La quête innocente

violetta

Depuis un long moment déjà elle avait les yeux grands ouverts dans le noir. A côté d'elle l'homme dormait encore, paisiblement, avec confiance. Plus tard il se réveillerait, chercherait à tâtons son corps dans la chaleur du lit. Sans un mot, ils feraient l'amour. Puis prendraient le petit-déjeuner. Se doucheraient. S'habilleraient. Sortiraient.

Elle décida de bousculer l'ordre des choses. Cette routine immuable et douce, pour une fois, elle n'y céderait pas. Il fallait profiter de ces premiers jours de janvier pour remettre en cause les habitudes prises, s'aérer l'esprit au sens propre et au sens figuré.

Elle se glissa hors du lit furtivement, s'habilla de vêtements confortables et chauds, et descendit dans le garage. Son vélo était là, son grand vélo de ville noir, un peu poussiéreux. Depuis début novembre, elle ne l'avait pas utilisé. Les pneus étaient un peu à plat et elle pompa vigoureusement pour les regonfler. Les chats l'observaient silencieusement, sans doute un peu interloqués par tant de négligence : les gamelles n'avaient pas été remplies, et l'humaine semblait ne pas s'en préoccuper. Cela la fit sourire. Elle les gratifia l'un et l'autre d'une caresse sous laquelle ils arrondirent l'échine, voluptueusement.

- Je vous donnerai à manger tout à l'heure, murmura-t-elle.

Pourquoi chuchotait-elle ? L'homme ne pouvait pas l'entendre, là-haut, dans la chambre. Mais cela faisait partie du mystère, de l'étrangeté de l'instant. Elle était dans un lieu banal, un garage avec une voiture, une chaudière et un chauffe-eau dans un coin, des étagères chargées de pots de fleurs vides, un établi et du matériel de bricolage, une tondeuse à gazon. Mais elle était dans cette pièce à un moment inhabituel, dans des circonstances inédites, et sa petite expédition matinale inhabituelle, dont le point de départ était ce lieu familier et domestique, lui parut encore plus exaltante.

Elle sortit du garage en refermant doucement la porte derrière elle, sur les chats résignés qui lui tournaient le dos pour retourner dormir dans leur panier. Sa dernière vision fut les deux queues bien dressées au-dessus des arrière-trains ondulants. Elle sourit une fois de plus.

Elle n'avait pas envie d'aller sur la piste cyclable du canal. Elle l'avait fait trop de fois, avec le but de pédaler longtemps, vite et fort pour entretenir sa forme. Là, elle voulait parcourir tranquillement les rues, les rues ordinaires de sa ville si familière, la ville où elle était née, et qui l'avait vue grandir. Peut-être retrouverait-elle ainsi les sensations exactes qu'elle avaient éprouvées ici et là dans un lointain passé ?...

Le ciel hésitait entre l'obscurité et la clarté. Quand elle commença à pédaler, les lampadaires s'éteignirent. Elle avait bien fait de partir tôt, elle pouvait ainsi profiter de ce moment furtif où la nuit cédait au jour.

Et là, dans cet intervalle de temps fugace et indécis, elle se mit résolument en quête d'une faille temporelle qui la précipiterait dans son enfance retrouvée.

  • Plus qu'intéressant...une philosophie...

    · Il y a plus de 3 ans ·
    Facebook

    flodeau

    • Merci pour votre commentaire ! Je ne pensais pas que ce petit texte anodin suscite cette réaction... Pouvez-vous m'en dire un peu plus sur ce que vous y avez trouvé ?

      · Il y a plus de 3 ans ·
      Evelyne lagarde clio 6 redim

      violetta

Signaler ce texte