La reine

Devant le miroir, elle observe le contour de ses traits, si bien dessinés, devenant petit à petit flous. Si flamboyante, si admirée, ... une reine.

Ô combien de femmes auraient aimé être sur le trône. Mais elle, elle ne l'entend pas ainsi. Sa renommée est bien sombre ... elle peint un peu plus chaque jour son nom pour cacher son mal, qui lui dévore l'âme.

Gracieuse, et innocente, ses prétendants le savaient, ils en étaient sûrs. Sans doute étaient-ils trop naïfs ...

Encore un qui ne saura pas quoi faire au bon moment. Tandis qu'il tourne les pages du livre en cristal posé sur l'écritoire, elle sent ses derniers frissons la parcourir, se frayant un chemin sur sa robe en soie, et s'estompant lorsqu'elle retire le couteau ensanglanté de son dos. Elle doit écrire à nouveau son acte, la malédiction ne s'apaisant qu'à cette condition. Elle se dirige à la fenêtre et contemple le monde, son monde, plongé dans l'obscurité. Elle comprend qu'il n'y a qu'un pas à franchir pour devenir un monstre, afin d'oublier la souffrance d'être un homme.

On entend les trompettes de la cour résonner, un nouvel aspirant à la couronne est en marche. Elle dévale l'escalier en verre pour se rendre près des portes du château. Non, ils vont les ouvrir, ils vont le faire entrer, ils ne doivent pas ...

Elle ne veut pas continuer le carnage, elle ne veut pas lui faire de mal, pas à lui ...

Elle l'aperçoit enfin, il est si beau. Plus jeune qu'elle de quelques années, il a l'air pur et éclatant.

 - " Majesté, je viens de loin et doit me reposer pour reprendre ma route. Je souhaite simplement retenir votre intention quelques instants : savez-vous où je pourrais me restaurer ?"

- "... Vous êtes de passage, monsieur ? ..."

- " ... Toutes mes excuses, je me nomme Fire Mensel. Original, comme prénom, non ? Pas joli, il est vrai."

- "Tout le monde a un nom. Le tout est de savoir le porter. Je vous en prie, vous pouvez vous restaurer ici, ce château est bien grand pour moi et tous mes serviteurs."

- " Merci ... Je ne sais pas quoi dire... Majesté, mille fois merci ! Accordez-vous cette faveur à tout le monde ?"

- " Seulement si la personne en question me plaît ..."

Après avoir souper, Fire se rend dans la salle de l'écritoire, et découvre le livre en cristal. Il entrouvre celui-ci, espérant que personne ne le verrait faire. Il n'arrive pas à tout déchiffrer, les mots étant à moitié effacés ... un grincement de porte le fait sursauter. Lorsqu'il se retourne, il se retrouve nez à nez avec la reine, qui le dévisage.

- "Que faîtes-vous ici ? Qui vous permet de fouiller mon bureau ? Vous ne semblez pas connaître les ennuis qui vous entendent ..."

- "Pardonnez-moi, je me suis égaré, tout est très vaste ici ..."

- "Je vous aurais peut-être laissé partir, si vous n'aviez pas touché à ceci ... Maintenant il est trop tard, bel étranger... Je me demande si un coup de dague sera suffisant..."

- "... Comme celui que vous avez porté à mon frère Yohan ... ?

- " Comment ?!! De quoi parlez-vous ?!"

- " Je sais qui vous êtes ...  et moi, je ne suis pas le petit paysan naïf que vous imaginez ... Mon frère s'est rendu ici pour espérer intégrer votre cour royale après avoir effectué ses classes d'armes. Il a tenté de vous courtiser, après avoir appris que le royaume avait besoin d'un roi pour siéger à vos côtés. Et vous ,vous l'avez tué ... Je vous parais bien calme, mais si vous saviez à quel point ma rage est forte ... J'ai versé mes dernières larmes, ma force je la tire de mon corps tout entier.  En partant pour vous rencontrer, je n'avais qu'une hâte, vous rencontrer, et vous assassinez devant tout le monde, pour que le peuple sache enfin qui se dissimule derrière ce magnifique visage ..."

- " ... Que savez-vous de moi ? ... Rien ... Absolument rien .."

- "Je n'ai que mes yeux d'hommes pour juger, et je ne sais pas pourquoi, mais malgré tous les hommes portés disparus dans le royaume, toutes les pertes, je ne sais quoi penser de vous. Maintenant que je vous aies en face de moi, je doute, j'ai de la peine pour vous. Pourquoi vous les tuez un à un, dès qu'ils tentent de vous approcher ... ?"

- " ... "

- " S'il vous plaît, baissez cette dague ... Je suis sûr que ce n'est pas vous ..."

- " ... Vous êtes le seul à savoir, exceptés les membres de ce château ... Vous en savez plus que je n'en sais sur moi-même ... A quoi bon vous expliquer que je ne suis rien ... vous dire que j'ai tué votre frère, qu'il ne m'avait pourtant rien fait ..."

- "Je ne suis pas le seul à connaître la vérité. Ou du moins, je suis le seul à ne pas vous craindre. Pourquoi faîtes-vous cela ? ..."

- " Je n'ai pas le choix. Je suis maudite ..."

- "On vous oblige à le faire ? ..."

- " Un homme encapuchonné est venu me rencontrer un jour, et a tenté de me faire du mal, alors que je venais de devenir reine. Je l'ai banni de la cité, et pour se venger ..."

- "... vous a lancé une malédiction. Chacun de vos soupirants devait mourir, n'est-ce pas ? Vous devez détruire ce livre en cristal,  mon frère m'avait parlé dans sa dernière lettre d'un livre étrange où sont inscrits les noms des prétendants ... Si vous le détruisez, tout sera fini ..."

- " Qui vous dit que je veux en finir ? Vous êtes jeune, vous ne pouvez pas comprendre. Il est si aisé et facile d'être ce que je suis. Devenir un homme à part entière est douloureux. Il m'apporte cette force, cette facilité ..."

- "... Vous allez vous perdre définitivement ... Vous pouvez reculer, redevenir  quelqu'un d'imparfait qui vit comme il l'entend ..."

- "Qui sera là pour moi ? ... Vous êtes drôle, très drôle ... Si je pouvais, je hurlerai de rire. On est seul, quand on est au sommet de tout. Et là, je sentais enfin un pouvoir que je  n'avais jamais reçu ... "

- " Moi, je serai là pour vous."

Le livre fut détruit. Les hommes assassinés par la malédiction furent ramenés à la vie. Quelques temps plus tard fut célébré le mariage de Fire et de la reine Lyska. Un couple qui amusait le peuple par leurs noms, Lyska signifiant dans le pays "glace".