La peur, au certif' de 1887

marie-roustan

Plusieurs textes sont venus récemment enrichir le thème de la peur irraisonnée sur WeLoveWords. Je n’hésite pas à vous faire partager celui-ci, retrouvé dans les archives d’une amie. Il fut présenté à la dictée pour le certificat d’études primaire, le 24 juin 1887, à Sault dans le Vaucluse. Vous noterez l’emploi simultané de l’imparfait et du passé simple, source de pièges que l’excellente copie, fort bien calligraphiée, avait su éviter.

La peur

Il y a longtemps de cela, mais je m’en souviens comme d’hier. J’avais une douzaine
d’années ; j’étais allé à la forêt, à une lieue de la ville, prendre des nouvelles de mon oncle le garde forestier qui était malade. Je revenais à la tombée de la nuit ; la route était déserte. Tout à coup, j’entends derrière moi des pas précipités, une sorte de galop que je ne reconnaissais pas. Ce n’était pas un cavalier, ce n’était pas non plus la course d’un homme.

La peur me prit et, l’imagination aidant, je me figurais quelque bête monstrueuse à ma poursuite ; je me mis à courir à belles jambes. Plus je courais, plus le galop semblait se rapprocher, plus les formes de la bête que je ne voyais pourtant pas, car je n’osais me retourner, me paraissaient grandir et devenir effrayantes. Dans ma fuite, je me heurtai à une pierre et tombai. Le galop s’arrêta net, mais si près de moi qu’un frisson me secoua tout le corps. À la fin, n’entendant plus rien, je pris mon courage à deux mains et me relevai et regardai derrière moi.

L’âne de mon oncle était tranquillement arrêté à deux pas de moi, droit sur ses quatre pattes. J’eus honte de ma couardise, je pris la bête échappée par le licol et la ramenai à son écurie, me jurant bien qu’on ne me reprendrait plus à trembler de la sorte.

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