La peste et le choléra

Très cher Docteur et Général Ishii (1)

Convenons-en : il y a encore cinq ans, rien n'aurait pu laisser présager d'avoir le plaisir et l'honneur d'échanger avec vous. La providence en a voulu autrement par l'entremise de notre très respectueux Führer et votre Majesté l'Empereur.

J'ai eu un écho très élogieux sur vos travaux dans le domaine de la microbiologie et je dois vous faire un aveu. J'envie, je jalouserais presque, les moyens humains mis à votre disposition. On parle de centaines de médecins, de biologistes et de chimistes dévoués pour vous accompagner au quotidien.

De mon côté, force est de constater que j'ai à me battre sans cesse pour sélectionner des éléments valables. Ce n'est pas que la quantité fasse défaut. Ne serait-ce que la semaine dernière, nous avons accueilli quelques cinq convois de juifs hongrois. Mais sur les dix-milles, trop peu étaient suffisamment vaillants pour prétendre à une sélection de qualité. C'est un peu frustrant. Il me faudrait un émissaire en amont qui pourrait m'assurer d'un quota – disons de deux à trois cents spécimens – qui arriverait dans un état un tant soit peu convenable. Il faudrait que j'en touche deux mots à ce gratte-papier d'Eichmann, afin de lui expliquer qu'il ne faut pas confondre vitesse et précipitation.

Fort heureusement, à quelque chose malheur est bon. Dans le camp réservé aux Tziganes s'est déclarée une épidémie de malaria. J'ai saisi cette opportunité pour entreprendre de nouvelles recherches sur ce matériel, de trop nombreux et braves soldats souffrant de cette infection sur le front de l'Est. Quelle fierté si je pouvais modestement contribuer à améliorer les conditions de nos vaillants fantassins !

Comme vous le savez certainement, j'oriente une grande partie de mes recherches sur la génétique avec une préférence pour la gémellité. Là encore, mes travaux n'ont qu'un objectif, servir le Reich. Si demain je pouvais percer les mystères de la grossesse multiple, imaginez comme nous pourrions déjouer ces maudites statistiques liées à la démographie. Il m'arrive dans mon sommeil de rêver de légions d'aryennes alimentant de leur lait nourricier des cohortes de jumeaux qui bientôt partiraient à la conquête des plaines russes pour se débarrasser de la vermine slave et agrandir notre espace vital.

Je serai donc direct avec vous. Nous sommes de la même trempe et partageons le même objectif, celui d'une humanité enfin débarrassée de ce qu'elle a de plus vil. J'ai l'intime conviction qu'une collaboration plus étroite entre nous serait l'opportunité que la vision d'un empire millénaire soit dès demain une réalité. Par la synergie de nos activités, soyons assurés que nous pourrons être bientôt les piliers de nos deux races glorieuses.

En gage d'amitié, vous trouverez en annexe un rapport détaillé sur mes essais liés à la résistance au froid. Les hivers en Mandchourie sont rigoureux. Puissent mes modestes recherches vous aider à soutenir les héroïques armées nippones.

Bien à vous, Hauptstürmfürher Joseph Mengele, médecin-chef de Birkenau.

(1) Shiro Ishii était le responsable de l'Unité 73, un centre d'expérimentations implanté près de Harbin en Mandchourie. On estime à 580 000 le nombre de cobayes humains qui ont succombés aux expérimentations de l'armée impériale.