La pluie et les bois sombres

eden-paragallo

Sybille enfuit de sa nouvelle maison. Une fois encore.
Trop gigantesque. Trop étrange.
Et elle, pas à sa place. Comme toujours.
Toujours cette fichue impression d'être un alien aux yeux des autres; même aux yeux de sa famille.
"Ma famille? Je les connais même pas! … Je suis sûre qu'ils sont là à me juger, à penser que je suis comme ma mère … Mais c'est faux! Je ne suis pas comme elle et je le serai jamais!"
La gamine passa la porte d'entrée, les poings serrés, le regard plein de noirceur et de colère.
Ce qui était étrange, c'est que personne ne l'avait retenu. Ni ce matin- là, ni les fois précédentes. Quelqu'un s'était-il seulement aperçu de son absence?
Il pleuvait. A torrent. Le ciel était gris chargé de mépris. Les nuages étaient si gros qu'ils en devenaient oppressants.
Elle courut jusque dans les bois. Son grand pull gris taupe était trempé. Son jean noir et ses bottes à lacets aussi.
Elle était partie sans dire un mot, sans se retourner.
Elle courait à en perdre haleine mais s'enfonça toujours plus dans les bois sombres et sinistres. Elle commençait à avoir froid, puis à trembler. Mais au fond, elle s'en moquait.
"Pas question de s'arrêter, maintenant."
La petite ralentit sa course le temps de reprendre son souffle. Puis, elle emprunta un chemin, à moitié caché par les gros séquoias. Les cailloux se mêlaient à la boue. C'était glissant mais pas dangereux. Les ronces s'accrochaient à ses vêtements à cause de l'étroitesse du chemin.
Elle prit un escalier fabriqué avec des grands rondins de bois.
La pluie s'était calmée, laissant place à un brouillard intense. On y voyait presque rien.
Arrivée en haut des marches, Sybille dû prendre un autre chemin escarpé à travers les hauts arbres et la brume dense.
Trente minutes de marche acharnée et elle se retrouva devant une immense maison.
Le brouillard avait disparu et la pluie avait repris de plus belle.
L'enfant s'abrita sous un jeune séquoia tout en observant la grande demeure.
" Qui peut bien vivre là dedans?" Se demanda- t- elle.
L'ensemble de l'habitation formait une sorte de polygone. Elle était haute, probablement deux ou trois étages, faite de briques et de bois. Il y avait un perron en bois foncé qui faisait tout le tour.
Ce qui semblait être le sous- sol devait être le garage. Au dessus, on pouvait voir d'immenses baies vitrées derrière lesquelles des rideaux donnaient un peu d'intimité.
Une voix retentit dans les airs.
"Sybille!"
Une voix de garçon.
La fillette leva la tête en direction du toit de la maison.
Un jeune garçon y était assis.
" Qu'est- ce que tu fais là?" Demanda ce dernier.
" Qu'est- ce que ça peut te faire?" Répliqua son interlocutrice d'un ton sec.
" Tu ne te souviens pas de moi?"
" Tu es venu chez moi l'autre jour."
"Ca ne doit pas vraiment être chez toi, vu que tu t'enfuis tout le temps." Ironisa le garçon.
"Mêles toi de tes oignons, Peter!" Répondit Sybille, blasée.
Peter se laissa glisser du toit, pris un peu d'élan, sauta et atterrit sur la rambarde du perron. Il descendit les marches en bois et avança jusqu'à Sybille. Il l'observa longuement.
Elle était là, les bras croisés contre son ventre, la méfiance au creux des yeux.
Il soupira.
" Ca va. Détends- toi."
Elle resta de marbre.
" T'as aucune raison de craindre ta nouvelle maison. Ni ta famille, d'ailleurs. Ils ont l'air sympa."
Peter l'invita à faire quelques pas aux alentours.
" Quelle assurance!"
" Contrairement à ce que tu pourrais croire, je n'y mets pas souvent les pieds. "
" Pourquoi?
" Je suis toujours planqué dans les bois." Dit-il avec un petit sourire au coin des lèvres.
Sybille ne semblait pas rassurée. Elle regarda Peter du coin de l'oeil.
" Quoi?"
" Rien. Je ne sais pas si je peux avoir confiance en toi."
Il sourit une nouvelle fois, le regard perdu au milieu des séquoias.
" Personne ne me fait confiance"
" A cause de quoi?"
" Mes crises de colère, ma façon de parler aux gens. Et peut- être aussi mon aptitude à disparaître n'importe quand."
La fillette acquiesça, silencieuse.
Ils marchaient tout en écoutant le bruissement du vent et le bruit des gouttes d'eau sur les feuilles d'arbres.
Peter conduisit Sybille sur un sentier différent de celui qu'elle avait pris pour venir.
" Je te ramène chez toi" Lâcha-t-il.

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