La nuit noire : Revue et corrigée.

la-tete-en-neige

     Nous sommes sur une planète composée à 75% de sucre. Nous sommes dans un monde ou les maisons sont en caramel, où lacs, mers et océans se gorgent de miel. L’hiver, ce que vous nommez neige est ici le résultat des batailles de polochons qui éclatent entre nos centaines de nuages en barbes à papa. Le vent qui ballait nos prairies se charge d’arôme de cannelle. Voilà mon monde. Mais ne vous amusez surtout pas à croire qu’il vaut mieux que le votre par le simple gout citronné de nos étoiles.

Je me réveille ; d’une nuit noire et longue durant laquelle quelqu’un m’a expliqué que j’allais naitre, c’est tout ce dont je me souviens. Un liquide épais vient se coller à mes yeux. Je suis un petit morceau de quelque chose, et je nage dans une bouteille de sirop, dans un velouté de sang. Je peux voir, au travers des parois qui me séparent du monde, que des milliers d’autres bouteilles sont alignées, au loin. Chacune possède un numéro, j’inspecte la mienne et y lis « N°1397 ». Certain dorment encore, comme de petites éponges, ils se laissent bercer, imbibés du liquide. Je ne sais pas depuis combien de temps je suis là. Mais je suis réveillé. Et j’attends. J’attends mon tour. J’attends que quelque chose ouvre mon bocal. Ainsi, après avoir attentivement observé les alentours, je remarque que je ne suis pas rangé au même endroit que tout le monde. Je suis placé à l’écart de la première file et d’autres comme moi se demandent ce qu’ils font là. Je les voix qui tournoient, cherchant une issue, une réponse, écrite quelque part, sur les lacets éphémères de leurs mouvements. On ne nous a rien dit de plus que « Cette nuit vous conduira à votre naissance ». Soudain, deux lignes de femmes méticuleusement apprêtées défilèrent le long du couloir. Celles de la première rangée étaient vêtues de rose, de longues robes rose, fluides et crochetées d’une divine dentelle. Une à une, elles ouvrirent les bocaux de la première file. Je les voyais, naissant, les uns après les autres, dans l’attente de ma propre naissance. Chacun parmi eux reçût un baiser. Pas nous. Et ce baisé vu, voulu, mais jamais venu, enlaça nos cœurs d’un nœud de fer, froid et invisible. Pourtant, les femmes venues faire accoucher notre ligne de bocaux/bocal (??) ne manquaient pas de tendresse. Simplement, leur lèvres étaient lointaines, leur teint blême et leurs mains, tremblantes. Vêtues de robes grises, aussi droites et plates qu’un nuage d’orage en papier, on aurait pu croire à des fantômes de chaire. J’aurais voulu comprendre leur tristesse. Mais le moment de naitre était arrivé. Quand vint mon tour, je me demandai comment j’allais parvenir à sortir par ce minuscule goulot. Ma « couturière », tel était le mot brodé sur leur épaule gauche, dévissa le bouchon, et une chose sans nom fit que je glissai, que le temps de passer cet orifice minuscule, mon corps n’était plus qu’un fil. Mes poumons s’arrachaient, je crachais, je suffoquais, sans crier. Et enfin, je me mis à respirer. Par la suite, on m’emmena dans une salle nommée « salle de fabrication ». Un par un, nous fumes trempés dans toute sortes de liquides. Passant de l’état de  «morceau de chair » à « petit être ». On me plongea dans du lait, puis dans du café. Ma couturière me confectionna une chevelure à base d’herbe de cacao noir des champs, mes yeux furent saupoudrés de charbon légèrement doré, mes lèvres recouvertes de salive de rose mariée à de la crème de marron, puis, la touche finale fut de coudre ce qui ferait de moi un homme. Ensuite, la série de poupée soigneusement conçue fut reconduite dans la « salle des naissances », où nos bocaux respectifs nous attendaient. Certains étaient mystérieusement plus pleins, plus vides que d’autres. On nous mit dans des paniers en nougatine, à coté de notre bouteille de sirop. J’avais très froid et les dents en amande de mon lit de sucre brun me grignotaient le dos. Les dames venues chercher les poupées de première file repartirent directement, je ne sais ou, dans leur vaste existence. En ce qui nous concernait, nos couturières attitrées sortirent une à une. La mienne se dirigea vers une porte nommée « Adoptés », qu’elle ouvrit. Elle me déposa sur une table où plusieurs paniers étaient alignés. Quand toutes les couturières furent parties, la porte s’ouvrit de/à ( ??) nouveau, mais cette fois sur une multitude d’individus qui nous inspectèrent de haut en bas. Le musé humain avait ouvert ses portes. Une très jolie dame, toute petite, comme un lutin, les oreilles pointues et les cheveux très courts s’arrêta devant moi. Elle m’examina sous tous les angles, puis, après un temps qui me sembla interminable, elle approcha son nez de mon cou. Une évidence sembla s’allumer dans son cœur, elle m’embrassa, puis s’empara de moi et de mon panier. Dans la voiture, elle m’expliqua son choix : l’odeur de la crème de marron lui avait rappelé la sienne. Une fois à la maison, je remarquai que je ne rentrais plus dans le panier. J’étais effrayé de sentir mon corps s’agrandir comme une pate à pain sous le rouleau, gonfler comme une baguette qui dore au four. Je fini par faire craquer la nougatine. Ma mère m’observait, elle m’avait déposé dans un petit lit de pain d’épice. « Tu grandis drôlement bien ! » dit-elle. Puis la métamorphose pris fin. « J’ai faim ! » Hurlais-je. Mais elle ne réagissait pas. Elle se contenta d’observer sa montre. « J’ai froid ! » rajoutais-je. Aucune réaction, elle regarda l’heure. Elle fixait le cadran. La minute passa, midi pile. « Etape numéro une ! Tu peux désormais parler ! » « J’ai faim et froid !!! » Hurlais-je pour de bon. Elle couvrit mon corps, devenu petite pâtisserie congelée, d’une couverture en laine de framboise. « Sais tu que cette laine est très rare ? Je te ferai gouter des framboises, tu verras, elles possèdent un petit duvet conçus de minuscules files, et des millions sont nécessaires à la confection de ce plaid. » Je m’endormi, délicatement, mais fit un rêve étrange. Je repensai à ma naissance. J’imaginais qu’au moment du passage du goulot, je m’étais transformé en petite framboise, en un minuscule fil de ce duvet. Puis, ma mère, doucement, vint me réveiller :  

« - Réveille-toi petit ange ! Nous avons très peu de temps devant nous. Tu as dû remarquer que tu étais sorti du goulot d’une bouteille de sirop. Etrange, n’est-ce pas ? Mais sais-tu au moins quelle est son rôle ? 

-Je l’ignore … Mais j’ai vu que des bocaux étaient moins pleins que d’autres. C’est étrange …

- Tu verras que rien n’est étrange ici. Une réponse existe à tout. Vois-tu, notre existence est un gobelet dans lequel nous versons le contenu de notre bouteille. Certains ont simplement plus de liquide à verser que d’autre. C’est ainsi.

-Ce n’est pas juste … mais, qu’est-ce que je dois faire avec alors ? Boire ?

-Surtout pas. Pas maintenant. Tu découvriras dans quelques temps ce qu’on appelle rire et pleurer. Tu devras déverser tes larmes dans ta bouteille et tes rires mélangeront le tout. Ces deux la sont tes amis, n’oublie jamais qu’ils sont complémentaires. D’ailleurs, viens voir près de la fenêtre, regarde cet animal. Il s’agit la du plus bel oiseau de notre monde. Ses ailes en tissus sont imbibées d’un sucre issu du ciel de la nuit, où ils naissent en décembre. Mais malheureusement, certaines personnes raffolent de ce sucre citronné, et les tue. »

 

Je restai plusieurs heures à admirer ce bel oiseau en cristal d’étoile, en me demandant comment quelqu’un pouvait manger cette beauté, s’en délecter. Je préférais savourer avec les yeux. Soudain, l’oiseau s’arrêta net dans son vol léger et délicieux. Il tomba, raide, au sol, mort. Je me mis à pleurer et me blotti dans les bras de ma mère en lui disant, entre deux sanglots : « Mais pourquoi est-il mort ? Je n’ai pas vu de chasseur ! »

« Les animaux de notre terre partagent leurs énergies. Sitôt que l’un d’entre eux meurt d’une volonté extérieure à celle de la nature, l’espérance de vie de tous les autres se voit diminuée. Aujourd’hui, tant d’animaux on été tué que leur durée de vie est réduite à seulement quelques heures. » Mes larmes avaient formé un petit lac au creux de ma main. Ma mère alla détacher l’une des ailes de l’oiseau mort et la déposa dans le liquide. Une fois qu’elle eut absorbé la flaque de tristesse salée, elle essora le tissu et fit couler mes larmes dans la bouteille. « Les premières doivent être intégrées directement à ton sirop. » Je restai, triste et abattu, le regard aussi mort que l’oiseau qui gisait au sol. Ma mère se dirigea vers ce pauvre corps inanimé et installa l’aile salée sur le ventre de l’animal. Elle y versa une goutte de sirop et de larme. Je vis une nouvelle aile apparaitre et l’oiseau se relever pour s’envoler de nouveau. Un sourire se glissa entre mes lèvres, je rie de bonheur pour la première fois de ma vie. « La nature a compris que tous les hommes ne la respecterait pas. C’est pourquoi elle donne à l’animal qui a provoqué les premières larmes d’un être la chance de ressusciter. » Longtemps, nous restâmes devant la fenêtre, à regarder la vie voler dans le ciel et à sentir chaque battement d’aile, telle la douce martre d’un pinceau, estomper notre tristesse, comme une aquarelle. J’apprenais alors que l’homme, en ce monde là, était une œuvre d’art. Ma mère en conclue que tout était fin prêt. « Tu dois désormais gouter. » Elle versa au creux de ma main un filet rougeâtre, qui avait sur ma langue un gout de sang mêlé de sucre. « C’est tout à fait normal. » me dit-elle « C’est le gout de la naissance. Mais, tu ne sens pas quelque chose d’autre ? » Mon esprit tâtait mes papilles, à la recherche d’une saveur sortie des profondeurs de la nuit noire. Je sentais quelque chose de doux, d’infini, de chaud, quelque chose comme la pulpe de mes lèvres. J’avais le nom de ce fruit sur le bout de la langue.

«-Ne t’inquiète pas, ca viendra. Tu vas murir. Le temps est un cultivateur. Tu commenceras par voir la graine de ce que tu es, tu en verras ensuite la fleur, puis le fruit, et seulement à ce moment là tu pourras le cueillir, le gouter, et savoir. 

- Je ne comprends pas. Comment vais-je pouvoir savoir ?

- Je vais t’expliquer. Tu dois trouver ta place dans l’univers. Plusieurs choix s’offrent à toi. Dans tous les cas, tu devras partir en quête de ton parfum. Tu peux premièrement : voyager dans notre monde. Tu verras les milliers de choses incroyables qui sont sur nos terres et tu mourras tel un livre d’image. Deuxièmement : tu peux choisir d’être comme moi, un parent. Notre rôle est d’accueillir les nouveaux nés adoptés et de les guider pour que chacun trouve sa place et vive comme il le souhaite. Tu mourras en âme généreuse, après une vie des plus longues qui soit, père du monde et de ses milliers de fruits. Troisièmement, tu peux vouer ton sirop à la cascade des vies, c’est elle qui abreuve notre terre. Ce choix te permettra de faire un vœu et de faire de ta vie ce que tu en voudras.

- Ou est cette cascade ?

- Et bien, tu dois la trouver par toi-même … mais il faut que tu saches que ceux qui ne parviennent pas à lier leur sirop à celui de la cascade sont condamnés à errer dans les lacs et les mers, à avoir froid pour l’éternité.

- Ce n’est pas grand chose.

- Pas grand chose ? Aies froid une minute seulement, puis pense à ce qu’est l’éternité.

- Brrrrr … Alors, si c’est si terrible, laisse moi le temps de réfléchir.

- Tu sais, notre vie est très courte. Si les animaux de notre terre partagent leurs énergies, il en est de même pour nous. Et cette énergie puise sa source au cœur de notre planète, mais elle s’affaiblit. Le monde s’affaiblit car il partage lui aussi son énergie avec les autres planètes du système. Et certaines d’entre elles sont à bout de souffle.

- Pourquoi ?

- Parce que toute ne fonctionnent pas de la même manière. Si nous vivons deux jours seulement …

- Deux jours ?! Je vais mourir demain ! Mais … c’est impossible !

- … c’est parce qu’un sage a compris il y a très longtemps qu’une vie trop longue était inutile. Mais d’autres vivent beaucoup plus longtemps, et c’est justement ce temps qui noircit leurs pensés, leur manière de vivre et d’agir, ils en arrivent même à oublier pourquoi ils vivent. Alors ils abîment leurs terres en essayant de voler tout ses biens à la nature. C’est pour ca que tu dois choisir maintenant. Tu ne dois pas laisser de place au vide, tu t’éteindras demain, alors fais ton choix, mais fais le bien, que ta vie soit à l’image de ta décision.

- Alors je choisi de partir à la recherche de la cascade.

 

Ma mère, n’ayant visiblement pas le droit de s’opposer à mon choix, sorti une valise du grenier. Elle me fixa quelques secondes, des rideaux de larmes suspendues aux paupières. « Je n’aurais pas pu être père, rien que pour ca. Pleurer à chaque départ …» Puis elle me fit comprendre que je devais la remplir, du strict nécessaire. J’emportai ma couverture, ma bouteille de sirop, ainsi que quelques bougies et une boite d’allumettes. Ma mère me fit un câlin, imprima sur mes joues deux énormes baisers, et souhaita en prière que mon voyage soit des plus instructif, que je parvienne à trouver ce que je cherche. J’étais triste de la quitter, mais j’avais le plaid en tissu framboisine. Je ne voulais pas pleurer encore une fois, alors je m’en allai en courant. Je couru très longtemps sans m’apercevoir que j’étais seul dans le dehors du monde pour la première fois. Je ne voulais pas avoir peur d’être seul, mais il fallut bien que je reprenne mon souffle. Et ce fut à l’orée d’une forêt, dans laquelle je m’aventurai, que la peur aurait du reprendre ses droits sur mon ivresse. Mais il en fut autrement : mon souffle fut coupé par l’admiration. Jamais je n’avais vu de si belles choses : pierres et graviers en meringue, fleurs en cristaux de glaces, l’herbe en un duvet de ventre d’abeille, les arbres en d’immenses fontaines de réglisse, figés dans les airs. La mousse accrochée à leur tronc n’était autre que des bouquets de chantilly et lorsque je marchais sur les feuilles mortes de l’automne, chacun de mes pas les brisait en de petits souffles de paillettes. Je traversai la forêt et l’admirai sous tout ses angles durant plus de deux heures, encore émerveillé de mille et une bizarreries comme ces champignons fumées, qu’on écrase par inadvertance et qui nous remercieraient presque de les avoir oublié tant la poussière de leur décomposition sent bon le gâteau au chocolat qui sort du four. Je me demande même comment c’est possible. Moi, si on m’écrasait, je n’irais surement pas parfumer l’atmosphère de mon assassin. Puis ce fut la nuit noire à l’instant même de cette pensée. « Mais quelle idée d’aller écraser un champignon sucrerie ! T’as rien dans l’cerveau mon pauvre p’tit gars ! Et puis, qu’est ce que tu fous ici ?? Tu crois que t’as le droit de rentrer comme ca ici ?? Je suis une vieille mère fatiguée, j’ai pas que ca à faire que de ramasser des intoxiqués comme toi ! J’ai toute une marmaille à éduquer tu vois !! C’est pas possible ca hein, et puis l’autre la qui … » J’avais un voile de fumée devant les yeux et je n’entendais pas bien. Tous les sons se transformaient. Des formes, des couleurs, j’avais du vent dans les oreilles. Puis, quelques secondes plus tard, je pu voir qui me parlait : Un petit être au poil très bleu, avec des yeux verts en forme de kiwi, et des bras qui s’agitaient partout dans les airs, comme des lucioles énervées. Je me relevai, et la petite bête, les points sur les hanches, bouillonnante de colère, me fixa droit dans les yeux, attendant que je dise quelque chose, tout en oubliant que je faisais surement plus de sept fois sa taille :

« - Je ne voulais vraiment pas vous déranger. J’ai quitté mon foyer pour me lancer à la recherche d’une cascade dans laquelle je dois verser ce sirop. Peut-être sauriez-vous ou elle se trouve ?

- LA cascade ? Tu cherches LA cascade ? Mais sais-tu que personne ne l’a plus trouvé depuis des centaines d’années ? Ha ! Tu crois avoir bien choisi, mais à ton avis, pourquoi la cascade se situe en troisième proposition ? C’est parce qu’elle porte malheur !!

- Malheur ? Ca porte malheur d’être superstitieux vous savez.

- On ne PLAISANTE pas avec les écureuil-mères en fin de vie !!

- En fin de vie ?

- Oui, ce nouveau né est le dernier dont j’ai la garde !

- Votre nouveau né ? Vous aussi vous …

- ARRETE de répéter tout ce que je dis !!

- Pardonnez-moi mais … pourquoi êtes-vous en colère ?

- J’ai l’ai perdu, mon nouveau né ! Voila ! T’es content !!

- Je peux peut-être vous aider ?

- SURTOUT PAS ! Petites vermine porteuse de mauvaises ondes !

- Pardon alors … je ne vais pas vous déranger plus longtemps. Au revoir, je vous souhaite de le retrouver. »

 

Je fis le chemin inverse en vu de quitter les bois. Mais après seulement quelques pas, j’entendis tout une série de petits bruits, comme des billes, lourdes et rondes qui tomberaient/tombaient (??) les unes après les autres. Je me retournai pour voir de quoi il s’agissait : la petite chose bleue sanglotait. Elle sanglotait des noisettes ! Un tas de petits fruits à coque s’amoncelait devant elle à chacune de ses sourdes crispations. Je restai planté là, à admirer la magie. Puis elle me regarda, de très loin, mais ce regard en disait beaucoup. Elle « sécha » ses larmes en secouant son pelage plein d’éclats marron et se dirigea agilement vers moi. Elle pointa son petit museau en ma direction, et d’un ton remplit d’amertume et de dédain me dit :

« - C’est d’accord. Mais on commence par chercher mon nouveau né. Et si je te propose ce marché, c’est juste parce que deux paires d’yeux valent mieux qu’une. Va pas t’imaginer une quelconque sympathie, je DETESTE  les étrangers.

J’acquiesçai. Longtemps, nous marchâmes dans le souffle muet des paillettes dorés. Je ne savais pas ou nous allions, et elle n’avait pas l’air d’en savoir davantage.

- Quel âge à t-il ?

- A la seconde ou tu me poses cette question inutile : 47 minutes.

- Et combien de temps vivez-vous ?

- « Vous », c’est qui « vous » ? Tu veux dire, les nouveaux nés animaux ? 5 heures.

- Mais à quoi rime une si courte existence ?

- T’as des ces questions, je te promets ! C’est plus horripilant qu’un jus de meringue trop sucrée ! Si tu veux vraiment savoir, ca sert à visiter la forêt, apprendre à grimper aux arbres, sauter de branches en branches, gouter les noisettes de saison, faire un câlin à sa mère, se rouler dans la neige ou dans les rayons du soleil ... et blablabla et blablabla ...

- Mais à quoi ca sert tout ca ?

- T’es pas croyable toi hein ! Je t’expliquerai qu’une seule et UNIQUE fois, alors écoute BIEN gamin : Tout être vivant sur cette planète a, au commencement, nagé dans le bocal commun.  C’est une sorte de piscine de la taille de l’univers, c'est-à-dire, sans limite.

- C’est vrai que je comprends beaucoup mieux maintenant …

- Ah !! Étranger de malheur ! Mais si tu me laissais au moins t’expliquer ! Petit impatient ! Tu vas réussir à m’énerver de nouveau !

- Pardon …

- Donc, JE DISAIS : dans cette immensité, nous somme des milliers à flotter dans un liquide transparent appelé l’eau Insulsa. Un beau jour, certain d’entre nous sont tirés au sort par la main du hasard, et nous avons la chance - écoute bien petit, la « chance » - d’être choisi pour voyager dans les mondes. C’est comme une plaque de chocolat qui contient le ticket d’or. Voila à quoi ca rime, de vivre. C’est le bonheur de recevoir un ticket d’entrée pour un des mondes de la galaxie.

-  D’accord … alors en quelques sorte, nous somme …

- Cherche pas ! La seule explication c’est celle la. En attendant, t’es en train de grignoter le ticket d’entrée de mon nouveau né avec tes questions à la noix !

- Pardon … »

 

« Pfiiiiiiiiiiiiuuut » Tout à coup, on entendit comme une giclée de sable, puissamment projetée contre quelque chose.

« - Les sucrières !!!!!!!!!!! Hurla ma voisine.

- Qu’est-ce que …

Mais déjà elle se dirigeait en direction du bruit. A quelques mètres, je la vis s’arrêter.

- Viens donc voir !!! Me dit elle d’une vois tremblante.

Je m’approchai. Le son provenait bien d’ici, mais alors, que s’était t-il passé ? Rien à terre. Je levai les yeux au ciel.

- Madame … regardez sur la branche …

- Pas de MADAME ! Je suis Mademoiselle écureuil ! Tout de même ! Je ne suis pas si vieille que … »

 

Ses yeux finirent par atteindre l’un des bras de l’arbre.

 

La, sur un bras de réglisse, le père Noël avait oublié une de ses chaussettes. Pendu, un animal d’un rouge plus puissant que la salive des fraises ou même les larmes des groseilles attendait que l’on vienne constater la beauté de sa mort. De nouveau, Mademoiselle écureuil se mit à sangloter, mais ses larmes furent plus grosses, elle pleurait des noix. Son chagrin était devenu plus grand est plus lourd à porter.

 

- Les … les sucrines … Pourquoi lui ? Mon dernier nouveau né …

Je m’approchai afin de la consoler du mieux que je le pu.

- Vous savez …

- SALETES DE SUCRINES !!

 

Elle écarta violement les bras et envoya voler d’un geste la montagne de larmes brunes. « Tu veux savoir ce que sont les sucrines, hein, c’est ca ? Tu t’en fous qu’il soit mort, tout ce qui t’intéresses c’est COMMENT, hein !! Et bien j’vais t’dire, moi !! Ce sont des centaines de grains de sucre projetés à plus de 1000 Km/h sur un animal et qui perforent chacun de ses organes, un à un !!! La mort la plus SILENCIEUSE, DOULOUREUSE et la plus INSIGNIFIANTE qui soit. Met toi dans le crâne qu’un monde tout en sucre ne rend pas la vie plus délicieuse !!! Content, Monsieur curieux sans cœur ?!! En plus c’est de ta faute !! Si je n’avais pas pris tout ce foutu temps à t’expliquer, j’aurais pu le retrouver VIVANT!! Notre accord est rompu !! Va-t’en !!! » Une fois de plus je fis demi-tour. Sans vraiment savoir ou aller, je trainai mon corps coupable et ma valise au creux d’un arbre. J’étais triste, triste de n’avoir pas su l’être plus tôt pour ce petit écureuil de sang. Alors je me laissai bercer par les humeurs de la forêt : Un long et profond parfum de menthe provenant du lointain, puis parfois, une forte odeur de framboise, aussi intense que lorsqu’on vient d’ouvrir un sachet de bonbons. Mon cœur en chocolat se laissa envelopper par cette chevelure imprégnées des entrailles du monde. Puis, des effluves de glycine, de tiges de fleur coupées, de terre fraichement foulée, de champs humides. Les ficelles glissaient, coulaient, j’étais un dessert unique, un plein de subtilité et de mystère, dévoré avec soin et retenu, à l’aide de cuillère en argent, en or, en diamant … soudain, alors que je commençais tout juste à m’endormir, je senti quelque chose couler dans mon dos. Cette chose était lente, tiède et épaisse. Puis j’ouvris les yeux : chaque arbre pleurait de longues coulées de pétrole et je fus surpris de trouver sous ma narine comme une miette de bois brulé, et pour finir, l’insupportable émanation du plastique carbonisé. Je vis la petite bête bleue partir à toute vitesse. Dans sa course, elle me lança un regard, puis ralentit. Elle s’arrêta, me regarda une nouvelle fois. Elle semblait hésiter. Finalement, elle se rapprocha de moi :

- Mais qu’est-ce que tu fous encore la ?! Il faut partir !!
- Comment ça ?
- Imbécile ! Les funérailles de mon écureuil ont commencé, il sera enduit de/par (??) cette sève noire et avalé par la terre dans quelques minutes. En attendant, si tu veux pas finir enterré vivant, il faut qu’on s’éloigne !
Une centaine de mètres plus loin, de nouveau au milieu d’arbres immobiles, elle me demanda ce que j’allais faire :
- Je vais continuer à chercher la cascade. Et vous ?
- Je vais mourir. Et Mademoiselle écureuil se mit à siffloter en s’éloignant.

- Dans combien de temps ?
- Deux jours.
- Et, ne serais-ce pas beau de mourir après avoir aidé un nouveau né à trouver son chemin ?
- Tu as tué mon nouveau né. Tu veux que je te le rappelle, en détail ?!
- Je parlais d’un nouveau né humain, comme moi. Et puis, un chasseur l’a tué. Pas moi.

- Bien sur, un chasseur de nouveau né. Mais il faisait son travail, LUI.
- Et parce qu’un homme a pour rôle de tuer, vous accepter ca ? Vous vous dites que c’est sa place, que c’est normal ?
- Ho la jolie pensée ! La mignonne idée ! Naïf que tu es !! Le bien n’existerait pas sans le mal.
- Je ne comprends pas.
- Le mal est une étendue de peinture noire, profonde, opaque et poisseuse. Le bien est une perle lisse, légère et blanche. La perle flotte sur la mer, on la voit.
- Si tout était blanc, on ne verrait pas de nuance dans notre exist …

- CHUT ! Tu sais p’tit, il faut pas toujours chercher à expliquer deux fois une chose, après on finit par s’y perdre.

- Et si là, la bille blanche, c’était moi et ma cascade. Qu’est-ce que vous diriez ?
- Que t’as l’air bête comme ca, mais que tu manipules sacrément bien les gens. C’est vrai que je baigne dans du cracha de corbeau depuis quelques minutes … Aller va, je veux bien essayer de faire une bonne action …

Elle était âgée mais je la trouvais vraiment adorable avec sa pépite de chocolat en guise de museau, ses oreilles tachetées de minuscules points noirs et sa queue, véritable plumeau/métronome, finement zébrée. Soudain, le vent se leva, et je vis comme une main invisible caresser son doux pelage de ciel heureux.

- Ca suffit, M. vent ! C’est pas par gentillesse que je fais ca, hein !

- M. vent ?

- Arrete avec tes questions ! C’est un vieil ami à moi … Tu sais, la nuit va pas tarder à tomber, on ferait mieux d’se trouver un coin douillet où déposer nos corps.

 

« Déposer nos corps » ? J’aurais voulu d’avantage d’explications, mais j’estimai que je l’avais déjà assez sollicité comme ca. Nous nous dirigeâmes jusqu’à une prairie, une magnifique prairie d’un vert encore plus profond que celui des yeux de Mademoiselle écureuil. Comme une joue de pomme. Arrivée en son milieu, ma voisine se mit à creuser. Je fis de même, et petit à petit, je découvris sous mes doigts l’humide et blanche chaire du fruit. J’allais dormir au creux d’une pomme ! Lorsque mon lit eut pris la forme d’un sourire assez profond, je pus m’installer, confortablement, dans une lune fruitée et terriblement douce.

«- Bonne nuit gamin ! Me lança l’animal.

- Ca va être dur de dormir avec tout ce soleil ! » Mademoiselle écureuil eut un rire.

 

A peine eu-je finis de nommer la rondelle de citron qui déversait son jus de lumière au travers de mes paupières qu’un rideau noir apparu. Il fut délicatement déposé, comme sur une boule de cristal que l’on recouvre pour ne pas qu’elle prenne la poussière. En regardant ce ciel, je pensai à ma mère, qu’elle aussi, devait le voir. J’ouvris ma valise pour y prendre la couverture pourpre. A cet instant, un voile de libellules, de lucioles et de papillons s’éleva dans les airs. Chaque insecte s’était plongée dans la joue feuillue de la forêt et tous en ressortait peint d’or. Les milliers de petites bêtes s’envolèrent, elles s’éloignèrent de plus en plus, jusqu'à disparaitre. Quelques minutes plus tard, le ciel étrennait une nouvelle parure incrustée de poudre dorée. Je ne pouvais fermer les yeux tant ce spectacle me coupait le souffle.

« - Bon, tu va dormir oui ? C’est qu’une bande de bestioles qui secouent leurs popotins brillants sur un bout de tissu, pas de quoi faire ces yeux  d’abricot obèse !

- Je croyais que la vie était faite d’admiration et d’émerveillement ?

- Arrête de répéter tout ce que je dis et dors !

- Merci, pour tout, Mademoiselle écureuil.

- Oui, oui, bon … De rien gamin, c’est normal … Contente de t’avoir pris la main un moment … mais … maintenant TAIS-TOI ! J’voudrais bien dormir !

- C’est vraiment beau, quand même … Ho ! J’ai une idée ! J’ai des allumettes et des bougies dans ma valise, on pourra mieux admirer le spectacle ! Ca vous tente ?

- C’est quoi ENCORE que cette idée ? T’entends ce qu’on te dit ? BONNE NUIT ! Et saches que ma mère m’a toujours dit « Ne va pas éclairer de ta lumière ce que l’ombre tient au chaud » Fais de même. Allez p’tit, bonne nuit, et extasie toi en SILENCE ! »

Je tirai la couverture jusqu'à mon cou. J’aurais voulu croquer le ciel tant il était beau, et qu’on brode sa saveur à mes lèvres. Mais à peine eu-je le temps d’imaginer la dentelle impossible que  mes lourdes paupières recouvrirent mes yeux. Seulement, ce ne fut pas la nuit. Ce ne fut pas les chemins du sommeil. Ce fut autre chose.  Je sentais le ciel m’aspirer, je n’avais plus de corps, j’étais un grain d’eau, un morceau d’air, une bulle de terre, une goutte d’écorce. Je ne sentais ni le vent sur ma peau, ni mon regard contre les images. J’étais sous mes propres paupières, la ou il neige des confettis. Puis tout s’arrêta. Je vis de nouveau. J’étais toujours une chose sans corps, mais je sentais mon regard contre les étoiles et mon esprit sur la mousse céleste. Je m’endormis, comprenant enfin le sens de « déposer son corps ». Mon lit était une pomme, mon oreiller un nuage.  Ma première et dernière nuit. Un délice.

Alors que mes paupières s’ouvraient lentement, tel un crocus au petit matin, une fine pluie de lucioles éteintes se déposa sur le sol, dans un soupir de coccinelle endormi. Je m’étirai, lentement, ayant conscience de chacun de mes muscles. Je sentais chaque pulsation, chaque battement de mon cœur. Je savais que le temps m’était compté, et que ce cœur en chocolat fondait à mesure que s’y écoulait cette brulante sueur de cerise écrasée. Je me tournai pour sourire à l’écureuil dont j’imaginais déjà les moustaches froissées, mais elle avait disparu. Son lit, sa trace, son odeur : effacés. Ne restait plus que sa chaleur, comme absorbé par le mètre de terre encore empreint du sommeil de l’animal. Immédiatement, la douceur de mon réveil laissa place au froid, au vide, au creux. Je me levai, mes yeux scrutaient chaque recoin, chaque ombre. Elle ne pouvait pas partir. Pas maintenant. C’était impossible. Persuadé de la trouver quelque part entre deux meringues humides de rosée, je la cherchai durant des heures. J’avais l’impression d’être de nouveau dans mon bocal, mais cette fois c’était comme si on m’avait éclaté contre un mur, et que mon corps glissait, chaque mètre arrachant un peu plus ma peau imbibée de sirop. J’étais une fibre, trainé dans un sang trop sucré, sur la surface blanche, lisse et glacée du carrelage, dans un silence de mort. Le silence de l’absence. Je décidai de retourner au champ en joue de pomme, peut être m’y attendait elle ? Je me sentais tomber, lentement, froidement, de plus en plus bas dans l’affliction. Arrivé sur les lieux de la disparition, personne ne m’attendait. Je restai figé devant ma douleur. La transparence de l’air me brulait les yeux. J’aurais voulu une ombre. J’aurais voulu une tache sur ce vert écœurant et trop vierge. Calmement, je pris place sur le rond tiède que mon amie avait laissé. Je regardai le ciel puis senti la chaleur sous moi, sur moi. L’humidité salée de mes yeux métamorphosa le paysage en une infâme confiture floue, pleine de grumeaux. J’étalai cette pâte le long de mon visage puis sur la tombe de Mademoiselle écureuil. Je pris ensuite la bouteille de sirop dans ma valise et la vidai intégralement sur la marmelade cristalline. Comme s’il eut s’agit d’une éponge, tout fut absorbé jusqu'à la dernière goutte avec une avidité vampirique. J’attendis. Encore. Je m’accrochais à chaque seconde avec l’espoir que quelque chose se passe. Mais rien. Rien excepté qu’une violente colère me pris. Elle me prit comme si on m’avait subitement tranché le talon d’Achille. Comme un doigt qui s’enfonce profondément dans la chair d’une mandarine. Une douleur atroce. Je creusai, je creusai,  j’avais des mains de cire et du feu au bout des ongles. J’arrachai violemment la joue de cette voleuse. Et je me consumais dans la folie. Je creusai tant et si profondément que je me retrouvai pris au piège de ma propre prison. Tout était fini. Plus de sirop, plus de cascade, plus de vœu, plus que le froid. Et l’éternité. Blotti au fond de la plaie creusée par mes soins, les yeux clos et le corps recroquevillé sur lui-même, je me sentais déjà transporté ailleurs, dans un lac, une mer, jusqu’à l’un de ces océans de miel glacé. Il coulait sur mes pieds, lentement. Chaque seconde lui permettait de m’avaler davantage. Je ne pleurai pas, je ne voulais pas pleurer. Lorsqu’une passion vous fait sombrer, vous ne pouvez pas regretter ni être triste. Vous ne devez pas. Pour la simple et bonne raison qu’aller jusque là est extraordinaire. Quel qu’il soit, je me devais d’accepter mon sort, jusqu’au bout. Pour un peu que l’éternité ait un jour une fin … Je sentais le liquide progresser, je me faisais le festin de la providence. Ses molles dents granuleuses  cramponnées à mes membres savouraient de mes orteils jusqu'à mon cou. Lorsqu’il atteignit ma bouche, il se mit à couler en moi, à combler chaque vide entre mes os, chaque espace entre mes muscles. Toutefois,  ma langue n’était pas enveloppée d’un velours orangé de romarin, de lavande, de tilleul ou d’eucalyptus. Ce goût là avait la couleur du tissu framboisine. J’ouvris les yeux et dépliai mon corps d’origami rouillé. Du sirop jaillissait des murs et ruisselait le long des parois de la cage. De ses aspérités porcelaines s’échappaient une multitude de petites baies. J’en croquai une. Et ce fut l’évidence : Framboise. Tout s’expliquait : j’avais sacrifié ma vie pour rendre la sienne à Mademoiselle écureuil, le chemin qui mène à la cascade ... J’avais trouvé ma saveur … Tout à coup, les jets se firent plus puissants. Je fus submergé par les flots sanglants. Avant l’étouffement et l’arrête cardiaque, je ne vis qu’une chose : l’aile de l’oiseau au sucre d’étoile. Un temps s’écoula durant lequel je ne fus plus. Plus qu’un mot : le vide. Puis je repris vie. Mais sous une forme inconnue : Je sentais comme deux mains compressant mon intérieur, comme deux petites bêtes dans le noir de mon corps, cherchant la lumière, grattant de leurs serres les tunnels de mes entrailles. Je voyais ma peau s’étirer tel un élastique fondu. Je n’étais plus que le filet de pâte à crêpe qui pends aux bords métalliques et coupants d’une louche, et cette louche qui s’élève, encore, et ce filet de plus en plus fin, encore plus fin, il devient fil, il devient flou, et les dents déchiquètent l’infime pellicule de chair, dans un bruit de froissement de limaille. J’ouvris les yeux. Deux rubans jaunes coulèrent le long de mon buste alors recouvert d’un duvet de minuscules plumes émeraude. Je planais. Dans le ciel. A travers le vent et la brume. J’étais l’oiseau, cet oiseau. J’avais réussis. J’avais trouvé ma place dans l’univers et choisis l’existence qui saurait épouser mes désirs de mso-f

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