LA PANTHERE ROSE ET LE GENERAL PATTON
Guillaume
Assis près de la fenêtre sale, il regardait le morne vent de novembre balayer les feuilles jaunes des platanes et les oiseaux incolores qui s'aventuraient dans le ciel sans espoir. Chaque minute était une éternité et le professeur qui parlait une langue inconnue semblait loin. Il regarda encore par la fenêtre puis ramena son esprit sur les lignes bleues de son cahier de petit homme.
Appuyé sur son coude, son regard glissa une nouvelle fois vers la liberté, dehors. Il avait lu l'oiseau lyre de Prévert. Mille fois, il avait rêvé que les murs et les vitres de l'école s'envolent, l'espace d'une heure. Une seule fois, il aurait tant aimé voir son vœu s'exhausser mais rien n'y faisait. Il s'ennuyait.
L'enfant rêvait de pentes enneigées piquées de sapins pointant leurs cimes vers l'azur immobile. Bientôt, il l'aperçut, posé sur une haute branche d'un grand séquoia, dans un pays qu'il n'avait jamais vu sur la carte du monde. L'aigle à tête blanche le dévisagea de ses yeux inquiétants, puis d'un mouvement se laissa glisser à travers les airs, déployant ses rémiges. Il était si léger et gracieux, tournoyant sans effort, comme porté par une main invisible. L'oiseau lança un cri perçant qui résonna sur les champs neigeux.
Son attention fut captée par un léger bruit qui venait du rebord intérieur de la fenêtre, une planche en béton peint. Le bruit plus distinct se fit musique. Un orchestre de jazz de la Nouvelle Orléans jouait derrière un corbillard tiré par un cheval. Le cheval miniature, guère plus haut qu'un centimètre, marchait sur le rebord de la fenêtre transformé en avenue tandis que sur le trottoir, calée dans l'embrasure d'une porte, une panthère rose, cigarette aux lèvres et monocle à l'œil gauche, sifflotait le thème d'Henry Mancini.
Le rebord de la fenêtre devint piste d'aviation tandis qu'un DC 3 Dakota atterrissait en sautillant. Un homme casqué, portant des culottes d'équitation et des bottes de cuir, bondit d'un pas alerte de la jeep Willis et, maniant une cravache, hurla quelques ordres. Bientôt, tout l'orchestre de la Nouvelle Orléans gagna l'avion couleur aluminium, suivi de la panthère rose que traquait un affreux petit bonhomme vociférant. Sa mission accomplie, le général Patton et son fidèle chien, rejoignirent la jeep et disparurent.
Le Dakota lança son hélice. Il éructa quelques nuages de fumée noire pour éclaircir sa voix métallique. Il quitta la piste trop courte, plongeant dans le vide, puis s'éleva au-dessus des têtes enfantines. La cloche retentit, la porte s'ouvrit et l'avion vira pour filer vers le couloir soudain encombré d'enfants qui allaient et venaient, entrechoquant les cartables aussi lourds que du temps de leurs parents.
Le petit garçon ne revit jamais la panthère rose et le général Patton. Il ne vit jamais non plus l'oiseau lyre de Prévert mais il admira des années plus tard l'aigle à tête blanche qui tournoyait dans le ciel bleu d'un pays par-delà l'océan.
Magique non ?
· Il y a presque 7 ans ·theoreme
superbe ! merci !
· Il y a plus de 7 ans ·Gabriel Meunier