La Rentrée

Muriel Roland Darcourt


J'espère qu'il va y avoir des gens sympas dans ma classe, que j'aie l'envie d'y aller. Que les anciens élèves vont me faire de la place, pour ne pas avoir la peur au ventre chaque matin d'y retourner.

C'est la quatrième fois que l'on me change d'école, il faut se refaire des amis, enfin, des connaissances ça suffit. Je ne suis pas là non plus pour faire le mariole, j'ai des choses à prouver, plus que quiconque je crois. La vie ne m'a pas épargné mais je me dois de garder la foi. Sinon à quoi bon être là. Apprendre, quoi ? Ce que je ne sais pas déjà.

J'ai 2 ans de retard mais je suis bien en avance sur les autres, les autres qui me regardent, certains d'un air narquois. Je préfère ça. À la compassion. À l'expression de la pitié que je peux lire dans les yeux de ceux qui me jugent à mon fauteuil roulant, et qui se disent finalement, que je n'ai pas de chance, que mon existence se résume à mon invalidité, que je suis assisté en permanence, que je ne suis plus qu'une demi-personnalité.

La plus jolie fille de la classe, je ne me battrai pas pour elle, de toutes façons je ne ferai pas peur à ceux qui lui tourneront autour, je n'aurai pas son amour, celui dont on rêve, quoique mon sourire vaille le détour. Je ne la regarderai même pas, à quoi bon se mettre dans un état qui ne me renverra qu'à ce que je suis devenu, l'ami à qui l'on se confie puisqu'il a tout perdu, et qui écoute les secrets jour après jour, en se disant « Ah si je pouvais ! ». Je n'ai pas envie d'être la risée de la cour en tentant un « Je t'aime » sur un petit papier, glissé dans le creux d'un cahier. Bien que mon cœur, lui, ne soit pas handicapé.

Les professeurs vont faire comme si de rien n'était, ils ne me lanceront pas de fleurs, j'ai l'habitude. Je suis ici pour étudier, à chacun son labeur, ils jugeront juste mon attitude, mes aptitudes et je me dois de travailler. Pour préparer mon avenir, dans un métier qui va me convenir. Je peux compter sur mes doigts ceux qui pourront m'accomplir, alors que ma cervelle est en état de fonctionner. Ils verront bien. Je surprendrai tout le monde en allant bien plus loin que ce qu'ils peuvent imaginer.

J'ai la tête pleine d'ambition, et la nuit je rêve que je cours, un jour ils verront que mon tour est venu, quel homme je suis devenu, et je goûterai à leur admiration.

Pour l'heure, il faut que je me fasse des copains, pas pour jouer au foot mais pour me tenir compagnie à la récréation. Pour partager les rires qui ne demandent qu'à exploser, pour exposer mes doutes sur la vie qui vient à peine de commencer et qui m'a déjà réservé tant de surprises. Je sais, moi, qu'aucune chose n'est jamais acquise, que tout peut basculer. Que mes treize ans peuvent être multipliés par mille, que j'ai des tonnes de trucs à leur apprendre, que je ne suis pas quelqu'un d'inutile, vont-ils l'entendre ?

Je suis jovial, bon camarade, mais je ne me fais pas non plus trop d'illusions. Et je prépare mon cartable avec un peu d'appréhension. Si leur accueil n'est pas le bon, il me faudra rester à la maison.

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