La première phrase donne le ton
lazyjack
Dans la pénombre de la salle de café, le patron dispose les tables et les chaises, les cendriers, les siphons d'eau gazeuse. Il est six heures du matin. Il serait temps que je me couche, mais je me refuse à rejoindre mon lit. Elle y est. Je commande un thé au citron. Le patron me regarde avec un drôle d'air. Je repense à elle, allongée sur le lit dans cette chambre d'un hôtel suranné. Je pense à ses cheveux rasés et cela me rappelle qu'étrangement, je trouvais très féminin la coiffure des femmes dans les camps de la mort. Je ronge mes ongles, sordide petit déjeuner. Au loin, on perçoit une sirène policière et lancinante. Elle est coincée dans mon esprit. Je ne peux la dissoudre. Je l'aime. Je l'ai aimée. Je l'aimais. Le patron machinalement, essuie les verres derrière le zinc. Il me dévisage sans arrêt, levant les yeux et les baissant. Je prononce son nom tout bas en me levant soudainement. « Souïla !... »
Le patron m'interpelle avant que je ne m'enfuisse mais je cours comme un dératé dans la fraîcheur du jour à venir. Dans ma tête cognent les images, le couteau a fouaillé les entrailles. J'ai gaspillé son corps à tout jamais. Je l'aime. Je l'aimerai. Je l'aurais aimée. Mon lit est rempli d'elle, je ferais peut-être les gros titres demain. Mais ça n'a pas d'importance, assurément. Peut-être trouverais-je ton visage à l'infini dans tous les kiosques du monde, avec ton regard noir comme un reproche. Pourquoi t'es -tu refusée ? Pourquoi ton rire jaune lorsque j'ai parlé d'amour et que tu as répondu « Je n'aime pas les gens de ma race ! »
Je rentre à l'hôtel. Elle est là, immobile. Je ne sais plus si elle dort.