Là où il y a la mer.
audreyc
Synopsis
Il n’est pas facile de naitre ordinaire. Hana l’a vite compris. Depuis son enfance, elle subit la petite vite aisée, propre et calculée de ses parents. Une petite maison en banlieue parisienne, une niche dans le jardin, le clébard qui va avec et une petite allée bordée de fleurs à l’avant de l’habitation. Un cliché, c’est ce qu’est sa vie. De ses amis à son parcours scolaire, en passant par son petit ami, rien ne déroge au style de vie que ses parents lui ont inculqué : soit classique, ne fait pas de bruit, ne fait pas tâche. Comme si tu n’étais pas là.
Seulement, Hana a la sensation qu’elle n’est pas cette fille-là, celle qui ne surprend pas, celle qu’on n’attend même plus tant on sait quelle sera sa vie. Cette fille fade et sans couleur que les gens ne voient pas. Elle a le sentiment profond de passer à côté de quelque chose, à côté de sa vie.
C’est lors d’un trajet ferroviaire matinal, sur le chemin de son école, qu’elle réfléchit, une fois de plus, à ce qu’elle voudrait vraiment faire de sa vie. Ce que son cœur lui dicte. Arrivée en gare, sur un coup de tête, elle prend un train pour Deauville. Et enfin, elle se sent vivre. Cette adrénaline, cette sensation de braver l’interdit, de faire enfin ce qu’elle veut de sa vie. Pendant quelques semaines, elle continuera à, tous les jours, prendre ce train du matin pour le bord de mer, symbole de sa liberté, puis rentrera chez elle, chaque soir.
Elle y rencontre Paul, un jeune pâtissier local. Très vite, ils entameront une relation amoureuse, il lui fera visiter les plus jolies villes de la région. Peu de temps après, elle quittera définitivement sa vie en région parisienne pour lui préférer Paul. Sans rien dire, elle partira avec toutes ses affaires dans sa voiture et ira le rejoindre. Elle restera quelques semaines puis, lassée par ce garçon trop gentil, manquant de piquant, elle quittera Paul pour partir à l’aventure en sillonnant la côte ouest française.
A Quimper, elle rencontrera Nathan, Thibaut à Nantes puis Lucas à la Rochelle, avec qui elle continuera un moment sa route. Bordeaux, Toulouse, Montpellier… Ils vivront une histoire vraiment passionnée pendant plusieurs semaines, sûrement trop puisqu’ils se quitteront de façon assez brutale à la frontière espagnole.
C’est donc seule qu’elle continuera son road-trip européen. Cela fait six mois qu’elle est partie de chez elle et qu’elle se laisse porter au gré de ses envies. Son compte en banque bien remplit par ses parents depuis sa naissance lui a permis de ne pas trop se soucier de ses dépenses. Elle en profite pour s’adonner pleinement à sa passion : la photographie.
Elle s’affirme, enchaine les folles soirées et les aventures d’un soir, ses amitiés se font et se défont. Ses parents, ses amis et con copain l’ont cherché, au début. Elle esquivait le moindre coup de téléphone, ne répondait pas aux mails, ni aux sms. Puis, juste après avoir quitté Lucas, elle décrochera à un appel de sa mère, lui lâcha tout ce qu’elle avait sur le cœur, tout ce qu’elle gardait en elle depuis vingt-cinq ans puis raccrocha.
Se sentant une femme nouvelle, elle part pour Barcelone. Elle y séjournera quatre mois, aux côtés de Juan, puis partira pour Séville, Lisbonne, décollera pour Rome, fera un détour par la Corse, la Croatie puis la Grèce, où elle rencontre Dorian, un anglais avec qui elle ira à Berlin, Amsterdam puis à Londres, chez lui, pendant un an.
A ses côtés, elle se sentira véritablement vivante, vraie et profondément heureuse. Il finira par la convaincre de retourner à Paris, se réconcilier avec ses parents. Lors de leur voyage, Dorian en profitera pour demander sa main au père de celle-ci. Ce dernier acceptera, fier de voir la femme merveilleuse qu’est devenue sa fille.
Ce n’est pas tant un voyage pour échapper à sa vie qu’Hana fait, mais un véritable pèlerinage à la recherche de son identité. Elle se laisse mener par ses envies et ses intuitions. Tout au long de ses voyages, elle ne cessera de découvrir des facettes d’elle-même qu’elle n’imaginait pas, jusqu’à trouver la partie la plus merveilleuse d’elle-même : celle capable d’aimer et de pardonner.
Chapitre 1
Les paupières encore lourdes de tout le manque de sommeil, je tente malgré tout de rester éveillée. Les soubresauts du train et le freinage brutal à l’arrivée de chaque station ne me permettraient de toute façon pas de finir ma nuit. Je suis blottie dans un coin du wagon « boite de conserve », ceux tout en alu, banquettes en faux cuir orange, plastique marron au sol et éclairage faiblard. Autour de moi, les gens font la gueule. Ils donnent l’impression de se rendre à l’abattoir. Souvent, j’essaye d’imaginer ce que peut bien être leur vie pour qu’ils paraissent si tristes. J’en arrive toujours à l’évidence qu’elle doit être sacrément merdique si bien que j’ai presque l’impression d’entendre distinctement leurs supplications du genre « trouvez-moi une corde… » En face de moi, une femme autour de la cinquantaine, beaucoup trop maquillée et à l’air vulgaire me toise depuis le début du trajet. Chaque fois que nos regards se croisent, je baisse les yeux. Elle me fait un peu peur. J’aimerai être le genre de fille à pouvoir soutenir son regard et lui lancer un « qu’est-ce que tu regardes, pauvre conne ? » acide, mais je ne sais pas le faire, et puis ça serait impoli. Et puis je me sens déjà devenir rouge rien qu’à l’idée de le faire…
Quand je pense à mes parents, un sentiment de révolte immense nait en moi. Il y a une chose qui m'a déplu chez mes parents : leur façon de se contenter de peu. Partir au travail à sept heures trente, rentrer à dix huit heures, pendant que ma mère prépare le diner, mon père lit un de ses Agathe Christie dans son fauteuil. A dix neuf heures trente, nous mangeons, tous les trois, le chien sous la table, avec en fond sonore le journal de France 2. Puis je débarasse la table, mon père fait la vaisselle, ils regardent Joséphine, ange gardien ou autre connerie puis vont se coucher à vingt deux heures. Il n'y a aucune surprise dans leur vie, une routine parfaitement parfaite.
En fait, mes parents sont un cliché. Celui des individus un peu mornes, pas très intelligents, qui ont accumulé la richesse en ne dépensant pas leur argent, sauf pour le strict nécessaire et une semaine de vacances à Argelès au mois de juillet. Et ça me tue de me dire que leur vie se limite à ça et, le pire, c'est qu'ils en sont satisfaits.
Il fait encore nuit, les Stéréophonics résonnent dans mes oreilles. J’aime ce moment, quand il ne fait plus nuit et pas encore tout à fait jour. Le temps semble être en suspend et j’ai parfois l’impression que tout pourrait arriver. « Have nice day » est quand même la meilleure chanson du monde pour commencer une journée… C’est étrange comme la musique m’amène à penser. A imaginer. Chaque matin se déroule dans ma tête le scénario d’une de mes vies alternatives. Une vie où je ne serais pas si… Où je ne serais pas moi. Pas si coincée dans ce corps étriqué, trop petit, trop fermé. Dans cet esprit si étroit et si formaté. Je me rassure parfois en me disant que je pourrais ne pas en avoir conscience. Croire que c’est normal. Mais là, je sais que quelque chose cloche, qu’il y a plus. Et je crois qu’aujourd’hui, j’en veux plus.
Je me dis que j’en ai assez de tout ça, que j’ai envie de tout envoyer bouler. Mes amis sont tous des cons, ils ne me connaissent pas, ils ne cherchent pas à me connaitre. Ils m’ont toujours catalogué comme la pauvre fille coincée, celle qui fait figuration, prostrée dans un coin, son verre de menthe à l’eau à la main. Le jour où j’ai rencontré Mathieu, ils m’ont tous dit de foncer, que c’était peut-être mon unique chance de rencontrer quelqu’un. Sur le moment, j’étais aux anges d’avoir droit à enfin un peu de leur attention. C’est en réalisant quel boulet j’allais me trimballer que j’ai compris que c’était un cadeau empoisonné. Mais, pourtant convaincue que je méritais mieux, je suis restée avec lui. Quand je me dis que c’est toute la considération à laquelle j’ai droit de leur part, ça me révolte. Une partie de mon être me dit de partir, de quitter cette bande de gros nazes, de leur dire d’aller se faire foutre et de tourner les talons sans remords… Jusqu’à ce que l’autre partie me rattrape et me rappelle que, sans eux, je n’ai plus personne. Alors je reste. Et je me tais.
Sultans of swing des Dire Straits. J’aime la lecture aléatoire de mon Ipod ! Je souris comme une abrutie tant j’aime cette chanson. Parfois, quand je sais que je suis seule chez moi et que personne ne peut me voir, je pousse le volume de ma chaine sur cette chanson et je danse, je saute partout, je hurle à n’en plus pouvoir, sur cette chanson. Je sais que la chanson ne s’y prête pas mais peu importe. Je me sens vivre, tellement vivre, que rien ne pourrait m’arrêter. Dans ces moments-là, je me vois tout plaquer. Dire à mes parents d’aller se faire foutre, à mes amis qu’ils ne sont que des cons et me barrer. Juste partir super loin, ne plus entendre parler d’eux et vivre ma vie comme je l’entends.
Je me redresse d’un coup, la vieille connasse assise en face de moi sursaute. Bien sûr ! Je vais me barrer ! Je vais le faire. Cette fois, je me casse !
Partir, oui, mais où ? Je ne connais personne ailleurs que chez moi, je ne suis jamais partie en vacances sans mes parents, jamais en dehors de ces clubs de vacances avec karaoké ou soirée dansante le vendredi soir. Partir comment ? En voiture ? J'ai tout le temps du trajet, quel qu'il soit, pour prendre peur et faire demi tour. Je me connais, je vais trop réfléchir et faire machine arrière à la première sortie d'autoroute. Et puis, mes parents me verraient emballer toutes mes affaires, ils ne me laisseront jamais faire. Ils ne comprendraient pas. Mais je les emmerde, après tout ! Ils sont les principaux responsables du gachis de ma vie.
« Mesdames et messieurs, votre attention s'il vous plait. Le train va bientôt entrer en gare de Paris Saint Lazare, terminus du train. Veillez à ne rien oublier dans les wagons. La SNCF vous souhaite de passer une agréable journée. »
Le train ! Voilà comment ! Je me souviens qu'un jour, quand j'étais petite et que ma tante était encore en vie, elle m'avait emmenée faire les magasins au Printemps. Et puis, sur le chemin du retour, alors que nous allions prendre le train pour rentrer en banlieue, elle m'a regardée et m'a dit : « Ma chérie, ça te dirait d'aller voir la mer ? » Ni une, ni deux, nous avons pris nos billets et en quelques heures, nous étions sur une plage, une barbe à papa dans les mains. Ma tante avait cet espèce de grain de folie que j'admirais énormément. Elle ne s'était jamais mariée, avait un nouveau petit ami à chaque fois que je la voyais, toujours plus jeune qu'elle. Quand j'avais quatorze ans, elle est morte noyée, emportée par une marée en Bretagne.
Voilà où je vais aller ! Je vais y aller pour elle, dix ans après sa mort. Parce que ce que je m'apprête à faire, c'est le genre de folie qu'elle aimait et, dans un sens, je pense qu'elle serait fière de moi. De son vivant, elle me répétait souvent « toi, ma jolie Hana, tu feras de belles choses dans ta vie, si tu n'écoutes pas trop tes parents. Surtout, n'oublie pas : ne sois jamais ordinaire, sinon tu ne vivras jamais vraiment. »
Le train arrive en gare. Saint Lazare, terminus. Je descends du train assez rapidement. Sur le quai, les gens se marchent dessus, comme un vieux troupeau de moutons. Je tente de me frayer un passage mais la masse est compacte. Je décide de longer le quai, manque de tomber plusieurs fois, j’arrive à me sortir de la foule, me met à courir en direction du guichet. Arrivée à mon but, reprend doucement mon souffle, souris de tout mon bonheur à l’idée de ce que je m’apprête à faire, me tourne vers le mec au guichet et lui dit : « Bonjour monsieur, un aller simple pour la mer, s’il vous plait. »