La Picador ( secrets de famille)

occhuizzo-marc

Cécile et son père, Jo Picador.


Pendant que Clarinette ronronnait dans son panier. Cécile mâcha vulgairement deux malabars à la fois, gonfla des bulles de gomme, qui éclata sur sa bouche. Désinvolte, lasse, quelques poils pubiens dépassaient de sa culotte en coton. Elle s'affala sur le canapé abîmé en fixant froidement le plafond. Elle posa ses mains sur son ventre gargouillant. Elle prit une position, étrier gynéco, en repensant à la déchirure, le mal qui la torturait et ce venin qui n'en finissait plus de sortir par toutes les pores de son corps. Elle détestait les psys, car ils ne lui avaient été d'aucun secours jusqu'à ce jour.

Les années 80 avaient pris fin.

Jo Picador, le dos en compote, traversait la France hiver comme été, sur les autoroutes du nord au sud et du sud au nord, dans son bahut rouge incendie. Un mois avant Noël, il avait une sacrée dette de poker et le couperet au-dessus de sa tête. Il risquait gros pour sa gueule. Pour oublier sa soumission permanente à sa mère: la sorcièrace. Il jouait les sanguins caillés, l'hygroma au coude posé sur le zinc dans les bistrots obscurs des centres villes. Amateur invétéré pour les putes cradingues, il s'inventait un semblant de vie avec son physique de faux dur, de petit sergent d'incorpo à la couperose, un menton bêche prêt à travailler les vignes. 

La vieille peau de vipère, Cécile appelait sa grand-mère ainsi,  évidemment en cachette de son père, lequel étant le jouet préféré du reptile. Elle était une hystérique née, sa connerie gâchait la vie de tout le monde. Jo était le premier de la longue liste à être aux ordres de la générale en chef au chignon gros melon. Il n'avait rien vu venir. Le con! Vingt ans d'écart les séparaient, ils formaient un vieux couple déchiré par mille misères et mille mensonges. Mère toxique et fils soumis liés à jamais. Ça faisait des étincelles dans le bistrot familial.


Cécile avait 14 ans, d'une beauté de jeune fille de 14 ans. Sans plus. Elle attendait emmitouflée dans son long manteau blanc serré à la taille par une ceinture de la même couleur, le dernier cadeau que sa mère Sylvia lui avait offert, avant de prendre son envol pour Barcelone avec un sous-officier de la Guardia Civil. 


Sans changer ses habitudes, Jo arriva en retard. Il rejoignit sa fille sur le parking de Carrefour Sète la Corniche, un samedi après-midi par un ciel couvert de grisaille, en plein préparatif des fêtes. Ça grouillait de partout et d'excitation heureuse, dans l'air ça sentait les churros, les gaufres, la merguez grillée, le tout en provenance d'un food-truck vieillot tenu par un petit Viet aussi vieillot au débit de parole hachée. Devant le parc pour ranger les caddies, Cécile soupira, bouda, les mains glacées par cet hiver sournois. Son daron fit les dernières recommandations, persuadé qu'il n'avait pas le choix. Que tout était sa grande faute, mais que bientôt il lui demandera pardon, un jour ils partiront tous deux pour un grand voyage à travers le monde.

 

Dans un silence de corbillard, une longue Mercedes, gris fané, longea l'allée centrale puis se gara au fond du parking sous un acacia. La vitre fumée se baissa aux deux tiers. Une vision de foire foraine quand une grosse main lunaire apparut, constata Cécile, en reniflant comme une enfant.

Les doigts étaient boudinés aux bagouses dorées. Placide, la paluche luxueuse fit un signe, pour faire venir la jeune fille piégée ne pouvant plus reculer, grelottante de froid et d'angoisse. Elle monta à l'arrière de la berline confortable, habillée de cuir craquelé empestant le cigarillo et l'After Shave. Avant de repartir sur la route des plages, elle jeta ses yeux sombres de désespoir contre la lâcheté de son père qui ne l'avait pas défendue contre la sorièrace et des porcas aux bagouses dorées. Le ventre vrillé en forme de grand huit en folie, elle se dit qu'elle n'allait pas être à la fête. Ce sera le mauvais moment à passer avec ce gros lard affamé, pour effacer les dettes de jeu, et par la suite avoir un semblant de paix.

 

À la fin d'un été particulièrement chaud, juste après l'an 2000, dans un village escarpé du sud de la France, un nuage de mouches bruyantes avait averti les voisins. Depuis au moins deux semaines, Jo Picardor, loqueteux, raidis, vert bile, avait cassé sa pipe ainsi que ses bouteilles d'alcool à bas prix sur le carrelage crasseux de sa cuisine, sous un immense couvercle de solitude. La bouche pleine de sang, il gisait froidement au milieu d'un fourbi de bidonville.

                                                                 

 

 

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