier, pour quelques arrangements qui masqueront ma découverte.

Simple ! Je détruirai le téléphone afin qu'il n'en reste qu'une bouillie informe. Ma montre sera fortement détériorée par le Voyage, bloquée au mardi. Je la laisserai en évidence sur une table. Tout cela pour faire croire à un accident, à une décharge d'ondes électromagnétiques qui aurait fait ces dégâts et m'aurait tué, laissant mon corps comme momifié."

Professeur Stéphane Dourieux ! Plus fort que les Egyptiens antiques. Et modeste, avec ça.  Un simple appartement comme tombeau !

"J'aurai encore assez de force pour modifier plusieurs circuits et commandes de mon appareil afin que mes anciens collègues, quand ils ne manqueront pas d'étudier mes montages, n'aient aucun soupçon sur ce qui est vraiment arrivé. Puis je pourrai m'asseoir sur le fauteuil de "Voyage"  devenu totalement hors service, et je m'endormirai pour toujours, tel un Pharaon. Détail cocasse: le textile de mes vêtements sera éliminé, dissous. On me trouvera nu.

Quelques mots sur Poul et Herbert, mes deux adorables petites souris. Je les prendrai avec moi, dans mes poches, pour le saut d'un jour dans le Futur. Et, avant de courir au bistro noter les résultats du tirage, je les relâcherai dans les caves de mon immeuble. Plusieurs fois déjà, je les y ai emmenées, afin qu'elle s'habituent. Et j'ai caché (elles savent où, les bougresses !) beaucoup de nourriture qui se conserve sans problème. Mes souricettes partiront donc en liberté, après avoir "sauté" de vingt-quatre heures "en avant". Cela, c'est mon clin d'oeil, un gag, pour le fun, selon l'expression actuelle."

Un soupir attendri de Solveig. Ce type, bousculant l'Histoire avec deux p'tites souris ! Et très ordonné, prévoyant et pratique, car la lettre continue:

"Voyons maintenant ce qui vous concerne, vous, Solveig. J'ai voulu la plus extrême prudence pour vous protéger. Le but: aucun lien entre vous et moi ne doit être établi.

D'abord: l'enveloppe et tout son contenu, je les ai manipulés avec des gants, y compris bien sûr le coupon du loto. J'ai même, comme je vous l'ai vu faire, utilisé un stylo prêté par le bistro pour cocher les numéros. Les semaines précédentes, en m'approchant de vous, j'ai bien repéré votre façon de faire les petites croix. Je l' imiterai parfaitement.

Stéphane Dourieux... Vous m'observiez de si près. Pardon, de n'avoir rien remarqué. Elle se sent bizarre, soutenue, mais un peu déçue de ne pas avoir ressenti toute cette attention.

"Je savais à quelle heure vous veniez jouer. J'ai donc planifié mon Voyage pour être au comptoir en même temps que vous. Il y avait beaucoup de monde pour tenter la chance.. Vous étiez dans une file, moi dans l'autre. Nos deux coupons portent donc presque la même heure. Prudence excessive ? Sans doute, mais un scientifique cherche à tout prévoir."

Ah, au fait, détruisez votre propre coupon. Il n'est pas gagnant, lui !

C'est fait, Professeur, dès la première lecture de votre lettre. Et pour les autres documents dans l'enveloppe ?  C'est prévu:

"J'ai fait une liste de vingt associations caritatives auxquelles je vous demande de faire un don important. Recopiez-là en y ajoutant d'autres, à votre choix. Puis détruisez l'original.

Maintenant, les trois feuillets qui expliquent de façon complète ma découverte.

Là, Solveig, ce que je vais vous demander est très lourd. Ce sera, en quelque sorte, votre prix à payer."


Le prix pour mériter une Nouvelle Vie ?  C'est dans le chapitre 4 (et dernier):     "La Pharaonne", qui sera publié vendredi 29 avril !







              

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