La Mystérieuse

damephoenix

Tentative. [09.07.2017]



Il était -comme à chaque fois- un chevalier, sans peur et sans reproches. Cherchant quelque noble fait d'armes à accomplir, il entendit parler, au détour d'une taverne, l'histoire de la Mystérieuse. Une jeune femme qui n'était ni princesse ni de noble lignée, mais qu'aucun chevalier n'avait jusqu'alors réussi à sauver du dragon qui la gardait. Bon nombre, hommes ou femmes, avaient essayé de la sortir de sa prison. Aucun ne réussit. Et la Mystérieuse demeurait toujours seule et enfermée. 

Que voilà une superbe quête ! Pas d'autre gratification que celle du devoir accompli ! Le jeune chevalier était courageux et avait bon cœur, et la perspective de sauver cette Mystérieuse pour rien d'autre que de voir sur son visage la lumière revenir était à son sens plus noble que tous les sauvetages de princesses. Après quelques renseignements glanés par les marchands du bourg, il se mit en route. 

Un chemin tortueux, rocailleux et abrupt traversait une forêt. Cette forêt était lumineuse et désespérément morte. Vides et creux, les arbres semblaient peiner à se maintenir. Le ciel était gris, un couvercle de nuages au dessus de ce bocal de végétation morte-née. Les fleurs y poussaient ternes, l'eau n'y chantait pas et aucun bruit autre que le vent ne venait rythmer les pas du chevalier et de sa monture. 

Quoiqu'à bien y tendre l'oreille, il crut discerner dans le vent des sanglots lointains... Des sanglots de peur, ces sanglots qui vous déchirent le cœur lorsque vous les entendez. Le chevalier se hâta. Après quelques heures, le chemin finit par déboucher sur une clairière. Comme on le lui avait indiqué, une masure trônait tristement au milieu du décor. Son regard scruta les environs. 

Il lui avait été dit que le dragon qui retenait la Mystérieuse était de ces bêtes machiavéliques et brutales. Que ses victimes se consumaient sur place. Personne n'était revenu pour le décrire, seule la légende perdurait. Et le chevalier savait comme il était aisé de mettre toutes les peurs du monde dans une légende. 

Les sanglots semblaient s'atténuer et se rapprocher en même temps. Prudent, il attacha son cheval au dernier arbre du chemin, sortit sa hache et son épée et attacha solidement son bouclier dans le dos, afin de se protéger d'une éventuelle attaque par l'arrière. 

Il marchait vers la misérable bâtisse. Cela le changeait des cours de châteaux. Ses pas foulaient la terre battue, il tenta de réfléchir rapidement aux mouvements à faire en cas de charge, à comment il pourrait se servir de ce terrain désert à son avantage face à une bête sanguinaire et féroce. Mais rien ne bougea. 

Arrivé à la porte, il tourna doucement la poignée et pénétra dans une sombre pièce, hache et épée prêtes à combattre. Rien. Au dehors le ciel gris offrait néanmoins une bonne lumière. Mais à l'intérieur, malgré les fenêtres, la lumière ne semblait pas vouloir s'aventurer. Il plissa les yeux. Une paillasse, une chandelle en fin de vie et une plume pour toute présence. La flamme vascillante fit néanmoins danser les contours d'un morceau de papier abandonné sur le lit de fortune. Le chevalier s'approcha après avoir scruté la pièce, s'agenouilla et commença à lire les quelques mots griffonnés dans une écriture atrocement hâtive sur la feuille. 

"ces mots seront mes derniers avant le trépas. La Mystérieuse ne peut être sauvée. Ne lui accordez aucune tendresse et fuyez."

Un craquement derrière lui. Le chevalier se releva et tourna habilement avec la rapidité de l'éclair. Sur le sol, contre le mur, une masse informe semblait épouser les lattes usées du parquet. Sa hache bien en main, il s'approcha prudemment, prêt à frapper. Il entendit un petit bruit émaner de la masse. Il reconnut les sanglots. 

"redresse toi, qu'ainsi je puisse juger si je dois te tuer ou te sauver la vie."

La masse bougea. On finit par distinguer une masse hirsute de cheveux châtains, encadrant deux billes vertes et rouges. La Mystérieuse. Il l'avait imaginée plus... Comment dire... Glorieuse. Mais en voyant ses yeux rougis et creusés, il fit l'erreur d'éprouver de la compassion pour cette frêle jeune femme au corps tremblant. 

"Tout danger est écarté à présent, je suis là pour vous et avec vous. Moi vivant, rien ne pourra vous atteindre."

La jeune fille leva ses yeux hagard vers le chevalier. Elle était pitoyable et belle dans sa détresse. Ses lèvres commencèrent à bouger, puis se refermerent aussitôt, tremblantes. Elle se plaqua les mains sur la bouche et fit non de la tête. Prostrée et mutique, elle n'avait pour réponse que le sanglot. 

Touché, le chevalier s'assit face à elle sur le sol. Il posa ses armes et la regarda sans mot dire. De longues minutes ils se regardèrent en silence. Il observa sur le sol des traces noircies ici et là autour de la jeune fille. 

"je ne partirai pas sans vous. C'est mon devoir et je ne faillis jamais à ce que j'estime être juste. Mais je vous avoue que si je pouvais vous libérer avant le retour de votre bourreau, cela me serait particulièrement agréable."

La jeune femme frémit sous ses frusques. Après quelques nouvelles minutes de silence, elle finit par murmurer :

"Ne cherchez pas à me sauver. Nul ne le peut."

"Si vous en étiez persuadée vous ne passeriez pas votre temps à pleurer. On ne pleure pas lorsqu'on n'a plus d'espoir. Laissez moi vous aider, dites moi ce qui vous fait aussi peur, qu'ainsi je sache ce que j'ai à combattre. "

Nouveau silence. La Mystérieuse ne s'attendait visiblement pas à une telle réponse. Elle se crispa un peu plus. 

"Partez ! N'insistez pas ! Je ne veux pas de votre aide ! Dégagez d'ici !" 

D'une nature patiente, le chevalier comprit néanmoins que la discussion n'amènerait à rien. Il se leva, rangea au fourreau son épée et à la ceinture sa hache. Il s'approcha d'elle. Elle eu un mouvement de recul farouche, se repliant un peu plus contre le mur. Son regard était fou. Elle respirait aussi vite qu'un jeune lapereau. 

"si vous ne partez pas, alors je reste à vos côtés."

La jeune créature ferma les yeux. 

"Vous ne comprenez pas qui je suis... "

"Je pense savoir, si, vous êtes celle que l'on appelle la Mystérieuse, prisonnière de ce lieu d'illusions où même la vie n'est pas vivante."

Il voulut approcher d'elle. Elle le repoussa vivement. 

"Bien assez sont morts pour moi ! Partez ! Et ne vous approchez pas ! "

" Et tous ces morts, où dont ils donc ? Aucun ossement ? Dévorés ? " dit le chevalier dans un sourire doux quoiqu'un peu amusé. Il finissait par penser que c'était la folie qui retenait la Mystérieuse prisonnière. 

"Ils meurent tous sur ce sol... Ils hurlent, ils agonisent des heures..." 

Elle pleura à nouveau. Ses larmes semblaient creuser son visage de plus en plus. Le chevalier la supplia de ne plus pleurer, que son cauchemar était enfin finit, qu'il la sauverait. Ses sanglots apaisés, elle rétorqua dans un souffle

"Je ne pleure pas pour mon secours. Je pleure ceux qui sont morts en faisant la même erreur que vous."

"et quelle terrible erreur suis-je en train de commettre ?"

"vous me prenez pour la prisonnière."

Sur ces mots, la jeune fille pleura à nouveau. Elle pleura à chaudes larmes. Le jeune homme fut pris soudain d'un élan de tendresse et de bienveillance envers cette pauvre hère. Avant qu'elle n'ait le temps de le repousser il la prit dans ses bras et voulu embrasser son visage.


Un cri déchira l'obscurité. 


De mémoire de chevalier on ne vit jamais la Mystérieuse au bourg. Néanmoins la légende s'étoffa. On murmura bientôt qu'un jeune chevalier avait failli réussir à sauver la Mystérieuse. Il fut d'ailleurs le seul à être vu avant de mourir. 

Un vieux marchand qui empruntait le chemin mort croisa cet homme hurlant et agonisant, le visage creusé jusqu'à la chair par quelque maléfice. Il semblait pleurer des larmes d'acide qui attaquaient ses joues, sa bouche et sa gorge. Sa peau se brûlait et malgré les tentatives du vieux marchand d'y appliquer baumes et huiles, la chair continuait de s'ouvrir de plus en plus profondément. Petit à petit, et au rythme des hurlements, le visage entier se consuma dans une odeur atroce. Avant d'achever d'un coup de hache le malheureux, le marchand eut le temps de discerner au milieu des râles d'agonie un avertissement :

"aucune tendresse... Jamais..."

  • Aucune tendresse ? Que c'est triste.

    · Il y a presque 7 ans ·
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    bartleby

    • Je suis bien d'accord... Heureusement que ce n'est qu'une histoire ! Tout un chacun a besoin, mérite et doit recevoir son lot de tendresse

      · Il y a presque 7 ans ·
      Journalintimebon

      damephoenix

  • C'est une histoire terrible et bien narrée. Je n'arrive cependant pas à comprendre où elle veut réellement aller. Pourtant j'aime lire entre les lignes :o)

    · Il y a presque 7 ans ·
    Gaston

    daniel-m

    • Je vous avouerai m'y être moi même perdue dans son écriture... X)

      · Il y a presque 7 ans ·
      Journalintimebon

      damephoenix

    • Ha ha :o) Rien n'est figé heureusement ! J'ai pensé à un moment au film Russe "The dragon inside me", une transcription assez adroite de "la belle et la bête".

      · Il y a presque 7 ans ·
      Gaston

      daniel-m

    • J'avoue que je ne connais pas ce film :)

      · Il y a presque 7 ans ·
      Journalintimebon

      damephoenix

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